Prototypes

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“Ici c’est chez nous, parce qu’on était là avant les autres !”

Jean-Marc Oubatij, leader du Mouvement de Libération des Vrais Natifs et fondateur de Jimu

Quelque part en territoire jimusque

Août 2022, durant la Guerre de Partition

— Ce sont des chialeurs frustrés, des jaloux. Ils veulent ce que nous avons sans produire le moindre effort ! Le vrai problème, c’est qu’il y a eu des gens pour prêter oreille à ses revendicateurs vindicatifs et leurs arguments à deux balles. Ce sont ces mêmes abrutis qui ont réussi à leur faire croire qu’ils étaient bien meilleurs que les autres, ces putains de bouffeurs de racines, qu’ils étaient des champions. Et tu vois où ça nous mène, l’indépendance et la partition. Voilà le pays coupé en deux et c’est la merde. Si on avait su leur botter le cul dès le départ, nous n’en serions pas là crois-moi ! Si seulement il en restait des Vrais Natifs. Ils sont tous morts putain !

Cela faisait bien dix minutes, que Joyeux tempêtait et cassait les oreilles du groupe et en premier lieu de Padre, qui n’avait pas eu de chance, et fermait la marche à ses côtés. Laurent Grimi était un grand type d’une quarantaine d’années, aux cheveux aussi blancs que sa barbe, et au regard mauvais. Dans le groupe, personne ne le vit jamais sourire alors, le plus naturellement du monde, on le surnomma Joyeux. A côté de lui, Christophe Kadd paraissait plus petit, avec son mètre soixante dix, plus sympathique aussi, avec son air bonhomme à la Stan Laurel. Silencieux, il se contentait de hocher la tête à chaque fois que son camarade ouvrait la bouche. Mais Christophe Kadd ne l’écoutait pas vraiment, il priait. Avant la guerre il officiait comme diacre dans une petite église au bord de la mer, dans un quartier propret d’Oumane.

Joyeux était sur le point de reprendre sa litanie quand le sergent Térence T. Boyer ferma le poing et s’accroupit. Les onze hommes qui le suivaient l’imitèrent sans un bruit. Padre sourit, Joyeux se taisait enfin.

La section Fantôme des forces oumanaises indépendantes était arrivée à la lisière de la forêt sèche, à travers laquelle elle crapahutait depuis deux jours et deux nuits. Une vaste plaine herbeuse, qui servait jadis de pâturages au bétail du propriétaire des lieux, leur barrait le chemin. Le soleil venait à peine de se lever derrière eux, et une légère rosée recouvrait toute la végétation, ultime témoignage de la grande fraîcheur de la nuit passée. L’air était chargé de ces odeurs caractéristiques du petit matin à cette époque de l’année, un mélange de terre mouillée, d’humus et de bois humide, des odeurs que Térence connaissait bien, lui qui enfant venait chasser en de pareils endroits. L’alizé ne soufflait pas encore, mais déjà quelques nuages de pluie commençaient à s’accumuler sur les sommets de la chaîne centrale.

Cette Niña qui n’en finit pas, songea le sergent. Au loin, il entendit un cerf bramer. C’était la saison du rut et il se remémora la dernière fois qu’il avait abattu un corne molle. Il regarda à travers ses jumelles en direction de la petite colline qui s’élevait au milieu de cet espace en friche. Une petite ferme y culminait. C’était une ferme coloniale typique faite d’une grande maison carrée, au toit rouge délavé par des décennies de soleil et de pluie, entourée d’une varangue et de bâtiments annexes en tôles ondulées. L’endroit semblait abandonné. C’était là-haut qu’aurait du se trouver la famille de “beulan” qu’ils devaient exfiltrer, un couple et leurs trois enfants. Mais pour le moment le sergent Boyer ne décelait pas le moindre signe de vie. Ni homme, ni bête. Si des personnes se trouvaient encore dans la ferme ils seraient déjà affairés. On avait l’habitude de se lever avant le soleil dans cette partie du monde. Cette absence pouvait signifier des tas de choses, mais surtout qu’ils allaient devoir être sur leurs gardes jusqu’au bout. Le problème c’était cet espace dégagé entre eux et la ferme.

“L’absence d’obstacle est l’obstacle”, se souvint le sergent, tandis qu’il évaluait les risques que la section aurait à courir pour atteindre la ferme qui se trouvait au sommet du tertre. Ils allaient devoir avancer en terrain découvert sur au moins six cents mètres et Térence T. Boyer n’aimait pas cela. Les herbes étaient hautes, mais pas assez pour les dissimuler totalement. “Nous serons des cibles idéales”, pensa le sergent.

