54. Sa famille de cœur

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Mathias


— Les filles veulent que leur Tonton Héros leur souhaite bonne nuit.

Je me tourne vers Arthur qui me sourit et me fait signe d’y aller. Je voulais vraiment leur laisser de l’espace pour se retrouver tous les quatre, mais Julia a insisté pour que je partage leur repas ce soir. Alors j’ai lâché la chambre d’hôtel où j’étais enfermé depuis le début d’après-midi pour les rejoindre au Palais, dans une suite bien trop guindée pour moi où ils logent pour le moment. J’ai menti aux filles, elles ne sont pas vraiment rentrées chez elles, mais elles n’ont pas l’air de m’en vouloir plus que ça.

Je repose ma bière sur la table basse et quitte la terrasse pour les rejoindre. Lila et Sophia sont lovées contre leur mère, dans un lit deux places, et, en bon Tonton qui fait n’importe quoi, je saute et m’étale à côté d’elles, les faisant rebondir et rire.

— Alors comme ça, on ne peut plus se passer de moi, les terreurs ?

Toutes les trois se jettent un regard complice et je suis envahi en un quart de seconde de petites mains qui cherchent à me chatouiller. J’éclate de rire quand Julia me grimpe sur les jambes et m’enlève mes baskets. Mon seul point faible, sur lequel les petites se jettent. C’est une mission commando réussie, j’en viens à déclarer forfait en les suppliant de me libérer.

— Allez, un câlin et dodo, les terreurs !

Je me retrouve emprisonné contre trois corps. Julia et Lila sur mes flancs, Sophia allongée sur mon torse. Ok, je suis sûr que de l’extérieur, tout ça pourrait paraître un peu bizarre. Peut-être même qu’Arthur pourrait être jaloux ? Si j’en crois son sourire lorsqu’il se plante à la porte, je ne pense pas. En tous cas, moi, ça me fait un bien fou. Une belle soirée pour clôturer cette mission.

Je noie les petites de bisous avant de regagner la terrasse et me laisse choir sur le fauteuil en récupérant ma bière, non sans lâcher un bâillement à réveiller les morts.

— Jolie intervention au Conseil, ce matin, Zrinkak, au fait. Bien joué, même si je suis étonné que ta mère t’écoute. Est-ce qu’elle est devenue plus sage en vieillissant ?

— Je crois qu'elle a surtout compris qu'elle n'avait pas l'argent. Si elle en vient à compter sur les charmes d’Ysée pour en trouver, c'est qu'on ne peut vraiment pas faire autrement !

Ouais, j’avoue que la remarque de Marina est mal passée chez moi. Et pas que chez moi, d’ailleurs. Le traducteur à côté de moi a hésité avant de me rapporter ses propos. Franchement, je ne pensais pas que la Gitane en viendrait à ça, c’est clairement un retour en arrière pour la condition de la femme.

— Hum… Y a mieux comme façon de faire, c’est plutôt dégradant de dire ça à Ysée. Elle n’est pas stupide et Marina l’a clairement rabaissée à un physique, marmonné-je alors que Julia s’installe sur les genoux de son homme.

— Il faut dire qu'elle a vraiment de beaux atouts, Ysée, soupire mon amie. Marina sait quelles sont les forces qu'elle peut activer.

— Et depuis quand tu considères que des seins et un cul sont des forces à activer pour obtenir des armes et de l’argent ? m’étonné-je. T’imagines comme elle doit se sentir en ayant entendu ça, elle ?

— Eh bien, te voilà devenu plus féministe que les FEMEN ou c'est parce qu'on parle de ta partenaire d'escapade que tu réagis ainsi ?

Je soupire et enfile mes lunettes de soleil. Pour supporter le soleil qui se couche ou pour me planquer ? Au choix… Un peu des deux, sans doute.

— Tu sais bien ce que je pense de tout ça. Dix ans à supporter tes crises de féministe, forcément que ça a déteint sur moi, souris-je. Avoue que si Marina t’avait fait cette proposition, tu aurais rué dans les brancards. C’est d’ailleurs plutôt étonnant qu’Ysée ne l’ait pas fait. Y a qu’avec moi qu’elle mord dès qu’on ouvre la bouche ?

— Je crois qu'elle adore te titiller, en effet. Vous avez réussi à vous supporter pendant votre mission ? Je suis surprise que vous ne vous soyez pas rapprochés un peu.

J’ai vraiment bien fait de mettre mes lunettes de soleil, vu comment la conversation dévie. Et si j’en crois le regard qu’Arthur lance à Julia avant de se lever et de la poser sur le fauteuil, je pense que je vais me dépêcher de finir cette bière et rentrer à l’hôtel.

