81. Un retardataire bien énervé

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Ysée

Je presse le pas dans ces longs couloirs qui relient mon appartement à la salle de réunion où se déroule le Conseil de Sécurité sans lâcher la main de Mathias que j’entraîne à ma suite, sous bonne escorte du garde qui a dû bien profiter de notre étreinte pas du tout discrète. Quelle idée de céder ainsi à ce désir qui nous a consumés et emmenés en un rien de temps vers un plaisir incroyable. Mathias est un amant formidable et franchement, même si je dois être décoiffée et avoir les joues rougies, je ne regrette pas du tout notre petit moment d’égarement. Des orgasmes comme ça, j’en demande et redemande !

Arrivée devant la porte de la salle, je fais une petite pause et reprends mon souffle quelques instants. J’essaie rapidement d’arranger ma coiffure mais je sais que je ne parviendrai pas à dissimuler grand-chose. Je vole un baiser à mon beau Français et ouvre la porte avant qu’il n’ait le temps de réagir. C’est le Commandant qui est en train de présenter une carte et, bien entendu, il se stoppe quand on arrive et tout le monde porte son attention sur nous. J’essaie de la jouer discrète, sans vraiment regarder qui que ce soit, mais Marina ne manque pas l’occasion de nous rappeler à l’ordre.

— Eh bien, merci de nous faire cadeau de votre présence à tous les deux ! Il était temps… Est-ce que vous vous êtes perdus en route ? Ou peut-être vous êtes-vous fait attaquer ?

— Excuse-nous, Marina. Mathias et moi, nous faisions un point sur le rapport de la mission de sauvetage de mon frère, dis-je sans perdre mon sang-froid. On est allés en profondeur et on n’a pas vu le temps passer, ajouté-je, l’air de rien.

— Ben voyons, marmonne la Gitane en nous faisant signe de nous asseoir. Le rapport de mission… Il faudra que vous m’expliquiez en quoi c’était utile alors que Mathias a déposé le sien à ma secrétaire en arrivant, ce matin.

Je préfère ne pas répondre et glisse un petit sourire à Mathias qui a l’air de ne plus savoir où se mettre. J’ai au moins cet avantage sur lui, c’est que j’ai l’habitude des réunions et de la prise de parole en public. Il s’installe à mes côtés alors que Marina fait signe à son compagnon de reprendre sa présentation.

— Désolé, je reprends pour les retardataires, indique-t-il en silvanien, visiblement agacé de l’interruption. Donc, comme je le disais, et ceux qui étaient là à l’heure le savent déjà, notre opération est à la fois un succès car nous avons repoussé les rebelles presque jusqu’à la frontière, mais que justement, ce repli ne nous a pas permis de finaliser notre reprise en main de tout le pays. Nous pensons avoir détruit près de quatre-vingts pourcents de leur force militaire, mais l’influence des mafias est encore forte et la paix ne passera que par une opération de plus grande envergure qui nous permettra de couper les têtes au plus haut niveau. Sinon, comme une hydre, les membres de cette organisation malfaisante repousseront toujours.

J’entends à mes côtés la traduction en français de tout ce discours qui est édulcoré par le traducteur qui ne retranscrit pas l’agacement suite à notre retard. Au moins, Mathias va pouvoir se remettre sans se sentir coupable. Suite à l’exposé des faits, le Commandant s’adresse à Mathias.

— Lieutenant Snow, puisque vous avez pris le temps avec Madame la Ministre de réétudier la question et que vous étiez sur place, que pouvez-vous nous dire de la situation à l’Est ? Peut-être que vous n’aurez pas besoin d’aller aussi en profondeur qu’avec elle, si vous voyez ce que je veux dire.

— Parce que mon avis vous intéresse, maintenant ? Je n’ai pourtant pas été consulté quand vous m’avez ordonné de me jeter dans la gueule du loup avec mon équipe, sans considérer mes remarques sur les risques encourus pour nous, cingle Mathias après avoir fusillé du regard le Commandant.

— Restez sur les faits, Mathias, s’il vous plaît, intervient Marina. Vous avez fait ce qu’il fallait et tous les Silvaniens vous en remercient. Je crois qu’Ysée vous a démontré que nous vous étions reconnaissants, ajoute-t-elle avec un petit sourire en coin. Etes-vous d’accord avec l’approche présentée qui préconise de renforcer la partie militaire pour annihiler toute rébellion ?

Comment ça, j’ai démontré notre reconnaissance ? Elle est vraiment en train de faire référence à mes parties de jambes en l’air au milieu d’une réunion aussi importante ? J’essaie de rester impassible, mais je me retiens de faire un esclandre devant tout le monde, notamment devant Julia qui nous observe en fronçant les sourcils.

— Peut-être que si vous arrêtiez avec vos insinuations déplacées, je pourrais rester sur les faits, grommelle-t-il en me jetant un regard. En ce qui concerne les rebelles, effectivement, je pense qu’il faut renforcer la ligne de défense et ne pas les laisser se réorganiser. Ils sont acculés, ils vont commettre des erreurs, c’est l’occasion ou jamais d’en finir.

— C’est bien beau tout ça, s’exprime finalement Janik, le Ministre des Armées, mais nous n’avons pas l’équipement nécessaire. On a besoin d’armes lourdes, de chars, et jamais on ne pourra faire ça en interne. Je ne crois pas que la communauté internationale soit prête à nous aider sur cette dimension.

— Il faut reprendre la stratégie qu’on souhaitait mettre en place avant qu’Ysée ne fasse ses folies, intervient Maric, le Premier Ministre. Diplomatie, négociations et Opération Séduction pour obtenir ce dont nous avons besoin auprès des puissances alliées, il n’y a pas d’autre solution.

