76. Au milieu des balles

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Mathias

Je me mets à couvert derrière un arbre et recharge mon arme en jetant un œil en direction des autres. Putain, c’est un bordel sans nom ici. Ces trouillards ont fui comme des lâches dès la première explosion et nous nous sommes retrouvés à devoir jouer aux chasseurs. Imprévisible, risqué, comme si la base de cette mission n’était déjà pas assez bancale.

— Je recharge !

J’observe Jérémy se planquer à son tour en grimaçant. Lui qui devait rester en retrait se retrouve au cœur de l’action et il morfle, mais comme à la belle époque, il ne lâche rien. Bon sang, cette mission a beau être une galère sans nom, retourner sur le terrain avec les gars me procure un certain bien-être que j’avais perdu en rentrant définitivement à Paris. J’ai toujours aimé le terrain et ces décharges d’adrénaline qui me parcourent alors que je risque ma vie sont tout ce qu’il y a de plus vivifiant.

Je sors de ma planque pour éviter que nous soyons encore plus désavantagés par le sous-nombre et canarde en direction de ces foutus rebelles qui ne lâchent pas l’affaire.

— Hélicos ! beugle Seb, un peu en retrait.

Effectivement, le bourdonnement des appareils se fait entendre au loin et c’est cet instant de flottement que choisissent les ennemis pour décamper. Je lève les yeux vers le ciel tandis que mes camarades continuent de tirer, et soupire de soulagement en repérant le sigle de l’armée silvanienne. Je déchante cependant rapidement en entendant les tirs au loin redoubler, et des bruits de tôle percutée qui me font grimacer. Les gars aussi l’ont repéré et se précipitent vers l’ennemi pour les empêcher d’endommager notre soutien aérien.

Heureusement, ils semblent se poser dans la clairière avant que les rebelles ne l’atteignent et j’en vois quelques-uns tomber sous les balles de mes hommes. Quand les premiers tirs de l’armée silvanienne se font entendre, j’attrape ma radio et me branche sur le canal prévu pour avertir les hommes de notre position.

— Faites gaffe aux tirs croisés !

A défaut de tous les coucher, nous nous retrouvons avec une troupe de souris en train de fuir lâchement. Ils ont beau jouer les gros bras, il faut croire qu’ils ont perdu leur service trois pièces en cours de route.

Je souris en entendant Ladko nous dire de ne pas les laisser se barrer et, sans aucune hésitation, tout le monde s’attèle à la tâche, tentant de n’en manquer aucun. Un peu galère, ils courent comme de vrais lapins et ça pourrait presque être drôle.

— Hé, Mat ! C’est pas Ysée, là-bas ?

Je me tourne en direction de Sébastien qui montre du doigt un point au loin. Impossible, elle n’aurait pas fait ça quand même ? Je récupère mes jumelles en me mettant à couvert et grogne en constatant que cette folle est bien là. Mais qu’est-ce qui lui a pris, encore ? C’est pas possible !

— Si elle ne se prend pas une balle, je vais la tuer de mes propres mains ! Je décroche, les gars, je vais récupérer cette dingue !

Je n’attends pas leur réponse et m’élance en direction de la Ministre quand je me fige brusquement. Je sursaute en entendant une balle siffler tout près de moi et me planque derrière un arbre en mettant en joue la raclure qui vient de mettre Ysée au sol. Putain, je ne suis pas à portée de tir et je sens mon estomac se tordre brusquement. Je reprends ma course sans quitter des yeux le groupe qui s’est formé autour de la Ministre et ne regarde même pas derrière moi alors que j’ai conscience qu’il y a du mouvement. Les tirs dans mon dos se sont estompés et je ne sais pas si c’est parce que les rebelles ne sont plus de ce monde, se sont définitivement fait la malle ou si c’est parce que toute mon attention est focalisée sur Ysée, brutalement relevée par deux types qui la palpent comme si elle était un morceau de bidoche. Je vois rouge quand elle se prend un coup dans le ventre et accélère encore la cadence quand ils me repèrent. Putain, c’est foutu pour l’effet de surprise.

— Je suis derrière toi, Mat !

La voix de Jérémy me parvient au loin, mais honnêtement, j’ai l’impression que je pourrais tous les tuer à mains nues sans l’aide de quiconque tant je bouillonne. Ces crétins se sont mis à courir et j’hésite à m’arrêter pour les descendre, maintenant que je me suis rapproché, ou à les rattraper. Viser en pleine course alors qu’on s’enfonce dans la forêt n’est pas la meilleure idée qui soit, je pourrais toucher Ysée. Si seulement Jérémy avait son fusil de précision, il pourrait les descendre, même avec son épaule blessée, mais il va falloir faire sans.