— Je vous laisse, j’ai un dossier à finir, poursuit Arthur avant d’embrasser sa femme. Mat, on se revoit très vite.

J’acquiesce et lui serre la main avant de l’observer disparaître à l’intérieur. Je crois que je suis tombé dans un traquenard digne de ce nom.

— On a enterré la hache de guerre pour que tout se passe bien, même si c’était un peu tendu, parfois. Elle n’en fait vraiment qu’à sa tête, lancé-je finalement.

— Tendu ? Genre dans le caleçon, Lieutenant Canon ?

Merde… Toujours peser ses mots avec Julia Vidal-Zrinkak. Je suis trop crevé pour faire attention à tout ça, ce soir.

— En même temps, elle est canon, normal que ça fasse son effet, non ? Mais je parlais surtout de l’ambiance.

— Oui et une belle femme qui te résiste, toi, tu ne sais pas gérer. Elle n'a pas arrêté de te regarder pendant la réunion ! Tu me cacherais pas un truc sexy et un peu cochon, Mat ?

Je manque de m’étouffer avec ma bière et ricane en repensant à ce qui s’est passé à la rivière. Une belle femme, clairement, mais pour la résistance, on en est loin.

— Tu déconnes, Ju ? No zob in job, tu te rappelles ?

— Oui, et tu vois où ça m'a menée ! rit-elle à mes côtés. Tu es toujours obnubilé par le passé en fait, c’est ça le problème ?

Je me renfrogne et la fusille d’un regard qu’elle ne doit pas voir à travers les carreaux. Aucun rapport avec le passé, qu’est-ce qu’elle raconte ?

— Ça n’a rien à voir. Pourquoi tu dis ça ? Oui, j’ai couché avec Ysée, et d’ailleurs, c’est elle qui m’a sauté dessus, mais ça s’arrête là.

— Elle t’a sauté dessus et tu n’as pas pu t’y opposer ? Tu me fais rire ! Et c’était comment ? Tu as pris ton pied, au moins ? Ou alors, c’était tellement décevant que c’est pour ça que tu as envie d’arrêter ?

— Pourquoi, t’es jalouse ? plaisanté-je. Ça n’a aucune espèce d’importance, de toute façon. Je vais bientôt rentrer à la maison.

— Comment ça, tu vas rentrer à la maison ? Tu rigoles ou quoi ? Tu n’es pas bien, ici, près de nous ?

— J’ai une boîte à faire tourner, Julia… et une mère à retrouver aussi. Je… Tu sais bien que si je pouvais me couper en deux, je serais là aussi, j’adore passer du temps avec vous. Enfin, avec les filles, au moins !

— Tu n’es pas en train de fuir ta nouvelle conquête ? Parce que pour une fois, ce n’est pas un coup d’un soir et ça te fait peur ? Si c’est ça, tu es bête, Mathias Snow. Après, si c’est vraiment pour retrouver ta mère, je n’y trouverai rien à redire…

Elle commence à me gonfler, là. Je ne fuis pas Ysée, qu’est-ce qu’elle raconte ? Pourquoi faut-il toujours qu’elle cherche à me comprendre et à résoudre une équation qu’elle seule voit ?

— C’était un coup du matin et rien de plus, bougonné-je. Ysée est bien trop compliquée pour envisager quoi que ce soit de plus. Sérieux, Julia, elle doit être bipolaire ou un truc dans le genre. Et carrément trop têtue. Je… Merde, c’est trop compliqué tout ça, j’ai pas le temps pour du compliqué, et pas l’envie non plus.

— Et donc, tu vas retourner à ta petite vie, à ressasser l’amour fou que tu as connu avec Justine sans te donner la chance d’un nouveau départ ? Je ne dis pas qu’avec Ysée, ce serait le cas, mais elle a clairement l’air de vouloir plus après ce coup du matin. Et c’est une femme bien, en plus, même si elle a un sacré caractère et qu’elle reste parfois un mystère impossible à comprendre.

— Quand est-ce que vous allez me foutre la paix avec Justine, sérieux ? m’agacé-je en me levant. Comme si c’était ma faute si elle s’est barrée, j’en paie déjà le prix, pas besoin de me le rappeler encore et encore.

— C’est juste que toi aussi, tu as le droit au bonheur, mon Chou, insiste Julia en se redressant pour venir me serrer dans ses bras. Et que ça nous fait tous mal au cœur de voir qu’un mec presque parfait comme toi ne fait qu’enchaîner les coups d’un soir sans jamais se caser. Tu imagines ce que tu pourrais faire découvrir à une femme amoureuse ?

