Mathias

J'ai envie de bouder comme un gamin alors que Stefan, alias Hulk, s'installe au volant de la voiture pendant que j'ouvre la portière passager, mais un regard à Julia suffit à me calmer. Je ne l'ai jamais vue aussi stressée. Déjà, hier, alors que j'étais chez elle, je la sentais parfois bien loin de nous, mais je dois dire qu'elle a réussi à me faire flipper ce matin. Les menaces sont réelles, et j'ai dû lui tirer les vers du nez pour avoir les dernières informations. Ce matin, une enveloppe a été déposée au Palais avec des clichés de la Gitane pris depuis l'intérieur. Ajoutez à cela des menaces écrites, et vous obtenez une cheffe de la sécurité au bord du burn out. Je comprends que gérer le professionnel et le personnel soit compliqué, en revanche, j'ai du mal à voir la logique, pour elle, de m'envoyer avec Stefan récupérer les Grâces Machin-Chose à l'aéroport. J'ai mieux à faire que de jouer le taxi, non ?

J'allume la radio et récupère mon téléphone dans ma poche pour m'occuper pendant le trajet alors que le gros bras à ma gauche porte bien son surnom. Il grogne plus qu'il ne me parle. J'ai bien compris qu'il ne m'appréciait pas. En revanche, je n'arrive pas du tout à cerner le pourquoi du comment tous les Silvaniens que je croise ont décidé de ne pas m'aimer. Je n'ai pas l'impression d'avoir fait quelque chose de mal, je n'ai même pas décidé de venir ici, Julia m'y a obligé en jouant sur mes sentiments, cette fourbe !

— Tu connaissais ce groupe avant d'être averti pour le concert ? demandé-je au molosse en jetant un œil dans le rétroviseur.

— Bien sûr ! Tout le monde les connaît, ici, répond-il après m’avoir lancé un regard dédaigneux. Ce sont des stars et il paraît que la dernière fois qu’elles sont venues, juste avant que l’ancien Président ne transforme le pays en Dictature, c’était la folie. On ne sera pas trop de deux pour éviter la foule si elles sont reconnues ! Même si personne n’est au courant qu’elles arrivent aujourd’hui, je suis sûr qu’elles ne vont pas passer inaperçues. Impossible de toute façon vu leurs personnalités.

Je ne réponds même pas, étonné qu'il aligne plus de trois mots. Je note en revanche qu'il reste toujours aussi con avec moi et ça me gonfle.

— Je peux savoir ce que je vous ai fait, en fait ? Ou ce qu'on vous a fait, parce que vous n'êtes pas mieux avec mes hommes. Je ne comprends pas vos réticences, votre agressivité et votre façon de nous faire comprendre que nous ne sommes pas les bienvenus.

— On n’a pas besoin de vous pour apprendre notre travail, c’est tout.

— Julia est aussi française que nous, vous savez ? Et franchement, un peu d'humilité ne vous ferait pas de mal, soupiré-je. On peut toujours s'améliorer. Tous.

— Ils auraient mieux fait de nous augmenter plutôt que de vous payer des richesses pour venir faire notre travail, grommelle-t-il.

Comme si l'argent pouvait les rendre plus compétents. Je lâche l'affaire, il me gonfle lourdement. Franchement, ils sont vraiment tous bornés dans ce pays, je comprends que Julia soit au bord de l'explosion. Ils feront moins les malins quand elle piquera sa crise, parce qu'elle a beau être encore patiente, s'ils la titillent un peu trop dans les heures à venir, elle va les atomiser. J'ai hâte, et je songe même à m'arrêter à l'épicerie pour acheter du popcorn et une bière, histoire de profiter du spectacle.

Il fait chaud lorsque je sors finalement du véhicule avec Hulk, et je regrette les vacances. Quitte à subir le soleil, je préférerais être sur une plage, les pieds dans l'eau avec une jolie blonde à tripoter plutôt qu'ici.

Nous saluons d'un signe de tête deux autres gars du Palais, déjà installés à l'entrée principale de l'aéroport et qui ont dû faire le tour pour vérifier que tout était réglo, avant de nous engouffrer dans le hall.

