Elvis Fouinard

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La réalité c’est l’illusion créée par l’absence de drogues.

Richard Desjardins, cinéaste québécois

Narcobar Le Colonial

Box d’Elvis Fouinard

Elvis Fouinard portait un nom prédestiné, c’était un Fouineur de première. Un cul-plat extravagant, qui préférait lire des livres en papier plutôt que scroller. Un farfelu décalé, qui s’habillait encore à l’ancienne, arborait une chevelure surabondante coiffée à la Pompadour et portait des rouflaquettes à faire pâlir d’envie un loup-garou.

Des rares improD que je fréquentais, il s’en sortait le mieux, et gagnait certainement plus de renminbi en une semaine que moi en un trimestre. Il travaillait à l’ancienne, hors-réseau, se tenant à l’écart des Data et de l’Algorithme. Une véritable banque de données humaine, un savant de l’underground oumanais.

Le box d’Elvis était le plus grand du Colonial. C’était une petite pièce d’à peine neuf mètres carrés, savamment aménagée pour lui permettre d’y caser son impressionnante armada de bouquins. Au moins deux mille ouvrages s’empilaient sur des étagères courant jusqu’au plafond. Ils formaient une mosaïque murale en relief, abstraite. Une collection hétéroclite, qui allait du petit Kamasutra illustré, à l’ingénierie quantique pour les nuls, en passant par les œuvres de Conrad, Poe, Kōbō Abe, Hergé.

“La lecture reste l’ultime rempart à la connerie ambiante” aimait-il à me rappeler. Je ne savais pas où il trouvait le temps nécessaire pour lire, ni le courage de le faire. Un servCom lui aurait économisé tellement d’énergie, mais il ne le souhaitait pas.

Il me répétait son mantra anti-Algorithme à chaque fois que nous abordions le sujet : “Le servCom, c’est un fil à la patte ce truc. Autant se foutre un implant dans le cul tonton. Je veux vivre sous les radars, pour rester libre. C’est le privilège des improD, alors j’en profite.”

Notre dernière entrevue remontait à au moins dix jours.

La porte du box s’ouvrit et manqua de me fracasser la tronche.

Une péripate transoP, à la poitrine et aux fesses trop fermes pour être honnêtes, s’extirpa de la petite pièce. On l’avait sans doute gonflée à l’hélium avant de la lester avec du plomb. Elle me croisa sans sourire, me toisant du haut de ses chaussures aux semelles compensées, plus épaisses qu’un antique dictionnaire au format papier. Elle finissait de rouler une liasse de ren entre ses doigts terminés par de faux-ongles d’une longueur indécente. L’espace d’une seconde, je la vis s’envoler tandis que j’imaginai lui retirer ses chaussures.

Elle s’éloigna sans un bruit, en agitant son gros derrière comme un leurre à pervers.

Elvis m’accueillit dans son lupanar privé avec un grand sourire, tandis que de douceâtres effluves post-coïtales investissaient mes narines. L’ambiance lumineuse flirtait avec le convenable, comme l’intérieur d’une maison close de l’époque victorienne.

Il s’était rhabillé à la hâte et cela se voyait. Il portait des vêtements à l’ancienne. Un jean moulant pas encore reboutonné et un tee-shirt qu’il finissait de rentrer tant bien que mal dans son pantalon.

Il devait avoir vingt quatre ans, mais conservait une silhouette d’adolescent. Il n’avait pas beaucoup grandi depuis notre première rencontre. Même s’il ne restait rien du jeune garçon fragile et apeuré que nous étions parvenus à exfiltrer. Les années de débrouille avait fait de lui un type rusé, agile et fort.

— Qu’est-ce que tu penses d’Alexis ? me demanda-t-il en guise de bonjour.

— Elle a de quoi s’asseoir.

Il cligna des yeux et afficha un sourire béat.

— Pour un peu tu arrivais au pire moment, reprit-il, en faisant claquer sa langue.

— Alors on a qu’à dire que tu as eu de la chance.

Nous nous étreignîmes comme si nous nous retrouvions après des siècles.

