89. Entre galères et colère

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Ysée

Quelle tête ! On dirait que j’ai des cernes qui descendent jusqu’à mon menton et que je sors d’un séjour de plusieurs années à l’hôpital. Bref, le miroir me fait comprendre que cette tête de mort vivant, c’est bien la mienne et ça fait peur. Il faut dire que la nuit a été courte, interrompue à de multiples reprises par des cauchemars et des angoisses que je ne suis pas parvenue à calmer. Si seulement Mathias avait été là, avec moi… Il aurait pu me réconforter, lui, mais il doit être en train de discuter avec sa Justine qui ne va plus tarder à débarquer. Je crois que les pensées de mon garde du corps avec son ex m’ont autant empêchée de dormir que les souvenirs des mains de l’Ambassadeur sur moi.

Je jette mon café froid dans l’évier. J’ai passé trop de temps perdue dans les méandres de mon cerveau et il n’est juste plus buvable. Je prends un cachet pour le mal de tête et vais m’installer dans ma baignoire pour essayer de me détendre. L’eau est chaude, enveloppe tout mon corps et, pendant un bref instant, je me dis qu’il faudrait peut-être que je me laisse couler et que tout serait plus simple ainsi. Plus de Mathias qui s’éloigne de moi pour une autre. Plus d’ambassadeur qui met ses sales mains sur moi. Plus de Gitane qui me donne des ordres qui ne me conviennent pas. Mais bon, ce n’est pas moi, ça, je suis une combattante et il va falloir que je le prouve.

Quelques instants plus tard, alors que l’eau a déjà bien refroidi, c’est une voix familière et inquiète qui me réveille alors que je m’étais assoupie dans mon bain.

— Ysée ? Tu es là ? Est-ce que tout va bien ?

— Mais qu’est-ce que tu fais là ? Qui t’a ouvert ? Tu… Pourquoi tu es là ?

Je suis un peu perdue de la voir ouvrir la porte de la salle de bain et pousser un petit soupir de soulagement.

— Je m’inquiétais pour toi, j’ai essayé de t’appeler plusieurs fois sur ton portable et tu ne répondais pas. Je… Mathias nous a raconté ce qu’il s’est passé, alors… je venais aux nouvelles. Cédric m’a dit que tu n’étais pas sortie d’ici, et pourtant tu ne répondais pas, je… J’avoue que j’ai paniqué, grimace Julia.

— Je me suis juste endormie dans mon bain, Julia, ça va. Mais merci de ton inquiétude, ça me touche. Je vais bien même si je n’ai pas beaucoup dormi.

Sans me préoccuper du regard que porte sur moi mon amie, je me lève pour récupérer une serviette et me frotte alors qu’elle continue de scruter mon visage, comme si elle voulait y déceler les secrets que j’y cache. Ou alors, elle me trouve tellement canon qu’elle ne peut détourner le regard. Cette petite pensée me fait sourire et je ne peux m’empêcher de lui partager ce qui m’amuse.

— Tu me mates ou tu cherches à percer mes secrets ? Parce que dans les deux cas, ça peut rendre la situation un peu inconfortable, tu sais ?

— Pardon, souffle-t-elle finalement en détournant le regard. Disons que… Merde, t’as une sale tête, Ysée, alors je m’inquiète.

Je jette un œil dans le miroir et me dis que le petit somme m’a fait du bien. J’enfile une robe sans me préoccuper de mettre des sous-vêtements et fais signe à Julia de me suivre au salon, où nous nous installons.

— Ecoute, c’est juste un petit manque de sommeil. J’ai déjà meilleure mine qu’en me levant tout à l’heure. Ce soir, je prendrai quelques cachets et ça me permettra de mieux dormir.

— Tu devrais envisager de prendre une bonne cuite… Et aller faire un tour au stand de tir. Pas nécessairement dans cet ordre, en revanche. Moi… ça m’a fait du bien, dans cette situation.

— Moi, ce qui me faudrait, c’est une bonne séance de massage tantrique ou de baise sauvage. Tu as dit que c’était Cédric qui était de garde ? Peut-être que je vais l’utiliser, il fait un excellent vibromasseur.