Leurs personnalités… Je comprends mieux les mots de Hulk quand je vois débarquer trois furies multicolores qui baissent leurs lunettes de soleil, le temps de repérer les lieux. Elles s'élancent vers nous en découvrant le petit panneau cliché avec leurs prénoms que tient Stefan, et je comprends ce que peuvent ressentir les femmes quand elles ont l'impression d'être un bout de viande pour les mecs. J'ai l'impression qu'elles me foutent à poil en me reluquant sans aucune gêne, longuement et avec un sourire carnassier. Stefan n'est pas en reste, et nous nous retrouvons étouffés dans un câlin collectif que nous n'avons pas vu venir. Je jure même de sentir une main me pincer les fesses, mais je ne moufte pas et mets un terme à cet élan d'effusion en me libérant du petit cercle qu'ils forment.

Ces nanas sont folles. La cinquantaine, une attitude de diva adolescente, un rire bruyant et des voix fortes, elles ne passent pas inaperçues, c'est clair. Trois nanas que tout oppose physiquement. Une petite rousse qui semble timide au premier abord mais couve d'un regard brûlant Hulk qui est aussi détendu que s'il avait fumé une serre entière de cannabis, une brune aux formes plus que généreuses dont le sourire carnassier me donne chaud, davantage parce que j'ai l'impression qu'elle pourrait vraiment me bouffer que d'excitation, et une blonde aux mèches roses aussi élancée que J.Lo.

— Mesdames, bienvenue en Silvanie, lancé-je en Anglais avec un sourire poli. Ne traînons pas ici, la voiture nous attend.

Un vieil homme s’est approché de nous, curieux et, quand je vois son sourire s’élargir, je comprends qu’il vient de reconnaître les chanteuses. Je sens qu’il va causer une émeute s’il exprime tout haut sa découverte et, immédiatement, je me remets sur le qui vive.

— Oh, Ladies, commence-t-il dans un anglais très approximatif.

— Pas maintenant, Monsieur, grondé-je en faisant signe aux deux zozos de l’entrée d’approcher. Mesdames, on y va.

Je ne leur laisse pas vraiment le choix et m’empare de leurs valises. J’ai les mains pleines, Hulk est occupé à papillonner des yeux comme un puceau devant sa première chatte et je me sens déjà bouillonner. Je passe derrière le groupe et les pousse vers la sortie, remercie d’un signe de tête le Silvanien qui me décharge et presse les stars pour qu’elles accélèrent le pas alors qu’elles ronchonnent.

Dieu merci, nous arrivons à la voiture et j’hallucine de voir Stefan s’installer à l’arrière, entre la blonde et la brune. Je souffle en ouvrant la portière passager à la rousse avant de faire le tour du véhicule pour m’installer au volant. Derrière moi, ça glousse. A côté de moi, ça gesticule. Pitié, faites que ce voyage soit rapide !

J’envoie un message à Julia pour l’avertir que nous avons récupéré le colis avant de me tourner vers les chanteuses.

— Je suis Snow. Enchanté, mesdames.

— Tu es plus Volcan, non ? me répond la rousse en souriant. Tu me donnes plus chaud que la neige en tout cas ! Moi, c’est Erin. Et la jolie brune, derrière, c’est Brenda. Quant à la petite blonde, c’est Jenna. Mais tu dois savoir tout ça, beau blond.

J’ai l’impression d’être dans une autre dimension. Je ne sais pas, elles ont l’air d’avoir sniffé de la coke ou d’être tout simplement dingues… Et Stefan, au beau milieu, sourit comme un bienheureux. Hulk transformé en petite peluche, ça pourrait être drôle s’il n’oubliait pas son job.

Je m’attache et démarre la voiture sans tarder. La rousse, Erin, donc, monte le volume de la radio comme si elle était chez elle, et j’entends à peine les ricanements derrière moi tant c’est fort. Parce qu’elles rient vraiment bruyamment, et Hulk a lui aussi un ricanement à haut décibel. Stefan qui rit… Si j’avais su qu’il fallait lui tripoter la cuisse pour le détendre… Ouais, non, je ne l’aurais pas fait, mais ça m’agace. Et après, il va me sortir qu’ils n’ont besoin de personne pour leur apprendre leur métier ? La blague.

Je sursaute en sentant la main d’Erin se poser sur ma propre cuisse et lui lance un regard réprobateur qui ne l’arrête pas une seconde, et je dois moi-même la repousser. Je grimace lorsqu’elle agrippe mon poignet et inverse la tendance, m’offrant un regard coquin.

Bon dieu… Je me rends compte que les nanas souffrent le martyre au quotidien avec les mecs lourds qui ne captent pas les signaux. Je baisse le volume en soupirant et profite d’un feu rouge pour me dégager gentiment.