Il y avait encore quatre mois les choses auraient été tellement plus simples. La section serait intervenue à bord de deux hélicos et aurait évacué la famille en un clin d’œil. Car durant les premiers temps de la guerre, les Natifs ne prenaient aucun risque et se contentaient de défendre leur frontière et les points qu’ils estimaient sensibles. Ils effectuaient bien quels raids et parfois même tendaient quelques embuscades le long de la frontière, mais sans jamais prendre de grands risques.

Et puis, il y a deux mois, quelque chose avait changé, les Natifs disposaient de nouvelles armes et s’enhardissaient. Les excursions en territoire jimusque devenaient de plus en plus risquées pour les forces oumanaises. Un grand nombre d’hélicoptères avaient été détruits et les sections d’exfiltrations subissaient de nombreuses pertes. La semaine dernière un commando de Natifs avait même mené une attaque en territoire oumanais. Pire, les Natifs s’en prenaient désormais systématiquement à tous les “beulan” encore présents sur leur territoire et les massacres de familles isolées se multipliaient.

Désormais Jimu avait un allié, un consortium du nom de SpecieZ. Au début du mois de juin, son jeune dirigeant, Nels Kumo, habité par des préoccupations philanthropiques, annonça vouloir employer son immense fortune pour soutenir la cause jimusque, en livrant armes et matériel.

Sur le terrain cet engagement changea la nature du conflit.

Durant sa formation militaire, le sergent Térence T. Boyer n’avait cessé d’entendre son sergent instructeur répéter que les Natifs étaient des couards n’ayant aucune noblesse, n’attaquant que s’ils disposaient de l’avantage du nombre. Il aimait aussi à répéter que les Natifs ne tuaient que quand on leur tournait le dos, et qu’ils restaient une bande de sauvages primitifs peu rompus aux tactiques de la guerre moderne. Térence T. Boyer savait que ce n’était plus vrai. Il le constatait chaque jour en territoire jimusque. Il ne sous estimait pas les combattants Natifs, ennemis braves et inventifs, capables de sacrifier leur vie pour défendre leurs terres. D’ailleurs de nombreux Natifs faisaient partie des forces oumanaises et tous leurs frères d’armes reconnaissaient leur valeur.

Avec l’aide du consortium SpecieZ, les combattants de Jimu devinrent de redoutables adversaires.

“Cette ferme est l’endroit idéal pour une embuscade”, pensa-t-il, mais il s’empressa de chasser cette idée. Surtout ne pas penser au pire pour ne pas s’attirer le mauvais œil.

— Tu vois que’que chose sergent ? chuchota Blanche-Neige qui venait de s’accroupir à côté de son chef de section. Quentin Wayedr était un métis de mère native et de père débarqué, que le brassage génétique avait gâté. Beau et bien charpenté, il avait la peau foncée, de grands yeux verts et des cheveux blonds coupés à ras. Il aurait pu être mannequin ailleurs qu’ici ou peut-être plus tard. Pour le moment, il était caporal dans une section d’exfiltration de colons retranchés en plein territoire jimusque. Il s’était engagé dès l’annonce de la Partition. Dans la section tout le monde lui donnait du “caporal” mais dans son dos il savait qu’on lui avait donné le sobriquet d’une héroïne de Walt Disney.

— Pas âme qui vive, dit le sergent sans quitter l’objectif de ses jumelles.

— Vous pensez qu’sont encore là-haut ? repris le caporal.

— Tu veux dire vivants ?

— Si tu veux mon avis sergent, c’est l’endroit rêvé pour une embuscade, fit Joyeux. Les bouffeurs de racines nous attendent là-haut, c’est sûr !

— Ferme-la Joyeux ! rétorqua le caporal sans prendre la peine de se retourner. ‘lors sergent qu’est-ce qu’on fait ? On envoie une reco ? chuchota t-il.

— Non. On y va ensemble. Les Natifs savent tendre une embuscade et ils aiment les mauvais coups. Ils pourraient liquider nos éclaireurs et foutre le camp comme d’habitude. On va avancer sur l’objectif et le prendre en tenaille. Bébé rose et Joufflu nous couvriront depuis la forêt.

Les deux hommes se retournèrent et se rapprochèrent des autres membres du groupe. Tout le monde en profita pour boire un peu et avaler des barres énergétiques.

— Les gars on avance sur l’objectif au pas de course. On forme deux groupes. Groupe Charlie. Blanche-Neige, Cacahuète, Padre, Lulu, Roquette vous progresserez côté droit. Groupe Delta. Tank, Joyeux, Achille, Binoclard avec moi côté gauche. Groupe Vigie. Bébé rose, Joufflu, vous resterez en arrière pour nous couvrir. Trouvez-vous une position de tir, ordonna le sergent.

Bébé rose et Joufflu n’eurent aucun mal à se mettre à couvert. Revêtus de leur ghillie ils ressemblaient à deux gros tas de feuilles. Ils se positionnèrent sous un gros acacia pour disposer d’un angle de tir parfait. Grâce aux consignes que lui chuchotait Joufflu, Bébé rose effectua tous les réglages nécessaires en moins de temps qu’il faut pour le dire.

