16. L’Observateur de son Altesse partie 2

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La salle d’audience, vaste aux arcatures aveugles, n’avait pas de plafond et on pouvait alors contempler l’immense charpente ancestrale en châtaignier située là. Au fond de la salle, devant quelques marches de pierre surplombées d’une longue cheminée à trois foyers richement décorés, conversaient des membres de la famille Bannefort, les deux éclaireurs et d’éminents nobles locaux au son doux d’un clavecin, alors qu’ils se passaient de main en main les esquisses de Hornblow.

Le majordome des Bannefort prit la parole.

« Mes Seigneurs, Madame, permettez-moi de vous présenter le Lieutenant Gabrien Valgard, Observateur de Sa Majesté et haut-gradé providentiel s’il en est, nous venant de Dunedoran pour ...

- Traduire ces mystérieux agresseurs en justice ? railla un homme d’âge mûr et bedonnant en uniforme d’apparat.

Le majordome ne tint pas compte de la provocation et poursuivit les présentations.

- Les auteurs de ces croquis, les éclaireurs Norbert Hornblow et Reinardt Landlake du régiment de Dolgatane. Le père Ingvar Egill, curé de Clerg. Le baron Edir Rutland.

L’homme d’âge mûr à l’allure bedonnante cité plus haut.

- Son Eminence l’Eveque de Dolgatane. Enfin, Mon Seigneur Levir de la Maison Bannefort, Madame son épouse et leur fils, Georund.

- Je me demande, Lieutenant, parle-t-on beaucoup de ces attaques à Dunedoran ? s’enquit Madame Bannefort, en lui remettant un croquis de Hornblow pour ouvrir les discussions.

- Tout naturellement, Madame.

Il inspecta le dessin et le tracé très réaliste de l’éclaireur.

- Vous avez un talent certain, Monsieur Hornblow, dit le Lieutenant.

Puis il tendit le croquis à la personne suivante et reprit.

- Dunedoran est au faîte des derniers évènements et les prières de nos gens vont à la population orcienne qui souffre.

- Permettez-moi d’en douter, Lieutenant. Les assauts que nous menons pour contrer ces attaques épuisent nos troupes et, je m’excuse auprès des hommes de foi ici présents, mais les prières, aussi ferventes et dévouées soient-elles, ne sont pas suffisantes en ces lieux, déclara un jeune homme à l’allure tonique en uniforme de cérémonie aux cheveux courts et aux oreilles légèrement décollées.

- Ne prêtez pas attention, Lieutenant, le Sire Georund Bannefort est jeune et intransigeant, certes, mais c’est un homme avisé et juste, temporisa l’Eveque de Dolgatane à l’attention de Gabrien Valgard.

- Le Sire Georund a raison sur un point, Lieutenant. C’est un dur labeur que Landlake et moi-même menons depuis le début des hostilités et ces pauvres orciens méritent toute l’aide nécessaire, renchérit Hornblow.

- Nos hommes font tout ce qu’ils peuvent, malgré tous nos efforts et toutes nos adjurations, nous vivons des heures bien sombres et les attaques surviennent toujours, concéda le père Egill.

- Une fois cette menace clairement identifiée, j’autoriserai au nom de Sa Majesté le Roi toutes les actions et les mesures nécessaires au maintien de l’ordre dans ces contrées, soyez-en assurés, certifia l’Observateur.

- Ne soyez pas faussement complaisant, Lieutenant, car soyons honnêtes, cela ne vous sied guerre, avertit l’Intendant. Je n’aurais qu’une seule question à vous poser après toutes ces allégations. Votre seule présence ici insinue-t-elle que mes gens soient des incapables et que nous autres de ces contrées comme vous dites soyons des imbéciles ?

- Monseigneur l’Intendant, le Roi Egor a parfaitement entendu votre appel ; votre situation est tragique et délicate et il en pleinement conscience. Après toutes ces attaques, il était évident qu’il devait intervenir.

- Je vous écoute, Lieutenant.

- A ce jour, les assaillants restent introuvables et la situation empire de jour en jour. Comme vous le dites, vos villageois vivent dans la peur, et vous Monseigneur l’Intendant, vous êtes responsable de leur sécurité et de leur protection. Le Roi Egor et ses conseillers sont préoccupés par la détérioration de la situation et soulignent l’importance cruciale de mettre fin à ces attaques. Hélas, ils ont remarqué une série d’échecs et une incompétence apparente à résoudre ce problème.

- Comment osez-vous ? s’insurgea l’Intendant.

