12. Réunion sous tension

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Mathias

— Mais oui, Maman, je te promets que je vais bien !

Ma mère me regarde à travers sa tablette, me scrute comme si elle pouvait détecter la moindre contrariété sur mon visage ou le moindre pet de travers.

— Tontooooon ! J’arrive pas à mettre mes chaussures !

Je jette un œil à la petite Sophia et souris niaisement en la voyant galérer à côté de moi. Effectivement, la gauche à droite, ça a du mal à passer. Je l’attire sur mes genoux et m’occupe de la chausser sous le regard attendri de ma mère.

— Elle est mignonne, mais je reste convaincue que Julia et toi auriez fait des enfants encore plus beaux !

— Je vous entends, Céline !

Julia débarque derrière nous en levant les yeux au ciel, un sourire malgré tout planté sur les lèvres, et ma mère soupire.

— Non mais c’est vrai ! Je sais bien que tu es amoureuse de ton humanitaire, mais… Tu avais l’homme parfait sous les yeux, quand même !

— Sans vouloir briser vos rêves, Mat est tout sauf parfait, glousse ma meilleure amie. C’est ce qui fait son charme, mais ne comptez pas sur moi pour vous assurer une descendance !

— Et je ne partage pas ! gronde Arthur depuis la cuisine.

Pourquoi est-ce que je suis là si tôt, moi, déjà ? J’aurais mieux fait d’appeler ma mère depuis l’hôtel. Bon, la connexion Internet n’est pas idéale, mais ça aurait évité ce capharnaüm pas possible de bon matin. Le petit déjeuner chez les Zrinkak, c’est quelque chose ! Entre Arthur en mode pépère, Lila qui traîne des pieds comme une ado, Sophia qui adore en mettre partout et Julia qui cherche à faire marcher tout le monde au pas, c’est aussi drôle que désespérant !

— Il ne te reste plus qu’à te trouver une petite Silvanienne pendant ton séjour, mon Chéri !

Je m’esclaffe, faisant sursauter mini-Zrinkak qui me regarde comme si j’étais un alien. Bien sûr, quelle bonne idée, Maman !

— Tu veux que je reste en Silvanie, en fait, c’est ça ? Tu cherches à te débarrasser de moi, M’man ?

— Ah non, pas vraiment, mon Chéri. Mais… Qui sait, peut-être qu’une jolie femme fera fondre ton petit cœur et que tu la ramèneras à la Capitale !

Ben voyons. Elle n’est pas née, celle qui aura à nouveau accès à mon petit cœur. Il est verrouillé à double tour et j’ai fait en sorte de paumer la clé.

— Bon, Céline, je suis désolée, mais il faut qu’on y aille, intervient Julia. On doit déposer les enfants à l’école et filer au Palais. A très vite ! Ça m’a fait plaisir de vous voir !

— Au revoir, Maman de Tonton ! crie Sophia en faisant coucou à ma mère.

— Bisous Maman, je te rappelle bientôt !

En moins de temps qu’il n’en faut pour dire “ouf”, je me retrouve à galérer pour attacher la gosse dans un siège auto, à courir dans la maison pour retrouver un doudou, et à pousser Lila à se presser d’enfiler ses chaussures, sous le regard amusé de leurs parents qui se bécotent comme des ados. Ouais, le petit déjeuner chez les Zrinkak, je ne suis pas sûr de le reproduire très souvent !

— Franchement, tu devrais avoir honte de m’utiliser comme nounou, bougonné-je quand nous nous retrouvons enfin seuls dans le SUV après avoir déposé les gosses dans leurs écoles.

— C’est pour t’habituer à ta future vie avec une petite Silvanienne, se moque Julia en me souriant.

— Les gosses, c’est bien, chez les autres. Personnellement, ma vie me convient bien comme elle est actuellement. C’est pas parce que Zrinkak a réussi à te retourner le cerveau que j’ai envie de vivre la même chose. Et puis, tu as entendu ma mère, moi, j’aime la perfection. Nos bébés auraient été parfaits, pas envie de me contenter de moins que ça, ris-je.

— Sophia est déjà parfaite, désolée de contredire ta mère ! Et je suis sûre que si un jour, tu changes d’avis, les tiens le seront aussi !

— Si tu le dis ! En attendant, Madame la rigide, t’es bien dans la galère chez toi, me moqué-je. Va falloir resserrer la vis, c’est trop drôle à voir.

Julia me tend son majeur et je ne peux m’empêcher de sourire en constatant que malgré notre éloignement géographique, la complicité reste la même entre nous. Il faut croire que notre amitié ne souffre pas de la distance et des silences.