Devant eux, dans la verte, les groupes Charlie et Delta progressaient rapidement en direction de la colline comme une grosse paire de pinces. Ils parcoururent au moins deux cents mètres sans accrocs. Ils pouvaient voir leurs épaules et leurs têtes qui saillaient comme des gros rochers au milieu d’un océan d’algues vertes droites comme des I. Branchés sur le même canal audio en “full duplex”, tous les membres de la section Fantôme communiquaient en direct.

— Villa. Mouvement fenêtre gauche, annonça Joufflu au micro. Il scrutait la ferme à l’aide de sa lunette monoculaire. Aussitôt la section s’accroupit dans les hautes herbes en attente de nouvelles instructions. Distance six cent quatre vingt sept. Vent six heures. Altitude cinquante deux.

— Je ne vois rien, reprit Bébé rose qui venait d’affiner les réglages de sa lunette de visée. Il y a des rideaux aux fenêtres. Attendez.

Les groupes Charlie et Delta attendirent deux bonnes minutes avant de reprendre leur progression. Là-haut rien ne bougeait, ni les rideaux aux fenêtres, ni les feuilles des trois grands palmiers royaux qui s’élevaient avec majesté derrière la maison. Ils avancèrent encore de quatre cents mètres, et se rapprochaient du portail qui barrait la petite route en terre menant au sommet de la colline. Il leur restait un peu moins de cent mètres à parcourir.

Joyeux n’entendit pas le tir qui le tua et le sergent Terence T. Boyer vit la tête du soldat qui ne souriait jamais, exploser comme un ballon de baudruche lors d’une fête foraine.

— Sniper. A couvert ! hurla le sergent en se jetant à terre.

Les hautes herbes le dissimulèrent à la vue du tireur embusqué, mais n’arrêtèrent pas les balles des rafales de mitrailleuse qui balayèrent la zone où il pensait être à l’abri. “L’endroit rêvé pour une embuscade”, pensa t-il avant de mourir. Binoclard aussi n’eut pas de chance, une rafale de mitrailleuse transforma sa poitrine en passoire. Achille et Tank rampaient pour se mettre à l’abri. Ils venaient de mettre une certaine distance entre eux et la zone d’impacts. Elle continuait d’être criblée par les ogives de calibre 12.7. Les balles sifflaient dangereusement autour d’eux comme un essaim d’abeilles en furie.

Le groupe Charlie eut plus de chance. A l’instant où la tête de Joyeux disparut, ils traversaient une petite dépression, un ancien abreuvoir naturel pour le bétail. Ils purent se mettre à couvert quand les deux mitrailleuses lourdes se mirent en action. Seul le caporal fut touché. Il ordonnait à ses hommes de se mettre à couvert quand une balle écorcha une de ses joues. Gorgé d’adrénaline, il ne sentit ni la douleur ni le sang.

- Groupes au rapport lança Blanche-Neige dans son micro.

- Ici groupe Delta. Tank et Achille ok. Les trois autres au tapis.

Depuis le lisière de la forêt, Joufflu avait vu la tête de Joyeux éclater comme une tomate trop mûre. Presque aussitôt, il entendit le sergent et Binoclard pousser des râles de mort dans leurs micros. Il entendait désormais les membres du groupe Charlie tenter de s’organiser sous les ordres du caporal. De l’autre côté, Tank et Achille effectuaient des manœuvres pour déployer la mitrailleuse légère que la section emportait dans chacune de ses missions..

— Groupe Vigie ok. Attention sniper dans la maison. Priorité !

Joufflu et Bébé rose quittèrent le mode “full duplex” pour passer en mode “private”.

Ils étaient dans leur bulle.

— Récap cibles, demanda Bébé rose.

— Une mitrailleuse lourde dans le hangar de gauche. Une mitrailleuse lourde dans le hangar de droite. Un sniper dans la maison. Priorité sniper, rétorqua Joufflu. Fenêtre de gauche à l’étage. Distance…

— Non. Fenêtre de droite, le coupa Bébé rose. Il va bouger.

Bébé rose avait un vrai instinct de prédateur, une disposition cérébrale le faisant penser comme sa proie. Au début, Joufflu eut des doutes et puis rapidement il constata par lui-même le don de son camarade. Il savait à la perfection comment réagiraient ses futures cibles. Il anticipait leurs déplacements, devinait leurs intentions, percevait leurs émotions. Bébé rose ne se trompait pas et ne ratait jamais sa cible. Pour Joufflu, qu’un type aussi myope qu’une taupe pût être un tel tireur tenait du prodige.