En un tour de main, Elvis transforma son lit en grand sofa où il m’invita à prendre place.

— Tu veux un café tonton ou tu préfères autre chose ?

En disant cela, il agita une petite boîte rectangulaire de sa main droite, comme un hochet. Le bruit caractéristique des pilules qui s’entrechoquaient à l’intérieur déclencha chez moi un réflexe pavlovien. Je me mis à saliver comme si je venais de croquer dans un cornichon.

— Sers-moi un café plutôt, je viens de grailler. Je préfère digérer un peu avant de me rajouter du jus de came.

Il goba une pilule ronde et orange : un relaX. “Besoin de faire baisser ses pulsations cardiaques” pensai-je. Il se retourna pour faire coulisser un pan du mur qui dévoila une niche.

Trônaient là un petit évier, des petits placards et un plan de travail supportant tout un tas de bocaux, d’ustensiles, un chauffe-plat électrique et une cafetière semblant dater du siècle dernier. Un objet en inox crasseux qui avait accepté de ne plus rutiler. Il nous prépara un café.

Pendant qu’il jouait les alchimistes, je m’assis sur son canapé qui m’accueillit en couinant. Vu l’état des ressorts, la partie de catch avec Alexis avait due être plutôt bruyante.

Elvis vint me rejoindre, accompagnée de deux grosses tasses de café fumantes. Puis, d’un coin de la pièce, il tira une petite chaise escamotable, qu’il déplia pour l’installer en face du cube lampe qui faisait office de table basse.

— Qu’est-ce qui t’amène tonton ? lança t-il. Ce n’est pas relâche pour toi aujourd’hui normalement ?

Tonton, il me surnommait ainsi depuis que nous nous connaissions. Un sobriquet juste affectif, révélateur d’aucune parenté.

Comme à son habitude, il ne se perdait pas en salamalecs complexes, mais allait droit au but. Elvis était l’improD le plus occupé que je connaissais. Le plus utile également.

Avec une extrême précaution, je pris le temps de sortir de ma poche le petit cube, avant de le poser avec délicatesse sur la table-lampe. Le contraste du noir sur le blanc nous saisit.

Elvis regarda l’objet de longues secondes, avec toute la curiosité d’un macaque rhésus.

— Je peux le prendre ? me demanda t-il.

— Tu peux y aller.

— Où l’as tu trouvé, fit-il en le saisissant comme une grosse friandise.

— Dans ma colibox ce matin même.

— Sous les radars je suppose.

— T’as tout juste.

Il l’observa sous toutes les coutures, avant de le reposer. Il saisit sa tasse de café fumante et s’adossa à sa chaise grinçante, en croisant les jambes comme un gentleman d’un autre temps.

— Que t’as dit ton ordi servile à son propos ? Sam ?

— Tom. Pas grand chose étonnamment. D’après les Data cela correspondrait à un projet développé par AmaZing il y a deux ans. Sans plus. C’est pour ça que je viens te voir, pour que tu m’en dises davantage sur mon petit cube.

— Et tu l’as mis en marche sans savoir ? Tu ne manques pas d’audace tonton.

— Puisque tu en parles, il y avait cette inscription à l’intérieur de l’emballage, une devise en latin que mon père aimait prononcer à tout va. La fortune sourit aux audacieux.

— Ton père travaillait-il sur ce genre de projet avant son accident ?

— Il travaillait sur quantité de projets mais je ne me souviens plus trop à vrai dire. Et je ne vois pas le rapport. Mon père travaillait pour SpecieZ, pas pour AmaZing.

— J’essaye de comprendre. La mise en marche a-t-elle déclenché quelque chose ?

— Là aussi autre mystère, rien a priori.

— Ou alors tu ne le sais pas encore, coupa t-il.

— C’est vrai. Tu as une idée de ce que pourrait être mon petit cube ?

— Peut-être.

La masse de données à laquelle accédait Elvis, me paraissait astronomique. L’Algorithme n’hébergeait qu’une partie émergée de Data. Une quantité colossale d’infos lui échappait encore. La toile informationnelle tissée entre les humains demeurant la plus conséquente. Le seul vrai réseau social encore à ce jour.

