53. La guerre des sous-entendus

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Ysée

C’est étrange de me retrouver dans ma chambre, au Palais, comme si rien n’avait changé alors que j’ai l’impression que notre périple dans la datcha de mes parents m’a complètement transformée. J’essaie d’analyser un peu pourquoi, mais je n’arrive pas à cerner ce qu’il s’est passé en moi. Je crois que je m’étais habituée à vivre avec les filles. Ça doit être ça. Ça ne peut pas être ce foutu blond qui me manque, quand même ! Si c’était le cas, hier soir, quand il m’a interpellée, je l’aurais invité à me rejoindre, non ? Et le pire, c’est que contrairement à ce que je lui ai annoncé, je n’ai même pas eu envie d’utiliser mon jouet. Je dois être malade, pas possible autrement.

Je prends une douche rapide et m’habille avant de me rendre dans la salle du Conseil où Marina a organisé une réunion d’urgence afin de faire le point sur les derniers événements. Elle a invité tous les ministres et je me joins donc à mes collègues même si j’avoue qu’en tant que Ministre de la Culture, je risque de ne pas avoir grand-chose à dire. Ce n’est pas comme si j’allais pouvoir organiser un concert ou une exposition à l’Est du pays qui allait convaincre tout le monde de faire la paix !

En attendant les derniers arrivés, je m’approche de Marina qui me sourit. Elle a l’air fatiguée mais semble s’être remise de sa blessure.

— Bonjour Marina. Contente de te revoir parmi nous. Ça va mieux ? Tu nous as fait peur.

J’avoue que j’ai un peu peur de sa réaction. Et si elle me considérait comme responsable de ce qui lui est arrivé pendant le concert ?

— Il en faut plus pour me mettre à terre, ma jolie, rit-elle. J’avoue que ça pique, comme si j’avais besoin d’être fatiguée en ce moment… Mais bon, j’ai retrouvé mes petites-filles, c’est un bon coup de fouet. Comment tu vas ? Ça a été avec les deux beaux militaires ?

— Disons que j’ai accepté la punition de devoir passer du temps avec eux, suite au fiasco du concert. Mais je suis contente d’être de retour et d’être sortie du purgatoire ! J’espère que la sécurité a été renforcée au Palais et que les filles sont en sécurité.

— La punition ? Bon sang, j’aimerais beaucoup être punie de cette façon, moi, glousse Marina en s’éventant théâtralement. Ils t’ont mis la fessée, tous les deux, c’est ça ? se moque-t-elle, me faisant rougir.

— Non, non, je suis restée sage et ils n’ont pas eu besoin de ça…

Enfin, sage, c’est vite dit, mais heureusement pour moi, la Présidente est accaparée par le Ministre des Armées et je peux m’éloigner sans avoir à m’enfoncer dans mes propos confus. Je salue Julia qui arrive en compagnie d’Arthur et de Mathias qui ont dû aussi être invités à cette réunion. Alors que je vais au fond de la salle pour prendre un des fauteuils du bout de la grande table, le Ministre des Armées m’attrape par le bras. Il a la cinquantaine, des cheveux grisonnants et un charme certain dont il use et abuse, nous en avons tous entendu parler. Il faut dire que, comme tous les militaires, il entretient son corps et qu’il a de très beaux restes.

— Janik, tu as besoin de quelque chose ? demandé-je alors qu’il m’entraîne vers un fauteuil près de lui.

— Je viens prendre des nouvelles ! Après ta petite escapade avec les Français, je voulais savoir comment tu vas. J’ai entendu parler de l’attaque, alors je m’inquiétais.

— Oh, ça va, les Français ont bien joué leur rôle de protecteurs de la femme faible et impuissante que je suis, répliqué-je en levant les yeux au ciel pour bien lui montrer qu’il n’en a rien été. Tu veux vraiment que je m’installe ici ? Le protocole voudrait que j’aille au fond, là-bas, non ?

— Le protocole ? Depuis quand est-il respecté, dans ce Palais ? rit-il. Installe-toi, ça me fait plaisir de te voir, j’ai envie de profiter de ta compagnie pendant cette réunion qui promet d’être… épuisante ? Agaçante ? Déprimante ? J’hésite encore.

J’émets un petit rire poli et m’assois à ses côtés alors que Marina prend la parole et rappelle le contexte dans lequel nous sommes ainsi que les éléments d’information sur la situation à l’Est afin que tout le monde soit au courant. Mathias est en face de moi, de l’autre côté de la table, et j’ai l’impression qu’il est aussi peu attentif que moi à ce que dit la Présidente. Il passe son temps à me dévisager avec un air un peu perplexe dont il ne doit même pas se rendre compte, je pense, et ne fait pas très attention au jeune traducteur assis à ses côtés, qui est venu pour qu’il puisse participer aux débats qui auront tous lieu en silvanien.

— Et donc, Janik, tu as pu étudier ma proposition d’attaquer les rebelles de front afin de régler définitivement le problème ? lui demande notre dirigeante.

— Marina, tu sais bien que je vais toujours droit au but et que je suis là pour mettre en œuvre tes politiques. Donc, oui, j’ai étudié les choses. Et j’ai encore besoin de le faire plus en profondeur afin de voir les différents scénarios possibles.

Mais pourquoi me regarde-t-il ainsi en répondant à Marina ? Et pourquoi ai-je la désagréable sensation qu’il y a un double sens à ses mots et qu’il est en train de m’envoyer un message pas si caché que ça ?

— Arrête donc tes discours pompeux, Janik, se fait-il réprimander. Tu crois qu’on peut lancer les troupes à l’assaut quand, alors ?

— Vu la vigueur de nos forces et leur désir de conclure l’affaire, si tu en donnes l’ordre, je suis prêt à me consacrer à cette tâche dès ce soir. Tu sais comme j’aime mettre du cœur à la besogne.