Un léger sourire naît sur mes lèvres en voyant ma furie se débattre comme elle peut, mais les types ne se gênent pas pour la brutaliser et la maintenir en place. D’où je suis, je parviens à l’entendre vociférer en silvanien alors que l’un des types se prend un coup dans les bourses qui le plie en deux et les oblige à ralentir la cadence. Quand je vois cette ouverture, je n’hésite plus. Je m’arrête, vise et expire lentement avant de tirer, couchant l’un de ceux qui maintenait Ysée. Tous les regards convergent vers moi et deux d’entre eux se mettent à tirer, m’obligeant à me planquer derrière un tronc d’arbre alors que la Ministre pousse un cri qui me déchire les entrailles. Je crève d’envie de faire une vraie boucherie, mais je me raisonne comme je peux et m’enjoins au calme pour ne pas merder totalement. Je m’accroupis pour trouver un angle de tir quand je constate qu’ils ont repris leur course, et Jérémy me rejoint avec Ladko, tous deux aussi essoufflés que moi. Aucun mot n’est nécessaire pour que nous reprenions notre chasse à l’homme et j’ai l’impression que l’adrénaline décuple encore davantage mes forces. Usain Bolt peut bien se rhabiller aujourd’hui, je suis quasi sûr que je pourrais pulvériser son record. C’est juste une question de survie. Je ne permettrais pas qu’il arrive quelque chose à Ysée, je refuse d’échouer et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour la rejoindre. Il faut dire qu’elle m’aide, elle est déchaînée et je ne sais pas trop si c’est la peur où la colère qui la motive, mais elle ne se laisse pas faire, esquive comme elle peut les coups et les empêchent de reprendre leur course à bonne vitesse.

Le moment le plus difficile arrive quand les gars se rendent compte que nous sommes à deux doigts de les rattraper. Ils se stoppent finalement, se tournent dans notre direction et recommencent à nous tirer dessus alors que l’un d’eux se poste derrière Ysée qu’il utilise comme bouclier. C’est maintenant qu’il faut un self-control du tonnerre, une lucidité parfaite et un cerveau bien irrigué. Aucune possibilité de merder. Un regard à Jérémy, Ladko planqué pas loin, nous patientons jusqu’à ce que le bruit des balles diminue en intensité. Mon ami beugle un “Go” qui signe notre départ, nous sortons de nos planques et visons les derniers gars dont les chargeurs ne sont pas vides pour les abattre avant que notre camarade silvanien s’adresse à eux pour leur ordonner de déposer leurs armes.

Ysée ne bouge plus d’un poil, toujours maintenue par un type à moitié chauve et au regard fou. Son bras passé autour des épaules de la Ministre, il ne la lâche pas, la presse davantage contre lui, quand nous sursautons tous au bruit d’un coup de feu. Immédiatement, mon regard scanne Ysée puis mes compagnons avant de revenir sur celle qui est aussi dingue que courageuse quand je constate qu’elle est entraînée au sol, tombant en arrière. Je me précipite vers elle et relâche mon souffle quand je comprends que ce n’est pas elle qui a été visée. J’attrape ses mains pour l’aider à se relever et vérifie qu’elle n’est pas plus blessée que ce que les coups ont laissé comme marques avant de me tourner vers les gars.

— Putain, mais qui a fait ça ? Vous vouliez la tuer ou quoi ?

— C’est moi ! crie une voix féminine. Et elle n’est pas morte, Chef, tout roule.

Katya, la jeune soldate silvanienne qui nous accompagne sur la mission, me lance un sourire mi-gêné, mi-condescendant qui me ferait bondir si je n’étais pas à quelques centimètres d’une Ysée que j’ai autant envie de tuer de mes mains que d’embrasser.

— Occupez-vous de ceux-là avant que je ne les achève, grogné-je en attrapant le coude de la Ministre. Je reviens !

Je l’entraîne un peu plus loin, pas trop non plus vu où nous nous trouvons, et l’accule contre un arbre en la fusillant du regard. Ou pas, je ne sais plus trop, putain, je suis trop soulagé qu’elle aille bien et j’ai le cerveau en ébullition alors que je pose mes mains un peu partout sur son corps.

— Tu vas bien ? Où est-ce que tu as mal ? Tu n’es pas blessée ?

— Ça va, oui, tu peux le voir, non ? me répond-elle fièrement. Et toi ? Pas blessé ? Qu’est-ce que j’ai eu peur pour toi.

— Mais qu’est-ce que tu fous ici, bordel ? explosé-je finalement. T’es tarée ou quoi ?