Il ménagea son effet, en ingurgitant plusieurs rasades de son café mal dosé. Du vrai jus de chaussettes. Je le regardai avec attention, intrigué de le voir apprécier cette lavasse.

— QUB ! s’exclama t-il. Et il se mit à épeler Q-U-B. Pour Brouilleur Universel Quantique.

— Ce ne serait pas BUQ plutôt, fis-je, après avoir éclaté de rire.

— Ça en jette moins dans ce sens, reprit-il, en riant à son tour. Et tu sais comment sont les consortiums, toujours à la recherche de l’acronyme parfait. C’est plus vendeur.

— Un énième brouilleur. Quel est l’intérêt ?

— Ce n’est pas un énième brouilleur. L’idée d’AmaZing est de développer le brouilleur ultime, indétectable et offrant à tous la possibilité d’échapper à l’Algorithme. Être hors réseau et invisible.

— Mouais. On en trouve déjà en contrebande. On s’en sert tous les jours.

— Peut-être tonton, mais toi tu es au SEC. Pour le proD lambda qui utiliserait un de vos brouilleurs de pacotille, il deviendrait illico repérable. Plus aucune donnée ne remonte, et hop tu te retrouves avec un couple de Traqueurs aux fesses. Te voilà épinglé pour brouillage des données. Les emmerdes commencent pour toi et ta famille. En route pour la déchéance.

— D’accord continue.

— Le brouilleur d’AmaZing ne perturbe pas le flux. D’une certaine manière, il le reprogramme. Les Data de l’utilisateur continuent de remonter vers l’Algorithme sous forme de données fictives. Un peu comme si tes oreilles écoutaient du techno-jazz, mais que ton cerveau entendait un discours de Nels Kumo. Au final, le tout est indétectable et intraçable.

Elvis n’aurait pas pu me faire plus plaisir.

Si ce bidule existait vraiment, l’Algorithme ne servirait bientôt plus à rien. Les données traitées devaient être fondées pour être exploitables. Si elles étaient fictives, elles devenaient aussi utiles qu’une mâchoire sans dents.

La collecte et le traitement de données représentaient le fond de commerce de SpecieZ. Sa véritable force de frappe. Les chinois les suivaient pour cette raison. L’Algorithme permettait une surveillance complète des populations soumises au processus, via les servCom.

En perdant cette faculté, le Consortium risquait gros. Il perdait un rouage essentiel à sa machine de pouvoir. Et à terme il perdait la confiance des chinois.

Ainsi, l’infaillibilité de SpecieZ devenait un leurre. Quelle satisfaction. Un jour viendrait où les pontes du conso devraient rendre des comptes. Ce jour était peut-être plus proche qu’il n’y paraissait.

Mais je ne devais pas me perdre dans ses ruminations prophétiques. D’un petit hochement de tête, j’invitai Elvis à reprendre ses explications.

— Mais le plus beau n’est pas là tonton. AmaZing veut aller plus loin avec ce truc et en faire une arme anti-servCom.

— Laisse-moi deviner. En les grillant ou quelque chose du genre.

— Bingo.

J’affichai un sourire béat, fier d’avoir eu cette fulgurance sans que Tom ne me soufflât quoique ce soit. Depuis ce matin je les collectionnais. Elles sortaient des tréfonds de mon ciboulot. Maintenant que j’étais lancé, autant ne plus s’arrêter.

— Sauf qu’AmaZing grillerait aussi les siens dans ce cas, repris-je. Je ne vois pas l’intérêt. Ce serait comme de faire péter une bombe atomique. Cela entraînerait des catastrophes en chaîne. Si l’Algorithme s’effondre c’est la fin du réseau et de tout ce qui va avec. C’est la fin des consortiums.

— Pas besoin de la faire péter une bombe atomique pour imposer le respect Waldo. Il suffit juste de faire savoir à l’ennemi que tu en as une et que tu es prêt à l’utiliser. C’est de la dissuasion rappelle-toi.