— Je comprends mieux pourquoi ça colle autant entre Mat et toi, soupire Julia. Marina veut avoir ta version des choses. Le… L’ambassade a appelé hier avant que vous ne rentriez, leur version ne colle pas avec celle de Mathias.

— L'ambassade ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils vous ont dit ? Je… Je suis sûre que Mathias n’a pas menti, ce n’est pas son genre.

— Je sais… mais… Marina n’a pas confiance, alors elle veut ta version à toi aussi.

— Tu n’as pas réussi à la convaincre, cette vieille bique ? Tu lui fais confiance, toi, à ton fidèle second, non ?

— Hum… marmonne-t-elle en détournant les yeux. Possible que j’aie d’abord pensé qu’il… avait fait une petite crise de jalousie et s’était emporté… L’ambassade nous a parlé d’un bisou, rien de plus, tu vois ? Et l’ambassadeur a le bras cassé…

Je ne peux retenir un sourire en imaginant cette immondice de sale chien avec le bras en écharpe.

— Dommage qu’il n’ait que ça de cassé, ce pauvre type. Parce qu’il y avait bien autre chose qu’un bisou, je peux t’assurer. Et puis, même si ce n’était qu’un bisou, ça serait déjà trop !

Je ne vais cependant pas plus loin. J’ai peur que si j’en dis plus, les images que j’ai réussi à refouler reviennent et me submergent.

— D’accord… Mathias va m’écharper d’avoir douté, soupire Julia. Il faut qu’on aille voir la Gitane, Ysée, et que tu lui racontes ce qui est arrivé. C’est la merde, tu sais ?

— Je ne vais pas raconter à tout le monde ce que ce sale type m’a fait quand même ! De toute façon, il ne lui arrivera rien et je suis bien contente que son bras soit cassé. Si ça n’avait tenu qu’à moi, c’est autre chose que je lui aurais cassé parce qu’il doit bénéficier de toutes les immunités possibles et imaginables, non ?

— Il semblerait, oui. Ecoute, Ysée… Je sais que c’est difficile de raconter ce qu’il s’est passé, ok ? Quand ça m’est arrivé, j’avais envie de hurler et de tout casser. Si Arthur n’avait pas été là… Je jouais la forte mais, bon sang, j’avais les tripes dans un sale état et le cerveau en pagaille. Mais j’ai besoin de toi, là. Non, Mat a besoin de toi. Parce que ce qu’il a fait, si Marina n’est pas certaine de ce qu’il s’est passé… Elle ne fera rien pour le défendre, tu comprends ?

Mat a besoin d’être défendu ? Mais, c’est du grand n’importe quoi, ça ! Il vient me sauver la mise et maintenant, il est menacé parce qu’il a un peu abîmé un grand pervers ?

— Si Mat n’avait pas été là, je ne sais pas ce qu’il se serait passé, Julia, mais je peux t’assurer que je n’ai jamais été si soulagée de le voir que quand j’étais dans le bureau de l’Ambassadeur. Marina est folle, elle l’a toujours été mais ça ne s’arrange pas, là !

Je fulmine et rage en tournant en rond dans la pièce. Je n’arrive pas à rester en place et Julia m’observe avec le même regard inquiet que tout à l’heure.

— Ecoute, si c’est trop compliqué d’en parler à Marina, ou à moi… Peut-être qu’on peut…

— Non, ne t’inquiète pas pour ça, la coupé-je. On va aller lui parler à la Gitane. Je vais lui dire ce que je pense d’elle et de ses méthodes. Et surtout, je vais aller lui dire ses quatre vérités ! Comment peut-elle douter de Mat ? Ce gars, je ne sais pas s’il a déjà menti une seule fois dans sa vie ! Elle devient sénile ou quoi ?

— Ok, je vois que vous partagez la même colère envers Marina, sourit-elle en se levant. Tu es prête alors ? Ou on attend que tu redescendes un peu en pression ?