Nous profitons du trajet jusqu’au Palais pour papoter et rattraper un peu le temps perdu. Lorsqu’elle descend de voiture, j’ai l’impression de retrouver ma Lieutenant. J’enfile moi-même un masque plus sérieux, plus dur, alors je ne m’étonne pas de voir la Maman détendue aux sourires sincères laisser place à une femme plus froide et inaccessible.

Elle me fait signe de la suivre et nous retrouvons mes camarades dans son bureau avant de nous diriger dans une salle de réunion gigantesque où sont déjà installées plusieurs personnes. J’ai arrêté de jeter des coups d’œil sur la déco, ici, tout est toujours trop guindé, trop décoré, trop doré et brillant, ça me pique les yeux. J’en viens à regretter notre petite salle des opérations sur le camp. Les gars sont en train de s’installer à ma droite lorsque Miss Coincée fait son apparition, et elle se stoppe brusquement en nous apercevant. Instinctivement, un sourire se dessine sur mes lèvres, et je m’assure de lui offrir un regard provocateur lorsque nos yeux se croisent. Elle va s’asseoir en face de Julia qui vient de prendre place à ma gauche, et je l’observe nous détailler, mes collègues et moi, avec un peu trop d’insistance tandis que Julia se racle la gorge pour attirer l’attention avant de prendre la parole.

— Bien, nous sommes à J-5. Dans moins d’une semaine, le concert aura lieu. Cinq petits jours, c’est de la folie pour tout organiser et s’assurer que personne ne sera en danger en allant écouter de la musique. Ca n’a l’air de rien, mais franchement, c’est quasi mission impossible. Heureusement qu’on a le soutien d’une troupe d’élite française qui vient nous assister pour cette mission. Je crois que vous vous êtes déjà rencontrés, non ?

— Oh oui, plusieurs fois même, pour certains, ris-je en haussant un sourcil à l’attention de la Ministre coincée devant nous. Mathias Snow, pour vous servir. Et mes gars, Florent, Jérémy et Sébastien.

Encore une fois, voir Julia passer du français au silvanien m’étonne, mais elle assure la traduction comme le faisait Arthur à l’époque, sur le camp. J’imagine que malgré le fait que notre langue soit parlée assez couramment dans la haute société silvanienne, elle veut s’assurer que tout le monde pige de quoi il retourne.

— Bonjour à tous et merci de votre soutien, répond la Ministre en Français. J’ai l’impression que beaucoup de monde va être payé à ne rien faire, mais bon, ce n’est pas moi qui décide du nombre de gardes qu’il faut pour protéger le groupe. Qu’est-ce que vous attendez de moi ?

— Une totale coopération, lancé-je en me redressant sur ma chaise. La liste des invités, quelqu’un pour contrôler les identités à chaque entrée en plus de nos gars, un déroulé de la soirée pour que nous sachions ce qui se passe et quand, entre autres choses…

— Oh qu’il est drôle ! dit la Ministre en éclatant de rire. C’est d’un concert dont on parle, pas d’une intervention du Pape ! Laissez donc parler les professionnels qui connaissent leur travail. Julia, vous avez besoin de quoi ?

Je me marre avant même que Julia ne réponde. Elle est mignonne, la Ministre, mais elle doit vivre au pays des Bisounours. Pas possible autrement.

— Eh bien, d’une totale coopération, lance mon ancienne partenaire. De la liste des invités, de quelqu’un de votre équipe pour le contrôle des identités… Qu’est-ce que tu disais d’autre, Snow ?

— Le déroulé de la soirée, continué-je en souriant au canon qui se renfrogne face à nous. Les plans du bâtiment, le trajet emprunté par la Présidente et tous les VIP à protéger. On continue, Madame la Ministre ?

— Je crois que vous avez trop abusé de la muscu et pas assez étudié la stratégie, Monsieur Snow. Je le répète, c’est juste un concert ! Il faut que tout soit le plus normal possible, sinon autant retourner sous les barbelés et se battre, le fusil à l’épaule.

Elle me court déjà sur le haricot, cette nana, et Florent le sent parce qu’il me colle un coup de coude pour me spécifier de rester cool.

— Eh bien, nous allons donc téléphoner aux diverses personnes qui sont une menace pour la Présidente, histoire de les prévenir que ce n’est qu’un petit concert qui doit se dérouler de la façon la plus normale possible puisque Madame la Ministre de la culture pense qu’on peut y accueillir des hippies et laisser les portes grandes ouvertes. Y aura-t-il au moins quelques tournées de pétards histoire de détendre tout le monde ?

— Vous avez peur de types avec les cheveux longs ? demande-t-elle, vraiment énervée. Ça ne m’étonne pas qu’ils ne voulaient plus de vous en France et qu’ils vous aient fait venir ici !

