84. La fantôme du passé

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Mathias

Le partage des tâches chez les Zrinkak est un peu particulier, je trouve… Arthur est occupé à préparer sa salade de riz, je me retrouve à jouer le commis alors que les filles préparent le dessert et Julia… nous regarde faire, un verre à la main. Beaucoup crieront à la victoire, l’homme aux fourneaux et la femme les pieds sous la table, moi… ça me fait doucement sourire. J’en conviens, elle ne s’est pas du tout améliorée en cuisine et ne semble vouloir faire aucun effort. Pour preuve, quand les filles ont voulu faire fondre le chocolat, elle n’a pas attendu qu’elles mettent le lait pour faire chauffer le bol dans le micro-ondes. Chocolat brûlé, moyen comme goût pour un gâteau.

— Et donc, vous avez invité Ysée ? tatonné-je aussi naturellement que possible. Je ne savais pas que vous étiez aussi proches d’elle.

— Eh bien, disons qu’après votre arrivée remarquée en réunion, on s’est dit que vous aimeriez une occasion de vous revoir, me répond Julia en souriant. Ne me dis pas que ça te dérange, monsieur qui a baisé la Ministre plusieurs fois.

— Parce que tu crois qu’on a besoin de toi pour se revoir ? m’esclaffé-je avant de grimacer. Je te signale que j’ai assuré sa protection pour un repas avec un connard qui propose de baisser le prix de ses armes en négociant sous la couette. On se voit, t’inquiète.

C’est Arthur qui me répond avec un de ses grands sourires dont il est coutumier.

— On sait bien que tu n’as pas besoin de nous pour la voir, mais un, quand on est amoureux, on a tout le temps envie de voir l’autre et donc on s’est dit qu’on pouvait y contribuer, et deux, même si tu n’es pas amoureux, nous, on mourait d’envie de vous voir tous les deux faire semblant qu’il n’y a rien entre vous. On a fait des paris sur votre jeu d’acteurs ! pouffe-t-il avant de voler un bisou à sa femme.

Je grince des dents en le fusillant du regard, mal à l’aise. Amoureux…

— Et vous alors, vous jouez la comédie, là ? Parce que la dernière fois que je vous ai vus tous les deux, c’était pas des mamours que vous vous faisiez, piqué-je pour détourner la conversation.

— Maman a dit qu’elle allait tout arrêter bientôt, intervient Lila. Et donc, bientôt, on va voyager tous ensemble, ça va être trop bien. Tu viendras avec nous et Ysée ?

— Ma jolie, si tes parents ont les moyens de tout arrêter pour voyager, ce n’est pas vraiment mon cas. Tu sais bien que j’ai mon entreprise à Paris… Et puis, Ysée ne va pas tout arrêter, elle. Du moins, je n’en ai pas l’impression, elle vendrait corps et âme pour ce fou… pour la Silvanie.

— Et toi, lieutenant Canon, pour qui ou pour quoi tu vendrais ton corps et ton âme ? me demande Julia.

— Tu poses vraiment la question ? Tu sais bien que je cacherais un corps pour chacun d’entre vous ici, souris-je alors qu’on frappe à la porte.

J’allais proposer de filer ouvrir mais je me retiens in extremis, conscient que ça ne ferait qu’ajouter de l’eau au moulin Zrinkak qui prend plaisir à se faire des films. Aussi, je laisse Julia faire le travail et tire la langue de manière très mature à Arthur lorsque je constate qu’il m’observe avec un sourire en coin.

— Si tu pouvais éviter de me mettre mal à l’aise, le Bûcheron, ça m’arrangerait, soupiré-je. C’est déjà assez compliqué comme ça.

— Oui, mon ami, je vais être sage, mais sache que j’observe tout ! J’ai un pari à remporter avec ma femme !

— Je ne veux pas savoir ce que tu y gagnes, grimacé-je en m’essuyant les mains. Essaie de ne pas te crever un œil avec ton couteau, histoire de pouvoir continuer à observer.