- Etant donné la gravité de la situation et votre charge en tant que bras droit des Kaervalmont sur ces terres, la famille royale a pris la décision difficile de vous révoquer. J’ai ici un ordre signé de la main du Roi. Vous verrez qu’il est authentique. », annonça froidement le Lieutenant, en tendant un rouleau de parchemin estampillé du sceau du Lion.

Madame Bannefort dut porter sa main à sa bouche ouverte de stupéfaction, son fils sentit sa respiration s’alourdir. Jamais dans l’histoire d’Aegeria un Bannefort n’avait été démis de ses fonctions sur décret royal de Dunedoran.

« Vous conviendrez qu’il est nécessaire de regagner la confiance du peuple orcien et aegerian et de trouver une personne disons plus apte qui pourra résoudre le problème des attaques et rétablir la stabilité sur le territoire. »

La situation, aussi tragique fût-elle, était inédite et la couronne avait dû employer des mesures fortes. Cependant, cette décision potentiellement controversée visait à protéger l’intégrité de la famille royale et la sécurité d’Aegeria. Tout ceci n’était qu’une vaste tromperie pour tenir l’Intendant à l’écart et faire taire l’affaire.

Avec tout l’aplomb qu’il lui restait, Levir Bannefort rétorqua :

« Le Roi ne peut me révoquer de mon poste d’Intendant des Terres Orciennes, qui est, au cas où vous-même ou son Altesse l’aurait oublié, sous protectorat aegerian. Si je suis suspendu de mes fonctions, soyez-en sûr Lieutenant, nous subirons de lourdes pertes, et ce dès la prochaine attaque.

- Prenez garde, Monseigneur l’Intendant, ou vos mots et vos actes pourront vous être dispendieux. Cela étant, vous avez manifestement foi en vos actions et en votre loyauté envers vos gens, alors voici ma proposition. Vous restez en poste et je vous laisse la possibilité de traquer trois ou quatre de ces agresseurs et de les exécuter en place publique instamment… peu importe qui ils sont.

- Peu importe qui ils sont ? s’insurgea Levir Bannefort. Qu’est-ce que cette mascarade, Lieutenant ?

- Cette affaire a eu hélas trop de retentissements en place dunedorane et il est grand temps pour vous d’agir en conséquence. Libre à vous de prendre la décision qui s’impose, mais faites vite, car la patience d’Egor Kaervalmont a ses limites. Après cela, j’imagine que nous n’entendrons plus parler de cette histoire, n’est-ce pas, Monseigneur l’Intendant ? »

Une nouvelle fois, Levir Bannefort se retrouva avec ses réflexions sans début ni fin, son ordre de révocation à la main, assis confus et déconcerté dans la salle d’audience, à la lumière des trois feux de la cheminée décorée du blason du lion et de la forteresse.

Madame Bannefort dut porter sa main à sa bouche ouverte de stupéfaction, son fils sentit sa respiration s’alourdir. Jamais dans l’histoire d’Aegeria un Bannefort n’avait été démis de ses fonctions sur décret royal de Dunedoran.

« Vous conviendrez qu’il est nécessaire de regagner la confiance du peuple orcien et aegerian et de trouver une personne disons plus apte qui pourra résoudre le problème des attaques et rétablir la stabilité sur le territoire. »

La situation, aussi tragique fût-elle, était inédite et la couronne avait dû employer des mesures fortes. Cependant, cette décision potentiellement controversée visait à protéger l’intégrité de la famille royale et la sécurité d’Aegeria. Tout ceci n’était qu’une vaste tromperie pour tenir l’Intendant à l’écart et faire taire l’affaire.

Avec tout l’aplomb qu’il lui restait, Levir Bannefort rétorqua :

« Le Roi ne peut me révoquer de mon poste d’Intendant des Terres Orciennes, qui est, au cas où vous-même ou son Altesse l’aurait oublié, sous protectorat aegerian. Si je suis suspendu de mes fonctions, soyez-en sûr Lieutenant, nous subirons de lourdes pertes, et ce dès la prochaine attaque.

- Prenez garde, Monseigneur l’Intendant, ou vos mots et vos actes pourront vous être dispendieux. Cela étant, vous avez manifestement foi en vos actions et en votre loyauté envers vos gens, alors voici notre proposition. Vous restez en poste et je vous laisse la possibilité de traquer trois ou quatre de ces agresseurs et de les exécuter en place publique instamment… peu importe qui ils sont.

- Peu importe qui ils sont ? s’insurgea Levir Bannefort. Qu’est-ce que cette mascarade, Lieutenant ?