— Et toi, pourquoi tu ne m’as pas donné de nouvelles ? J’étais morte d’inquiétude ! Tu ne te rends pas compte à quel point je crevais de te savoir en danger !

— Et tu voulais que je te donne des nouvelles à quel moment, au juste ? Entre un lancer de grenade et une balle manquée ? Non mais t’es complètement dingue, merde ! Je fais mon boulot, j’étais un peu occupé, figure-toi !

Je recule de quelques pas en me rendant compte que je suis à moitié hors de contrôle et souffle bruyamment pour essayer de me calmer sans jamais rompre le contact visuel avec elle.

— Oui, eh bien, ne recommence plus jamais ça ! me réprimande-t-elle à ma grande surprise. Je ne veux plus que tu m’oublies comme ça !

— Et toi, arrête de te foutre en danger pour des conneries, grondé-je en approchant à nouveau. Tu vas finir par me tuer rien qu’en respirant et en pointant ton fessier là où il ne devrait pas être ! T’aurais pu te faire tuer, tu t’en rends compte ? Qu’est-ce qui t’a pris de débarquer ici toute seule ? Il te manque une case ou quoi ?

— C’est toi, la case qui me manque, imbécile. Tu veux que je te fasse un dessin pour le comprendre ou quoi ?

Je souffle à nouveau et me pince l’arête du nez, enjoignant mon palpitant à ralentir sa course. J’ai vraiment eu la trouille.

— Tu te rends compte que ces types auraient pu t’achever avant qu’on arrive, quand même ? marmonné-je en attrapant son visage entre mes mains.

— Je savais que tu allais arriver, Mathias. J’ai confiance en toi, je n’ai même pas eu peur, tu vois.

— Je ne suis pas un super héros, Ysée, même si j’avoue que ça me flatte. Et si on ne t’avait pas vue, hein ? Si Seb ne m’avait pas prévenu… Bon dieu, tu vas me tuer. Joli coup de pied, au fait !

— Je peux me débrouiller sans un mec, tu sais ? J’avais presque réussi à me libérer quand vous êtes intervenus ! me répond-elle, affichant sans vergogne sa mauvaise foi.

— Boucle-la, Ysée, grogné-je en plantant un rude baiser sur ses lèvres.

J’imaginais m’arrêter là, mais mon sang bout dans mes veines et je réclame bien plus, l’enlaçant étroitement en dévorant cette jolie bouche qui parle bien trop pour ma santé mentale. Je prends plus que je donne, je crois, je m’infiltre entre ses lèvres, nos langues se battent plus qu’elles ne dansent ensemble, et je gronde en sentant les doigts d’Ysée agripper mes cheveux. Elle gémit contre moi et je me rends compte que je la presse contre l’arbre sans aucune douceur. Ouais, elle va me rendre dingue, ou je le suis déjà. Un reste de lucidité me pousse à calmer le jeu, je ne sais trop comment, et je pose mon front contre le sien alors que nous sommes tous les deux hors d’haleine.

— Ne refais jamais ça, sinon je te jure que je n’aurais plus aucune retenue quand je m’occuperai de ton postérieur, Ysée.

— Encore des promesses ? répond-elle en souriant, mutine. Ne t’étonne pas si je ne te laisse plus jamais tranquille, Beau Blond.

— Je suis sérieux, Ysée, soupiré-je. Tu n’aurais jamais dû venir ici. Comment j’aurais expliqué ta disparition, moi ? Et… Merde, tu m’as foutu la trouille, ne recommence jamais ça, sinon je te séquestre jusqu’à la fin de tes jours dans une cave dégueulasse.

Un raclement de gorge nous interrompt et je constate que nous avons des spectateurs. Forcément. Pire que les petites vieilles qui passent leurs journées sur leur balcon pour jaqueter, Jérémy et Sébastien ont un petit sourire en coin qui me donne envie de leur refaire le portrait.

— Bouclez-la, marmonné-je en sortant ma radio. Je vois où on en est, j’espère qu’on va pouvoir rentrer récupérer Daryl, j’en ai ma claque de cette putain de forêt silvanienne.

Je m’éloigne sans attendre pour me recentrer sur la mission première, du moins celle du jour, légèrement déviée par une ministre rebelle qui n’en fait qu’à sa tête. Si elle était arrivée dix, quinze minutes plus tôt… Elle aurait sans doute été au beau milieu des balles, à cet endroit, ou alors… Nous n’aurions même pas vu qu’elle avait été embarquée. C’est définitif, cette nana n’a aucune conscience du danger, je ne vois pas comment il peut en être autrement. Sinon, pourquoi se retrouve-t-elle toujours là où ça craint pour son popotin, hein ?

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