— Erin, aussi agréable soit votre compagnie, je travaille et je préférerais qu’on évite ce genre de distractions.

— Oh, tu n’es pas marrant, mon Lapin, intervient Brenda en posant sa main sur mon épaule. Quand nous serons à l’hôtel, tu ne seras plus en service. A moins que tu n’aies une épouse qui t’attend chez toi, tu es le bienvenu avec ton collègue dans nos chambres !

— C’est bien aimable, mais j’ai d’autres missions que de jouer le toy boy, Mesdames, ris-je en redémarrant, et mon planning est bien chargé.

J’ai l’habitude des femmes qui me draguent, mais honnêtement, à ce point-là… C’est plutôt drôle. Elles sont déjantées et j’en viens à me demander si Miss Coincée ne serait pas allée jusqu’à discuter avec elles pour me faire un coup fourré. Je ne sais pas si cette idée me ferait rire ou flipper, en fait. Ce serait audacieux, je l’avoue.

J’observe Stefan dans le rétroviseur intérieur et constate que si de mon côté, je trouve la situation cocasse, lui est excité comme un gamin. Un gamin de deux mètres, poilu et au regard voilé. Il faut croire qu’il a vite oublié son plan drague avec la Ministre et qu’il est ravi d’attirer l’attention de deux jolies cougars aux mains baladeuses et qui ne se gênent absolument pas pour entamer des préliminaires sur la banquette où se trouvaient deux gosses pas plus tard qu’hier.

— On va y aller mollo quand même, non ? ris-je en croisant le regard d’un Hulk coincé en sandwich et qui semble adorer ça.

— Laisse-moi tranquille, Snow. Je réalise un fantasme d’adolescent, là, me répond-il en Français.

— Sur ton temps de travail, en pleine mission de protection, grimacé-je. Et donc, j’ai rien à t’apprendre, hein ? lui rétorqué-je dans la même langue alors qu’Erin pousse un soupire adorateur en me regardant.

— Tu ne sais pas t’amuser, me lance-t-il en anglais, avant d’embrasser une Jenna visiblement ravie de l’attention.

— Oui, beau blond, m’interpelle à nouveau la rousse à mes côtés. Avec nous, tu pourrais vraiment t’amuser si tu le voulais. J’ai ce qu’il faut pour te plaire, non ? Viens donc me protéger toute la nuit, mon Volcan.

Je suis sauvé par l’entrée du parking souterrain de l’hôtel. Ouais, j’avoue qu’elles sont un peu trop chaudes pour moi, les Grâces Machin-truc. Aucune envie de plan à cinq avec Hulk. Je n’ai pas le temps de répondre que Jérémy ouvre les portières de droite. Je sors de la voiture pour ouvrir celle derrière moi et soupire en croisant le regard de mon homme. Il est clairement agacé par ce qu’il trouve à l’arrière, et puis il se fige en sentant la rousse palper son biceps avant de passer sa main sur son torse. Je ne suis pas loin d’éclater de rire, mais je me retiens, conscient que même quand on aime les femmes, ce genre de phénomène hyper frontal est perturbant.

Parce qu’elles le sont jusqu’au bout. Dans l’ascenseur, elles gloussent comme des adolescentes et Stefan se retrouve à nouveau emprisonné entre deux corps pressants. Erin semble avoir lâché l’affaire avec moi, pour le moment, et fait les yeux doux à Jérémy, profitant de l’arrivée d’autres personnes dans la cabine pour se coller à lui sans pudeur. Quand nous arrivons à l’étage où elles logent, je n’ai pas le temps de rappeler à Hulk qu’il est de garde jusqu’à vingt-deux heures que les furies l’entraînent dans une chambre. Et Jérémy peine à éconduire Erin qui fait la moue.

— Erin, nous passerons vous chercher demain à treize heures. D’ici là, pas de sortie, mais vous pouvez profiter des infrastructures de l’hôtel à loisir. Bonne fin de journée.

Je la gratifie d’un clin d’œil et d’un sourire avant d’entraîner Jérémy avec moi vers l’ascenseur. Et quand nous nous y engouffrons, nous ne pouvons pas rater la jolie rousse entrant dans la chambre où se trouvent les trois autres. Eh bien, j’espère pour Hulk qu’il a de l’endurance et qu’il est prêt à se retrouver au chômage, parce que je doute que Julia apprécie la blague, même si mon collègue et moi éclatons de rire quand nos regards se croisent.