- Cette affaire a eu hélas trop de retentissements en place dunedorane et il est grand temps pour vous d’agir en conséquence. Jetez votre ordre aux flammes ou gardez-le, libre à vous de prendre la décision qui s’impose, mais faites vite le bon choix, car la patience d’Egor Kaervalmont a ses limites. Après cela, j’imagine que nous n’entendrons plus parler de cette histoire, n’est-ce pas, Monseigneur l’Intendant ? »

Une nouvelle fois, Levir Bannefort se retrouva avec ses réflexions sans début ni fin, son ordre de révocation à la main, assis confus et déconcerté dans la salle d’audience, à la lumière des trois feux de la cheminée décorée du blason du lion et de la forteresse.

***

Tobias Kaervalmont était le premier de la famille à renoncer au trône d’Aegeria depuis neuf générations, le Prince avait pris le peuple de court lorsqu’il avait annoncé céder sa place à son frère Balian. Dans une ambiance festive, durant laquelle des milliers de sujets de la Couronne s’étaient réunis dans les rues de Dunedoran, Tobias prononça un discours solennel sur le parvis de la Citadelle encadré de bannières du Lion avant de signer son acte d’abdication. Sa décision s’expliquait par une lourde prise en charge médicale survenue quelques mois plus tôt et qui l’empêchait de se consacrer pleinement à ses responsabilités liées aux affaires royales. Balian, quant à lui, s’était souvent heurté à la défiance du peuple concernant ces aptitudes à prendre la relève, s’étant fait remarqué à plusieurs reprises par les gazetiers pour quelques raouts qu’il donnait, parfois trop arrosés. Néanmoins, le Roi Egor avait estimé qu’il était tout à fait prêt à faire son devoir et prendre la succession.

Quelques semaines plus tard, la nouvelle avait semble-t-il apaisé les temps qui couraient, mais pour combien de temps encore ? Il était dit que quatre assaillants aux manteaux de laine et aux mains gantées avaient été débusqués dans les Terres Orciennes, et pendus en place publique dans la liesse générale dans le fief des Bannefort. Mais Vaulequin Kaervalemont avait du mal à s’en tenir aux faits, qui prenaient place somme toute faite loin de Dunedoran. Difficile donc de connaître la vérité, mais tout ceci était tout de même curieux. Le jeune prince était tellement plongé dans ses théories, qu’il en manqua le coup de génie de son précepteur sur le plateau d’échecs.

« Echec et mat, mon prince, annonça-t-il, vainqueur.

- Mais comment avez-vous… ? demanda Vaulequin, abasourdi. Il scruta le plateau et comprit son erreur. Ces rumeurs des Terres Orciennes avait accaparé son esprit et il avait été distrait.

- Messire Vaulequin, le Roi vous quémande, il dit que c’est une affaire urgente, dit le majordome de la famille qui s’annonça sèchement.

- Nous remettrons ça à plus tard, cher ami, dit Vaulequin à son précepteur en se levant de table.

- Au plaisir, Messire, au plaisir. »

Au fur et à mesure qu’il se rapprochait de l’office royal, Vaulequin entendait son père élever la voix à l’intérieur. Son frère Balian lui répondait d’un même ton. Le benjamin de la famille avait visiblement manqué le début de l’entrevue ; il frappa à la porte, quelque peu gêné et entra.

« Ah, te voilà enfin, petit frère, on commençait à croire que tu t’étais perdu dans les allées de la Citadelle.

- Suffit, Balian, siffla Egor Kaervalmont.

- Veuillez me pardonner, Père, s’excusa Vaulequin. Que puis-je pour vous servir ?

- Je disais à ton frère qu’une nouvelle lettre de Levir Bannefort était arrivée ce matin. Malgré ses actions, les faits qu’il rapporte depuis l’Intendance sont de mauvais présage. Bon nombre de villages ont été incendiés, des soldats massacrés, des paysans portés disparus. La colère gronde en Terres Orciennes.

Les rumeurs n’étaient pas si obscures après tout, pensa le jeune prince, les représailles ne s’étaient pas faites attendre.

- Tout porte à croire que les attaques se sont intensifiées à l’Est, et les Bannefort nous sollicitent cette fois pour un déploiement armé à la frontière des Terres Orciennes, exposa le roi.

- Cette frontière mesure quelques milliers de miles de long. Il est évident que nous ne pourrons leur fournir le soutien militaire qu’ils attendent, osa Balian. Pas dans des délais aussi courts.