— D’accord pour la bombe atomique, mais pour ce brouilleur machin chose, il servirait pour dissuader de quoi. Nous sommes tous reliés au même réseau. L’Algorithme travaille pour chacun d’entre nous et nous en profitons tous.

— Certes, mais le réseau est-il employé de la même manière. AmaZing et SpecieZ partagent-ils les mêmes fins ? Maintenant, il est possible de faire péter une mini-bombe atomique sur un objectif précis.

Il marqua une nouvelle pause café. Je l’imitai en me gardant bien de grimacer. Je ne voulais pas le vexer.

En terme de fulgurance, là pour le coup, je marquai le pas. Où voulait-il m’emmener ?

— De quoi tu parles ? repris-je.

— Du projet Zombie.

— Allons Elvis, c’est un fantasme. Le truc a été enterré. Aucun état ne permettrait de telles dérives, ce serait donner aux consortiums le pouvoir suprême. D’ailleurs, aux dernières nouvelles les chinois n’ont pas donné suites aux élucubrations de Kumo à ce sujet. On sait ce qu’a donné sa piètre tentative durant la guerre.

— Tu tiens ça de l’Algorithme et de ses petites Data bien sûr, me coupa t-il.

Il m’observa avec toute l’assurance d’un grand fauve, le regard déterminé et le souffle au ralenti.

Le silence s’invita dans la pièce, aussi pesant que le doute qui venait de m’envahir.

— Oui et je suis bien placé pour le savoir je te rappelle.

— Bien sûr. C’est pour ça que tu viens me voir tonton. Parce que tu es bien placé pour savoir. Parce que tu sais mieux que moi. Parce que l’Algorithme est infaillible. Parce que les Data ne mentent jamais. Parce que ton Consortium ne manipule personne.

— Admettons. Il n’empêche que toutes les tentatives d’implantation d’un servCom dans un cerveau humain ont pour le moment échoué. Les cobayes meurent durant l’opération ou deviennent fous car leur psyché est incapable de supporter l’implant. Cela ne date pas d’hier.

— Oui. Mais imagine maintenant une seconde qu’ils parviennent à surmonter ces difficultés et que ça finisse par fonctionner. Ils mettent la main sur le cobaye parfait. Boum, les ingénieurs de SpecieZ parviennent à implanter un servCom au nez et à la barbe des chinois. Ils en ont parfaitement la capacité après tout. La Saine Entente le permet en plus. Imagine ensuite qu’ils parviennent à prendre le contrôle de l’individu pour le manipuler comme une marionnette.

— Tu es donc en train de me dire qu’ils y sont parvenus.

— Oui.

Mon cerveau s’activait comme une centrifugeuse. Mes idées tournicotaient et se plaquaient sur les parois de ma boîte crânienne. Impossible de réfléchir.

Il me fallait prendre quelque chose. Pas de tranZ cependant. Devant Elvis la chose ne pouvait s’envisager. Je repérai la petite boîte métallique qu’il avait agité dix minutes plus tôt. Il croisa mon regard. Pas besoin d’être un ingénieur quantique pour comprendre. Il me tendit la boîte.

Je captai deux relaX et les gobai aussi sec.

— Ça va tonton ? Me demanda t-il. On dirait que t’as vu un fantôme ?

Je devais admettre une chose. Mon succès en tant que Renifleur n’aurait pu être possible sans Elvis. Il me fournissait toujours des infos de premiers choix.

— Depuis quand tu le sais ?

— Ce matin. Ça circule sous les radars depuis le découverte du macchabée. Le type aurait été grillé pour cette raison.

Non seulement les données hors réseau pullulaient, mais elles circulaient aussi plus vite. J’affichai l’air le plus effaré disponible dans mon catalogue d’expressions.

— A voir ta tête, je comprends que le SEC t’a mis sur le coup. Je t’apprends encore quelque chose alors ?

— Comme souvent hélas, et avec une telle désinvolture. Mais c’est pour ça que je t’aime, dis-je, en lui envoyant un clin d’œil. Tes sources sont sûres bien évidemment ?