— Crois-moi, Ysée me trouve tout sauf presque parfait, ricané-je en l’emprisonnant dans mes bras. Je ne suis juste pas prêt à accorder ma confiance à une femme, c’est comme ça. Arrêtez de vous inquiéter pour moi, je vais bien.

— Crois-moi, si tu t’ouvres à elle, elle ne pourra plus se passer de toutes tes qualités ! Tu sais que si je n’avais pas rencontré Arthur, on aurait sûrement fini ensemble ? Et que rien que ça me donne le droit de m’inquiéter pour toi. Sans oublier toutes les fois où j’ai sauvé ton joli petit cul.

— Un mot de toi et je t’enlève à ce rustre franco-silvanien, tu le sais ? lui lancé-je suffisamment sérieusement pour qu’elle fronce les sourcils en m’observant avec attention.

— Ah non, moi je préfère les ours un peu rustres aux beaux mecs trop gentils ! Tu ne peux pas lutter, là, même avec ta belle barbe de sauvage !

— Tu me brises le cœur, feins-je. Tu ne sais pas ce que tu perds ! Demande à Ysée l’effet que ça fait de jouir avec moi, tu verras ! Elle en redemandait encore, je suis addictif !

— Eh bien, je lui demanderai, oui ! Je suis curieuse de discuter de tes prouesses avec elle, Lieutenant Canon. Et je te laisse imaginer notre discussion quand je vais comparer ce qu’elle dit à ce que je vis avec Arthur ! Ça, c’est une discussion qui promet !

— Arrête, je t’interdis d’en parler avec elle, elle va me couper les couilles si elle sait que je me suis confié à toi ! m’affolé-je avant d’éclater de rire. Ju, je crois que j’ai plus peur d’elle que de toi, tu as été détrônée !

— Oui, ça m’en a tout l’air. Tu devrais peut-être aller la voir et lui parler avant de rentrer directement en France. Pour arriver à cet exploit, elle a quelque chose en plus, c’est certain !

— Oui, un caractère de merde, encore pire que toi. C’est flippant, soupiré-je. Non, en fait, je crois que ce qui est flippant, c’est que je n’arrive pas à la cerner. Elle… Quand on a été attaqués, elle a été parfaite, à l’écoute, là pour les filles, calme. Bref, posée, quoi. Et le lendemain matin, elle se balade à poil dans la rivière comme s’il n’y avait aucun risque, elle me provoque et me chauffe comme pas possible sans se soucier du danger. Tu vois ? Je… J’en sais rien, je suis paumé avec elle. Tout ce que je sais, c’est qu’encore une fois j’ai fait passer mon désir avant la mission. Qui sait ce qui aurait pu se passer pendant qu’on baisait, hein ?

— Moi je sais que je ne t’ai pas vu comme ça depuis très longtemps. Arrête de te poser tant de questions, tu devrais profiter un peu plus de la vie, Mat. Et ne pas rentrer tout de suite pour laisser une chance à cette relation qui pourrait au moins te permettre de vraiment tourner la page, même si ça ne donne rien sur le long terme. Après, tu vas me dire que je parle égoïstement, mais toutes les raisons sont bonnes pour te garder à nos côtés. Les filles t’adorent, Arthur t’apprécie et moi, sans mon meilleur ami et fidèle second, je dépéris. Alors, profite de la vie, tout simplement !

— T’as pourtant l’air plutôt en forme pour une nana qui dépérit, ris-je en lui claquant la fesse, récoltant une bourrade dans l’épaule que j’ai à peine le temps de voir venir. Oh, ça va ! Allez, file rejoindre ton Bûcheron, moi je vais me pieuter.

— Bonne nuit, Mat. Et n’oublie pas, quoi qu’il arrive, tu peux toujours venir m’en parler. La famille, c’est sacré et tu es mon frère de cœur. A demain.

Je l’attire à moi et l’embrasse sur le front avant de filer. Je ne suis pas du genre à m’épancher, loin de là, et ce moment était plutôt… gênant, pour moi. J’ai essayé d’éluder, mais je me suis plus confié que je ne l’aurais pensé. Je doute de réussir à fermer l’œil cette nuit, forcément, parce que je ne peux m’empêcher de repenser à ce qu’elle m’a dit. Comme si je n’avais pas déjà assez de trucs en tête, il faut en plus qu’elle me pousse à réfléchir à ma non-relation avec une Ministre aussi casse-couilles que sexy. La nuit promet !

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