Après la langue, je lui offre mon majeur et rejoins Julia et Ysée qui entrent dans la pièce. J’essaie de rester naturel sans être trop distant, détaille rapidement ce joli corps que je commence à connaître par cœur, délicieusement moulé dans une petite robe d’été fleurie qui découvre ses genoux. Je ne m’attarde pas trop dans ma contemplation et dépose un baiser sur sa joue en lui souriant.

— Bonjour, Ysée. Comment tu vas ? Bien remise de ton charmant dîner ?

— Tiens, tu es là, toi ? Tu sais que la protection que tu me dois, c’est juste quand je suis en mission, pas quand je suis en repos ! répond-elle alors que son visage s’éclaire.

— Ne compte pas sur moi pour te protéger aujourd’hui, alors évite de t’approcher des objets dangereux, tu veux ? Et ne va pas te fourrer dans une situation qui m’obligerait à me mettre en danger pour te sauver, ok ? Ça me changera, la charrié-je alors que Sophia et Lila viennent la saluer.

— Mais je sais que tu adores ça ! répond-elle alors que j’entends Arthur se marrer dans mon dos.

— Manquer de me prendre une balle pour sauver tes fesses ? Tu te surestimes, Madame la Ministre, ris-je en lui faisant un clin d’œil.

— Bon, assez de taquineries, nous interrompt Julia. On va passer à table. J’ai une faim de loup et ça sent trop bon !

— Te plains pas, les taquineries sont gentilles. Et tu comptes manger, toi ? En n’ayant rien préparé, non mais je rêve, quelle profiteuse !

C’est vrai que ça sent bon, et en prime, c’est délicieux. Evidemment, Arthur a fait en sorte qu’Ysée et moi soyons côte à côte et j’essaie de me tenir à carreau alors que j’ai sa cuisse dénudée à portée de main, que son parfum envoûtant a envahi mes narines et se rappelle à moi chaque fois qu’elle bouge… J’apprécie la Ysée qui se trouve à côté de moi, détendue, plus naturelle, comme si elle avait baissé sa garde, tout simplement.

J’ai dû baisser la mienne aussi, parce qu’après avoir mis mon téléphone en vibreur suite à un appel dont je n’ai même pas regardé le correspondant, je me retrouve avec mon mobile collé sous le nez.

— Tonton, c’est Justine, regarde !

Je jette un œil à Lila qui se fait réprimander par Julia d’avoir décroché et dépassé les limites, et le regard noir qu’elle m’adresse veut tout dire. S’il y en a bien une qui a pu être aussi en colère que moi quand Justine est partie, c’est Julia.

Justine… Mais qu’est-ce qu’elle me veut ? Et puis, je n’ai aucune envie de discuter avec elle maintenant, alors que je suis en famille et qu’Ysée est là, à côté. Merde, je sens que cette situation va me péter au nez.

Je récupère mon téléphone et tombe sur les beaux yeux de mon ex. Moment de malaise, pour moi, parce que ça me rappelle bien des choses. Certaines plus qu’agréables, d’autres que je préférerais largement oublier.

— Justine, la salué-je d’une voix moins assurée que je ne le voudrais. Un souci ?

— Salut Beau Gosse. Tu sais que tu es toujours aussi photogénique ? Franchement, de te voir dans le magazine et en Silvanie, ça m’a rappelé tellement de bons souvenirs que je me suis décidée à te recontacter. J’en mourais d’envie depuis un moment et là, je me suis décidée. Tu vas bien ?

Je ne manque pas la grimace de dégoût de Julia ou l’air mal à l’aise d’Arthur en entendant son ancienne collègue. Cependant, je n’arrive pas à me résoudre à jeter un œil à Ysée. Je devrais fuir, prendre cet appel en privé, mais d’un autre côté, je n’ai rien à cacher, si ?

— Oui, oui, ça va. La routine a été un peu bousculée, mais ça fait plaisir de revenir en Silvanie. Et toi ?