— On ne peut plus sûres. En relation directe avec AmaZing tonton.

— Cela pourrait expliquer pas mal de choses.

— Tu es allé sur place alors ?

— Oui, ce matin même.

— Et rien sur le projet Zombie ?

— Non. Mais sur le Grand Lancement oui.

— Une fausse piste.

— Possible. Je n’en sais rien. Pour le moment je tire sur tous les fils possibles et je verrai où est la bobine pleine.

Elvis ne se trompait pour ainsi dire jamais. On ne le considérait pas comme le meilleur Fouineur d’Oumane sans raison. Ses dernières déclarations éclairaient d’un jour nouveau l’enquête confiée ce matin même par le conso. L’empressement des Pontifes s’expliquait. Le Grand Lancement servait de rideau de fumée. Leur véritable préoccupation se situait à un autre niveau.

A bien y regarder, à aucun moment je ne m’étais attardé sur le mobile du meurtre. Depuis le début, tout laissait croire que celui-ci était obligatoirement en lien direct avec le projet de colonisation martienne. Abel Montrivaje étant un des responsables du Grand Lancement, l’évidence allait de soit. L’insistance d’Angelo, et les sous-entendus d’Erika Vyltmöss, me confortaient dans cette voie sur laquelle je m’étais engagé tout seul dès le départ, comme le pire des débutants.

Ma rancœur pour le Consortium facilitait les choses, puisque j’étais trop content de les savoir coupables. Je venais de comprendre que tout dans cette histoire de meurtre était tellement surexposé à la lumière, que j’en oubliais les ombres et les nuances.

— Et ce… ce prototype potentiel. On sait qui c’est ?

— C’est qui “on” tonton ? me demanda t-il, en posant sa tasse de café, désormais vide, à côté du brouilleur cubique. Ton conso le sait forcément, puisque un de leur chirCom a dû implanter le servCom dans le cerveau du cobaye. Il y a fort à parier qu’AmaZing le sait aussi puisqu’il s’est arrangé pour que tu reçoives ce bidule. (Il pointa du doigt le cube). Reste à savoir quand le prototype, comme tu dis, s’en rendra compte.

Son regard navigua exagérément entre le cube et moi. Il me préparait à entendre une vérité inadmissible que j’envisageais déjà, au plus profond de mon être.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça ?

— Waldo ? dit-il avec douceur.

— Oui

— J’ai une sorte d’étrange pressentiment. Mais je ne suis pas sûr que ça te plaise.

— Vas-y accouche, laissai-je échapper.

— Et si c’était toi le prototype ?

Voilà, il le verbalisait enfin. Cela lui brûlait les lèvres depuis le début.

— Bien sûr. Et je ne m’en rendrais pas compte.

— Non, fit-il d’un air désolé. Pour les raisons déjà évoquées.

Je pris de profondes inspirations. Les relaX ne produisaient aucun des effets attendus. Mes pulsations cardiaques avoisinaient celles d’un sprinteur en fin de course.

— C’est pas possible, me contentai-je de dire en secouant la tête.

— Je comprends que ce soit difficile à admettre tant cela est irréel. Mais réfléchis un peu à tout ce que tu n’arrêtes pas de me dire depuis ton accident. Tes maux de tête, tes oublis, cette incompréhension que tu éprouves vis-à-vis de ton conso. Cette étrange impression d’être en possession de quelque chose. Ces instants où tu as le sentiment que ton servCom est dans ta tête.

— Je m’en serais rendu compte Elvis. Je suis un Renifleur. Depuis tout ce temps, j’aurais fini par le découvrir.

— Peut-être Waldo ou peut-être pas. Ce n’est pas de ta faute. Il est plus facile de renifler le cul du voisin que le sien. Tu t’es habitué à ta condition. Ils t’ont conditionné. Tu n’as pas à t’en vouloir. Nous devons maintenant te préparer à l’atterrissage.

Jamais je n’avais entendu Elvis parler avec une telle douceur, même lorsqu’il fût adolescent.