Je vais me la faire. C’est sûr. Et je me demande si l’envie de me la faire est réelle, dans le sens où je la ferais bien taire en collant cette jolie tête contre un oreiller pendant qu’elle me supplierait de la prendre, ou lui rentrer dans le lard pour qu’elle arrête de prendre cet air supérieur insupportable.

— Je n’ai aucun problème avec les types aux cheveux longs. En revanche, les petites jeunes qui se croient supérieures, ça, ça me gonfle. Vous n’avez pas les tenants et les aboutissants concernant la sécurité de la Présidente, Mademoiselle. Alors plutôt que de faire perdre leur temps aux professionnels en voulant à tout prix avoir le dernier mot en montrant les crocs pour cacher votre manque de confiance ou de connaissances, bouclez-là et obéissez.

Les soupirs simultanés de Flo et Julia, à mes côtés, me laissent à penser que je suis allé un peu loin, mais je m’en fous. Elle me gonfle ! C’est pas le tout d’être taillée comme une Déesse, faut savoir la boucler, parfois.

— Julia, si ce type prend encore une fois la parole, on arrête là, la réunion. Je ne suis pas une petite jeune et c’est moi, la Ministre. Le concert aura lieu, quoi que vous décidiez ! Et si ce pauvre mec pense qu’en montrant ses muscles, nous allons toutes nous écraser sur son passage, il se met le doigt dans l'œil.

J’ai bien envie de rétorquer, mais cette fois, c’est Julia qui me lance un regard et pose sa main sur mon avant-bras pour me tempérer. On ne peut même plus parler librement, dans ce pays. Elle est où, la démocratie que la Gitane avait promis, sérieux ?

— Ysée, quand bien même la façon d’expliquer les choses de Mathias n’est pas idéale, les choses se feront comme nous l’aurons décidé. On a déjà statué sur le fait que le concert aura lieu, on vous laisse carte blanche sur le déroulé de la soirée, mais les informations demandées par Snow nous sont nécessaires, tout comme les mesures que nous avons décidé d’instaurer. Il a raison, vous n’avez pas toutes les informations concernant la sécurité de Marina. Et j’aimerais bien que vous arrêtiez, tous les deux, ce jeu de provocations. J’ai entièrement confiance en Mathias et je vous garantis que les muscles et le cerveau se valent.

Florent et moi nous regardons, je crois que nous avons la même pensée au même moment. Julia diplomate et toute polie, c’est surprise ! Presque décevant, même si elle me défend. Je préférais quand elle sortait les crocs plutôt que d’essayer d’arrondir les angles.

— Donc, continue la Lieutenant clairement retraitée, je vous transmets dans la journée la liste des informations que vous aurez à nous fournir pour jeudi matin au maximum, afin que nous puissions nous organiser. Nos hommes se feront discrets, mais on ne peut pas alléger la sécurité, c’est une certitude.

— Et le concert va avoir lieu avec des fusils pointés sur la salle, c’est ça ? demande Miss Coincée, complètement désabusée.

— Evidemment ! On aura même des gars avec des bazookas de chaque côté de la scène, dirigés sur le public, sifflé-je, agacé. Vous nous prenez pour des terroristes ou quoi ?

— Puisque vous ne le faites pas taire, c’est moi qui vais le faire, s’emporte Ysée. Je vais de ce pas aller prévenir la Gitane et on verra bien ce qu’elle va décider !

— Mais faites donc, m’esclaffé-je. Allez donc pleurer dans ses jupons, ma P’tite ! Ça ne m’étonne même pas de vous.

Elle se lève, le regard outré et animée d’une folle colère. Un vrai ouragan qui nous balance ses papiers à la tête avant de s’éloigner sans plus un mot, sous le regard un peu surpris de Julia.

— Snow, ça suffit, souffle cette dernière. J’ai l’impression de voir mes filles en train de se chamailler, sérieusement. Est-ce qu’on peut avancer sur l’organisation ? Le concert a lieu, la sécurité est renforcée, point barre. A quoi ça sert de se prendre le chou ?

Je hausse les épaules et lui fais signe de poursuivre. De toute façon, la tension est redescendue à la sortie de Miss Coincée. Je pourrais dire que c’est un truc global, qu’une fois l’électricité qu’elle dégage de par son animosité envers moi disparue, l’atmosphère s’est allégée, mais si je suis honnête, je dirais que la tension sexuelle animait un peu le débat. Y a pas à dire, elle est quand même excitante, et je ne dirais pas non à la faire taire d’une manière plus sensuelle et torride. Mais bon, No zob in job

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