— Oui, tu as raison, répond Marina en portant son regard sur moi. Et je pense que nous avons parmi nous la personne la plus compétente pour séduire les forces étrangères, n’est-ce pas Ysée ? Maintenant que tu as réussi à ramener ton frère et que tu as fini de gérer tes affaires personnelles, tu vas pouvoir te consacrer à nouveau un peu à ton pays, n’est-ce pas ?

— Opération séduction ? Non mais, sérieusement, vous ne voulez pas la vendre au plus offrant, tant que vous y êtes ? La marier de force à un compte en banque sans limite ? fulmine Mathias en se redressant sur son fauteuil. Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous dites ?

— Lieutenant, vous êtes invité ici, en raison de vos faits d’armes et de votre investissement auprès de notre pays, mais sachez rester à votre place, le rabroue vertement la Présidente qui a haussé la voix. Ceci est une affaire politique interne et, même si vos conseils stratégiques sont appréciés à leur juste valeur, croyez-le, il m’appartient encore de décider qui j’envoie faire quelle mission. Alors, je ne tolèrerai pas un écart de ce genre de plus, compris ?

Le silence qui suit cette répartie cinglante de notre responsable est lourd et j’ai l’impression qu’une véritable joute visuelle s’engage entre le Français et la Gitane. Aucun des deux ne veut céder et c’est Julia qui finit par se saisir de la main du lieutenant pour le forcer à se rasseoir, rompant ainsi la tension qui s’était installée. Je profite pour prendre la parole et essayer de calmer les choses.

— Marina, tu as raison, j’ai fait passer mes intérêts personnels en priorité, mais je tiens à signaler que ce n’était pas au détriment des intérêts de la Nation silvanienne. Nous avons participé au mouvement militaire qui nous a donné l’avantage, nous avons récolté des informations essentielles à notre victoire et, comme je l’ai toujours été, je suis au service de la Silvanie. Je vais donc reprendre la mission de contact auprès des ambassades et des autorités étrangères qui pourraient nous venir en aide pour obtenir les armes nécessaires à l’obtention de la victoire.

— Très bien, je n’en attendais pas moins de toi, Ysée, reprend Marina plus doucement. Je tiens à préciser, pour certains membres de ce Conseil, qu’il ne s’agit nullement de prostitution mais de diplomatie. Ysée, je vais t’affecter une équipe qui pourra t’assister dans ta mission. N’hésite pas à demander de l’aide à ton équipe actuelle à la Culture. Toutes les forces sont bonnes à prendre. Est-ce que ça vous va à tous, cette décision ?

— Ce serait bien d’étudier la question de la protection de la Ministre, non ? C’est quand même une opération à risques et le service d’ordre actuel adapté à la Culture semble un peu sous dimensionné pour une mission d’une telle importance.

Julia s’exprime calmement en ne cessant de regarder son ami qui est toujours sur les nerfs et qui semble prêt à bondir à nouveau si elle a le malheur de lui lâcher la main.

— Je pense que nous avons en effet besoin de renforcer la sécurité de la Ministre, répond Marina après un petit silence. J’ai une proposition à faire, mais je ne sais pas si je peux encore abuser de la gentillesse et la disponibilité des équipes françaises présentes parmi nous.

Tout le monde s’est tourné vers elle, et, comme les autres, je suis intriguée par ce qu’elle vient de commencer à dire. A mes côtés, Mathias fronce les sourcils et se prépare à réagir, mais la Présidente, qui sait ménager ses effets, reprend avant qu’il ne puisse s’exprimer.

— Lieutenant Snow, vous semblez avoir à cœur de protéger de manière très rapprochée notre chère Ministre. Est-ce que vous accepteriez de prendre en charge pour les prochaines semaines cette protection afin d’éviter qu’il ne lui arrive un malheur ? Nous savons tous qu’elle peut être difficile à gérer, mais j’ai le sentiment que vous avez les arguments pour la ramener à la raison. Qu’en pensez-vous ?

— Non mais, Marina, m’énervé-je immédiatement, tu as vu comme tu parles de moi ? Je ne suis pas une folle qu’il faut protéger de sa folie ! Je n’ai pas besoin de Mathias !

— Il te faut une protection et si Mathias refuse de l’assurer, nous trouverons bien des Silvaniens pour le faire. J’essaie juste de trouver une solution qui convienne à tout le monde, me rétorque-t-elle sèchement. Mathias, je peux compter sur vous ou pas ?

— J’ai à cœur de protéger quiconque peut être en danger, Madame la Présidente, lance froidement Mathias. Et j’en conviens, quand j’entends ce que vous demandez à la Ministre de la Culture, mon instinct de protection s’éveille davantage encore. Je vais rester avec l’un de mes hommes pour assurer sa sécurité, mais ne venez pas vous plaindre si l’un de vos potentiels financeurs finit avec le nez pété parce qu’il aura abusé de son statut.

— Parfait, je compte sur votre sens de la mesure, lieutenant. Je suis sûre que vous saurez mener cette mission avec autant de talent et de professionnalisme que d’habitude. La séance est levée, merci à tous de votre participation. Ysée, j’attends des résultats rapidement. On compte tous sur vous.

Tu parles qu’elle compte sur moi. Elle compte surtout sur mon physique et mes charmes. Comme si c’est tout ce que j’avais à offrir à mon pays… Mais bon, ça ne sert à rien de s’énerver ni de faire un scandale. Elle a raison sur un point, il nous faut des armes et si je peux faire quelque chose là-dessus, je me dois de le faire. Pour mon pays. Et sous la protection de Mathias, cela devrait être intéressant, non ?

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