Là, il n’y a plus de doute. Son regard est toujours porté sur moi et son désir est clair. Ses paroles me font à la fois frissonner car il sait vraiment y mettre le ton qu’il faut, mais elles me répugnent en même temps. Je n’ai aucune envie de céder aux charmes de ce fou capable de parler de stratégie armée et amoureuse dans un même discours.

— Et donc, c’est quoi, le plan ? intervient en français Mathias en se redressant sur son siège. Parce que personnellement, la seule chose que je vois, là, c’est votre campagne d’invasion personnelle, Monsieur le Ministre. Pour le pays, qu’en est-il ?

Janik se tourne vers le Français, visiblement agacé, et je ne peux retenir un sourire. J’ai l’impression que Mathias est plus énervé par les regards que le Ministre me lance que par ses propos.

— Pour le pays, intervient Marina, les choses sont claires. Nous sommes attaqués, il nous faut répliquer. Envoyer toutes nos troupes à l’Est et éliminer cette rébellion une fois pour toutes ! Janik dit qu’il est prêt, on ne va pas se priver d’y aller quand même !

— Janik m’a plutôt l’air prêt à se vider les bourses qu’autre chose, marmonne Julia suffisamment fort pour que tout le monde l’entende.

Je pouffe alors que le Ministre se renfrogne et lance un regard noir vers mon amie qui fait comme si de rien n’était avant de lever la main pour prendre la parole.

— Julia, tu garderas tes remarques pour toi, s’il te plaît. Tu avais des choses plus intéressantes à dire ? la réprimande Marina alors que toute son attitude fait comprendre qu’elle est plus amusée que fâchée.

— Mes excuses, Madame la Présidente. Je me demandais seulement à quel moment le Ministre des Armées a pu confondre le corps d’une femme avec un territoire. Bref, vous connaissez mon avis à ce propos. Aller attaquer maintenant serait déclarer une nouvelle guerre alors qu’on travaille en sous-marin pour débusquer les têtes de ces organisations afin de mettre un terme à tout ça sans risquer la sécurité de la population.

— Et nous n’avons pas les moyens économiques de faire cette guerre, Marina, intervient la Ministre du budget. Tant que nos alliés ne nous auront pas fourni d’armes ou d’argent pour en acheter, si on se disperse, on ne pourra même plus protéger la capitale. Malheureusement, je pense que dans la situation actuelle, il faut essayer de les contenir à l’Est, mais on ne pourra pas les déloger.

Je suis surprise de son intervention. D’habitude, elle fait juste figuration et reste très discrète. Pour qu’elle prenne ainsi la parole, la situation économique doit vraiment être désespérée. Janik, à mes côtés, se penche vers moi et me souffle dans l’oreille.

— J’espère que tu ne vas pas te mettre à essayer de me contenir, toi aussi.

— Je crois qu’il va falloir que tu te reconcentres sur ton travail et tes missions, Janik, sinon tu risques d’y laisser ton poste parce que là, clairement, ta stratégie est inefficace, chuchoté-je dans sa direction.

Marina reste silencieuse alors que différentes conversations en chuchotis se déroulent de part et d’autre de la table. Le jeune traducteur est en train de parler avec Mathias mais il n’a pas l’air de l’écouter. Je le vois, crispé, en train d’observer la main de Janik toujours posée sur mon bras. Cela me fait sourire et, même si je meurs d’envie de repousser le Ministre, je n’en fais rien et profite de la situation. Je me rends compte que j’adore provoquer ainsi le beau blond qui me fait face.

— Arthur, toi qui n’es pas militaire, tu en penses quoi ? La population est prête à une offensive ou ils sont plutôt à vouloir attendre ? l’interroge sa mère.

— Je pense que personne ne veut la guerre. Et je rejoins Julia, Maman. Il vaut mieux pour l’instant essayer de couper les têtes des leaders que se lancer dans une grande offensive dont les résultats sont aléatoires et qui pourrait mettre tout le pays en danger.

Eh bien, lui aussi assume son positionnement alors que d’habitude, il reste plus sur la réserve. La réunion est loin d’être aussi déprimante que le laissait entendre Janik au début. D’ailleurs, je profite de cette intervention pour repousser sa main et m’éloigner un peu de lui et de ses avances.

— Bien, Janik, on va patienter pour l’instant. Ysée, vu que tes missions à la Culture sont à l’arrêt en ce moment, essaie de te rapprocher des ambassades et d’utiliser tes charmes pour qu’on ait des armes et de l’argent. Cela vaudra mieux que de distraire les troupes locales. On se revoit dans deux jours. Je veux que chacun d’entre vous ait déterminé des pistes d’action pour remporter cette guerre et terminer enfin ce conflit qui a trop duré. Je vous rappelle qu’on a promis au peuple la Paix et j’ai bien l’intention de tenir ma promesse. La séance est levée.

Théâtralement, elle quitte son fauteuil et sort de la pièce sans plus un regard. Je crois qu’elle pourra vraiment faire actrice si elle quitte un jour sa fonction de Présidente. En ce qui me concerne, je n’ai pas apprécié sa remarque finale. J’ai l’impression qu’elle veut que je joue à la pute pour aller récupérer des armes et, même si une part de moi est flattée qu’elle me confie une tâche de cette importance, l’autre part est en colère car je pense avoir d’autres arguments que physiques pour assurer mes missions. Il va falloir que je prenne un temps avec le Ministre des Affaires Étrangères afin de déterminer quelle est ma marge de manœuvre dans les négociations avec les pays voisins. Et ça promet d’être ennuyeux à souhait vu le personnage. Vivement la fin de cette stupide guerre.

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