- Comment est-ce possible ? demanda Vaulequin, choqué.

- C’est un fait que nous ne pouvons ignorer, Vaulequin, déclara Egor Kaervalmont.

- Si nous ne pouvons pas fournir l’arsenal aux Bannefort dans les temps, alors fournissons-leur les fonds qui leur permettront de se défendre, répondit Balian, pragmatique. Ce ne serait pas la première fois que vous feriez appel au Seigneur de Casterisey pour ce genre de campagne, après tout, père. », dit-il d’un ton nettement plus sarcastique.

Les de Casterisey descendaient d’une longue lignée de banquiers et de négociants en titres financiers, et le père d’Ossena n’avait pas dérogé à cette tradition. Brillant analyste, il avait mis très tôt ses talents à contribution dans des actifs, plus ou moins opaques, et était devenu la référence dans la valorisation de fonds en tous genres. Il s’était même fait un nom jusqu’à s’imposer comme l’interlocuteur privilégié des grandes fortunes d’Aedria, mais son intelligence ne s’arrêtait pas là. Pour s’armer et devenir intouchable en cas de procès, il avait fait ériger un cabinet d’avocats de talent, dirigé d’une main de maître par ses quatre enfants, tous experts dans leur domaine. Même Ossena, pourtant aimante et dévouée, avait durant sa carrière en droit de la famille achevé de briser des vies et dispersé des héritages entiers ; avant que le Seigneur de Casterisey n’y mette un terme définitif et décide de la marier à Egor Kaervalmont, alors hériter du trône.

Le magnat des affaires contrôlait déjà suffisamment de ressources, sûrement que cette union lui permettait de s’accaparer et d’influencer directement la politique d’Aegeria. Le père d’Ossena avait donc financé bon nombre de campagnes de modernisation du pays, ordonnées par Egor Kaervalmont lui-même, dans les domaines de la recherche universitaire, de l’industrie, des sciences.

Mais les belles heures de la nation touchaient à leur fin, les dettes accumulées avaient presque épuisé les capacités financières de la famille royale. Le Roi, manipulé et dupé, s’était détourné peu à peu du Seigneur de Casterisey pour ne plus céder aux appels malveillants de l’argent frelaté de sa belle-famille.

Il n’était donc plus question pour Egor Kaervalmont de revenir rampant auprès de son beau-père avec qui il n’avait plus de relation depuis des années pour financer la résistance des Bannefort. Le regard pesant d’Egor Kaervalmont sur son deuxième fils et le silence qui suivit allait donner à Balian l’unique leçon de politique qu’il retiendrait de sa vie.

« Je n’ai pas consulté de banquier à cette entrevue, Balian. Si la fortune de ton grand-père est ta seule stratégie et seule préoccupation, alors tu n’as pas ta place ici. Tes arguments ne font pas le poids, tu en oublies que tu es l’héritier bien portant en lice et que tu dois te comporter comme tel. Tu souhaites rejoindre les rangs de l’étude du seigneur de Casterisey ? Libre à toi, mais je doute que ce soit réellement le cas, n’ai-je pas raison ?

Tandis que l’ombre de Tobias planait dans l’office royal, Balian, que son père venait de remettre à sa place, soutenait maladroitement son roi du regard. Vaulequin, interdit, baissait les yeux.

- N’ai-je pas raison, prince Balian ? protesta le roi.

- Dans ce cas, que proposez-vous ? objecta le prince, de la manière la plus impassible.

Puis Egor Kaervalmont reprit un instant plus tard, plus calmement :

- Envoyer l’Observateur dans les Terres Orciennes n’a pas suffi à résoudre le conflit, mais nous avons au moins pu gagner du temps. En cet instant, notre conseiller Aiden Pambroque consultent les Teneriens, dans le but d’ouvrir des négociations pour la livraison de bataillons militaires Jayash aux Bannefort. La tâche est de taille, mais il y parviendra. C’est pourquoi j’en viens à décider que ta mère et Vaulequin partiront quand le moment sera venu pour mener les discussions avec les émissaires Teneriens. Et que tu resteras à la Citadelle pour accomplir ton devoir. Maintenant, disposez. »

Vaulequin quitta l’office royal en essayant de prendre toute la mesure de sa nouvelle mission, que selon lui Balian était bien mieux disposé à accomplir ; car il anticipait déjà les mises en garde plus ou moins latentes que son frère, désavoué, proférerait tôt ou tard contre lui pour démontrer qu’il était l’homme requis dans la situation actuelle.

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