— Bien maintenant que tu m’as glissé le suppo, affranchis-moi sur la suite possible. Qu’est-ce que tu sais ?

— Rien Waldo. Je ne sais rien car il n’y a jamais eu de précédent. Si ce que je pense s’avère exact, tu devrais finir par prendre conscience que Bob est fiché dans ton crâne.

— Tom ! maugréai-je.

— Pardon ?

— Mon servCom s’appelle Tom et non pas Bob.

— D’accord. Donc à un moment, tu vas te rendre compte que Tom est dans ta tête. Cela peut-être soudain ou plus soft. En théorie, il est possible que cela s’accompagne de douleurs et de délires.

— Et la pratique ? Si Tom me pète à la gueule. Bordel, si le servCom grille mon cerveau.

Il n’y était pour rien, mais j’en voulais à Elvis de me dire tout ça. Cette vérité m’effrayait. Je me sentais dans un état second. Désincarné. Cela ne m’arrivait pas. Je badtrippais à cause des relaX.

— Le bidule n’est pas prévu pour ça. Rassure-toi ! AmaZing ne prendrait jamais le risque de tuer le porteur. Les enjeux sont trop nombreux. Ça va aller. Nous allons y arriver Waldo.

Sa prévenance me rassurait. Mais l’espace d’une seconde je ne pus m’empêcher de penser qu’il en savait bien plus. Alors pourquoi ne me disait-il pas tout ? Comment savait-il autant de choses ? Et pourquoi ne me les dire que maintenant ?

Bon sang, Angelo ne se trompait pas. Je devenais parano. Lui aussi il savait. Forcément. Je ne me trompais pas. Le Consortium se servait bien de moi, depuis le début. Depuis l’accident.

Quatre ans à chercher des réponses, et voilà qu’elles m’éclataient à la figure en bloc. Toutefois, il m’en manquait encore, et surtout, il me fallait un peu plus de temps pour assimiler et faire le tri.

Je récupérais le cube et la petite boîte en aluminium pleine de médocs. Je fourrai le tout bien au chaud dans ma poche de veste, et refilai à Elvis un rouleau de ren, aussi épais que les semelles de sa catcheuse Alexis.

Elvis ne me retint pas. Il n’aurait pas pu le faire de toute façon.

Je quittai Le Colonial, par la porte de secours située à l’arrière du bâtiment, en moins de temps qu’il faut pour le dire, sans prendre le temps de saluer Quentin.

Dehors, la lumière de l’après-midi transperça mes rétines. Le soleil chercha à me faire fondre comme une tranche de beurre sur le biosphalt brûlant.

Chancelant, je regagnai ma voiture paniqué et groggy. L’air ambiant semblait dépourvu d’oxygène. J’étouffais, non pire, je me noyais. Ma tête me brûlait. La jauge de mon état de confusion ne tarderait pas à exploser. Les propos d’Elvis ricochaient dans ma boîte crânienne, comme des abeilles cherchant à quitter une ruche sans issue.

Retrouver mes esprits. Avaler quelque chose de plus fort pour me calmer. Vite un tranZ. Voilà. Bon sang, deux prises aussi rapprochées augmentaient le risque d’effets secondaires décuplés. Tant pis. Là ! Maintenant, attendre que le jus de came se répandît dans chaque tuyau.

Merde, je venais de prendre le dernier. Jamais je ne tiendrai sans tranZ.

Il me fallait un plan.

Primo, se rendre chez le Farma.

Deuzio, faire une bonne réserve de tranZ.

Tertio, trouver un moyen de virer cette merde de mon crâne.

Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Tom me donnerait la réponse.

Vite chausser mes hologlasses. Parler à Tom.

— Tom tu es là ?

— Oui monsieur.

Besoin de savoir.

— Tom es-tu dans ma tête ?

Silence.

— Tom.

— Oui monsieur.

— Es-tu dans ma tête ?

Silence.

— Pardonnez-moi Monsieur mais mon programme ne m’autorise pas à répondre à cette question.

Je fermai les yeux. Le jus de came se mêlait à mon sang. L’apaisement me gagna doucement. Je le laissai venir.

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