— Si elle touche à un cheveu de Mat, je te jure que non seulement, je ne vais pas redescendre, mais, ça va encore plus barder. Alors, oui, on y va tout de suite. Et puis, tu as dit que j’avais une tête qui faisait peur, non ? C’est le moment d’en profiter !

Sans plus tarder, nous filons dans le bureau de la Gitane dans lequel j’entre sans frapper. Elle est en train d’étudier une carte de la Silvanie et lève les yeux quand je fais irruption, talonnée par Julia.

— Comment tu peux oser remettre en doute la parole de Mathias ? l’attaqué-je d’entrée en essayant de reprendre mon souffle.

— Bonjour à toi aussi, Ysée… Comment vas-tu ?

— Tu as vu la tête que j’ai ? J’ai l’air d’aller bien ?

— Non, pas vraiment, soupire-t-elle en me faisant signe de m’asseoir. Tu veux bien m’expliquer ce qu’il s’est passé hier ?

— Ce Bezov a essayé de me violer, voilà ce qu’il s’est passé ! Tu veux les détails ou ça te suffit de savoir que je peux te décrire en détails à quoi ressemble son sexe de sale pervers ? Sans Mathias, je passais à la casserole, tout ça pour quelques armes ! Il n’a qu’à se les mettre dans le cul, tiens !

— Tu sais très bien qu’on a besoin de ces armes, enfin ! Je suis désolée de ce qui t’est apparemment arrivé, Ysée, sincèrement, mais ça ne change rien aux besoins du pays…

— Tu n’as que ça en tête ? Les besoins du pays ? Et le bien-être de ceux qui se dévouent pour toi ? Tu es sûre que tu es normalement constituée ?

— Tu ne comprends pas… Vous ne comprenez pas les sacrifices à consentir pour sauver ce pays. Je me suis battue pour la Silvanie pendant des décennies, moi aussi j’ai fait des sacrifices. Bon, entendons-nous bien, je ne te demande pas de te faire violer non plus, mais… ce pays mérite qu’on fasse tout pour lui.

— Les armes de Bezov, tu peux aller les chercher toi-même ! Moi, je ne remets pas les pieds près de lui. Quand Mathias est intervenu, il allait abuser de moi, le gros porc. Tu as compris, ça ? Ce type n’est pas fréquentable !

— J’ai compris, j’ai compris, soupire Marina. Mais ça ne change rien au fait que maintenant, c’est la merde avec l’ambassade.

— En tous cas, intervient Julia, tu vois que tu n’avais pas à remettre en doute la parole de Mat ! On fait quoi maintenant qu’il a mis son équipe en retrait ?

Mince, si c’est vraiment le cas, d’ici à ce qu’il retourne en France avec l’autre blondasse, il n’y a qu’un pas !

— On fait quoi ? s’emporte la Gitane. Toi, rien apparemment. Quant à moi, j’ai autre chose à gérer que l’ego du lieutenant, comme des relations à apaiser et éviter une crise pas possible.

— Quand tu te retrouveras toute seule dans ton pays désert, tu verras si tu es contente d’y vivre, grogné-je. J’espère que tu auras quand même la délicatesse et le bon sens de t’excuser auprès de Mat. Tu as encore besoin de moi ?

— Non, tu peux disposer, soupire-t-elle. Prends soin de toi, Ysée, inutile de venir travailler les deux prochains jours.

— Eh bien, ta bonté te perdra, grondé-je. Je te préviens, c’est fini pour moi, les entretiens avec les fournisseurs d’armes. Sur cette question, je te laisse te débrouiller. Bonne fin de journée. Julia, je te laisse prévenir Mat ?

— Pourquoi tu… Oui, d’accord, je gère.

Pourquoi je ne le fais pas moi-même ? Parce que je laisse la place à Justine, bien sûr. Et que j’ai horreur de m’imposer à quelqu’un qui ne veut pas de moi. Bref, je les salue et retourne à mon appartement. Bizarrement, j’ai perdu toute envie d’utiliser Cédric pour satisfaire mes envies.

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