Oui, c’est moi qui dis ça alors que je n’avais aucune envie de remettre les pieds ici. Le pire, c’est que je ne mens pas, je suis content d’être ici.

— Moi, je me disais que j’aimerais revenir aussi en Silvanie. Lire tes exploits, et voir ce qu’il se passe là-bas, ça m’a donné envie de te rejoindre. Et puis, vu que je suis libre depuis quelque temps, ça pourrait se faire rapidement. Enfin, si ça t’intéresse toujours… Parce que toi et moi, on n’a pas vraiment terminé les choses, tu ne trouves pas ?

Bon sang… Combien de fois ai-je eu envie de l’entendre me dire ça ? Combien de temps ai-je espéré qu’elle fasse machine arrière et revienne près de moi ? Et pourquoi est-ce qu’elle ne se décide que maintenant ?

— Tu t’es fait larguer et tu as besoin de compagnie ? attaqué-je en observant Julia faire signe aux filles de quitter la table. Je ne suis pas un Kleenex, tu sais ?

— Mais non, je sais bien que tu n’es pas un Kleenex, mais tu me manques. Tout ce qu’on a vécu me manque. Et si je ne suis plus en couple, c’est peut-être parce que tu étais toujours là, en fait. Je sais que je t’ai fait souffrir, Mat… Mais je m’en veux et j’ai envie de réessayer quelque chose… Tu ne crois pas qu’il faut qu’on se redonne une chance ? C’était quand même beau, ce qu’on a vécu, toi et moi.

— Il aurait fallu y penser plus tôt, ma Douce.

Je grimace de l’avoir appelée comme ça. J’ai le cerveau en vrac, à cet instant. Pourquoi faut-il qu’elle me ramène des années en arrière alors que je pensais avoir enfin tourné la page.

— Laisse le passé où il est, ajouté-je précipitamment. C’était bien, c’est fini, on passe à autre chose. Enfin, tu es passée à autre chose bien avant moi, donc tu vois où je veux en venir.

— Je vois surtout que tu ne m’as pas oubliée et ça fait plaisir. Et puis, tu es toujours aussi mignon quand tu ne sais plus quoi dire parce que je te trouble. Tu réfléchis à ma proposition, alors ? Si tu veux, d’ici la fin de la semaine, je suis là.

— Pas la peine de faire le déplacement, ça ira, soufflé-je, sur le cul. Je te laisse, je suis en famille, ce n’est pas du tout le moment d’avoir ce genre de conversations. Prends soin de toi, Justine.

Je coupe la conversation rapidement et dépose brusquement mon téléphone sur la table, agacé. Merde, elle m’énerve, et je déteste cette agitation qui naît dans mon cerveau à ses paroles. J’ai tourné la page. Oui, je l’ai vraiment tournée, enfin. Elle n’a pas le droit de revenir avec ses gros sabots comme si elle ne m’avait jamais brisé le cœur.

— Réfléchis bien avant de faire une connerie, Snow.

Julia qui m’appelle Snow avec cette voix de lieutenant, ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Je n’ai toujours pas osé regarder Ysée… Alors que je n’ai toujours rien à me reprocher, mais je détesterais voir le doute dans son regard. C’est totalement stupide, elle et moi n’avons jamais décidé d’être en couple, après tout. On s’amuse, rien de plus. Mais revoir Justine me donnerait l’impression de trahir la jolie Silvanienne qui reste immobile à mes côtés.

— Il n’y a rien à réfléchir, marmonné-je. C’est du passé.

— A la bonne heure !

J’acquiesce en me levant, m’excuse rapidement pour m’éloigner du groupe et souffler un bon coup pour reprendre mes esprits. Qu’est-ce que j’ai ressenti en voyant Justine, au juste ? Toujours cette pointe de colère, de rancœur… mais quoi d’autre ? Oui, elle est toujours aussi belle et attirante, j’en conviens… Mais mon petit cœur blessé n’a pas raté un battement, il n’a pas fait de course folle dans ma poitrine… Donc, la page est tournée, n’est-ce pas ?

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