— Distance six cent quatre vingt cinq. Vent six heures. Altitude cinquante deux. Joufflu vit un des rideaux trembler puis s’écarter. Le soleil se reflétait sur les petites vitres des fenêtres à battants mais Joufflu parvint à identifier une silhouette qui portait un fusil.

— Vert, reprit Joufflu.

Bébé rose retint sa respiration deux secondes et tira.

En regardant dans sa lunette monoculaire Joufflu crut que la balle n’avait pas atteint la cible, puis la silhouette s’écroula.

— Sniper ennemi à terre, annonça Joufflu qui était repassé en full duplex.

Le groupe Charlie continuait de s’abriter en se plaquant sur les contreforts du petit réservoir. Plus haut sur la colline, la mitrailleuse lourde continuait de les arroser de centaines d’ogives de cuivre. Les projectiles ricochaient, sifflaient et pénétraient la terre humide en faisant des bruits sinistres. Le caporal vérifia son arme et se tint prêt à bondir.

- I’vont recharger. Roquette, Lulu, faites-moi sauter le hangar avec le LR. Dès que ça pète on monte à l’assaut, ordonna le caporal en “full duplex”. Achille, Tank, restez à couverts.

La mitrailleuse se tut. Roquette déploya le lance-roquettes à la vitesse d’un éclair. Il posa le tube en matériaux composites sur son épaule. Il visa au centre des portes béantes du hangar. Il tira. Le projectile fila tout droit. Déterminé par sa propre nature.

Les deux mitrailleurs venaient de terminer le rechargement de leur arme, quand la tempête de feu et d’acier se déchaîna. Ils n’entendirent par leurs muscles se déchirer, leurs os se fracturer ni leurs organes exploser.

De là où ils étaient, Bébé rose et Joufflu virent d’abord une grosse boule de feu s’élever à gauche de la maison et moins de deux secondes plus tard ils entendirent la déflagration. Le hangar avait laissé la place à un chaos de tôles, de poutres et de poteaux en bois. Une sorte de mikado géant en flammes, auquel personne ne voudrait jouer pour le moment. Les derniers débris n’étaient pas encore retombés, que le groupe Delta se ruait à travers les derniers mètres de la plaine herbeuse pour gravir la pente en direction de la villa.

Ce qui restait du groupe Delta entendit clairement l’explosion et presque aussitôt n’entendit plus les rafales de la mitrailleuse lourde qui labourait consciencieusement le terrain depuis vingt secondes. Achille se redressa et se risqua à sortir la tête en direction de l’autre hangar d’où provenaient aussi des tirs. La large entrée vomit un pick up Toyota noir qui fuyait en marche arrière. Le conducteur effectua une manœuvre suffisamment savante pour redresser le véhicule et le mettre dans le bon sens. Mais l’accélération trop brutale fit patiner les roues du pont arrière trois bonnes secondes avant que le pick up se mette à dévaler la pente en direction de la plaine. Achille discerna deux silhouettes à l’intérieur du véhicule. Dans la benne, la mitrailleuse lourde qui les avait accueillis dès leur arrivée, tournait sur son trépied, comme l’aiguille d’une boussole ayant du mal à trouver le nord.

— Ils se barrent, lâcha t-il.

Tank se redressa à son tour et envoya une longue rafale depuis la mitrailleuse légère qu’il avait mis en bandoulière. Les ogives de calibre 7.62 frappèrent les flancs du véhicule et les fuyards, en claquant la tôle comme des grêlons lors d’un orage d’été. Le véhicule changea de trajectoire, et les roues du pont avant tournèrent brutalement sur la gauche. Le pick up effectua une série de tonneaux. La mitrailleuse et un de ses anciens servants furent éjectés à plusieurs mètres de hauteur, tandis que le pick up continuait sa série de roulé-boulés. Arrivé au bas de la pente, il s’immobilisa au milieu de nuages de poussière et de fumée. Plus haut, le type, qui avait été éjecté de l’habitacle, reposait au sol dans une posture grotesque. Tank remarqua qu’il avait perdu une de ses chaussures.

— Delta rapport, ordonna le caporal tout en essuyant le sang qui ruisselait de sa joue du revers de sa manche.

— Véhicule stoppé, cibles à terre, reprit Achille. A côté de lui Tank venait de recharger la mitrailleuse. Ils avançaient vers le Toyota dont le moteur continuait de tourner.

— Vigie rapport, demanda le caporal.

— RAS, répondit Joufflu.

— Ok vigie. Maintenez surveillance. On entre dans la villa.

— Caporal il y a quelque chose que vous devriez venir voir, fit Achille qui conservait son habitude de vouvoyer tout le monde.

— Du genre ?

— Du genre étrange, reprit Achille.

— Plus tard Delta. Prends l’truc en photo. Maison à explorer. Cibles potentielles. Priorité. Sécurisez l’accès depuis la route. Lulu et Roquette avec moi à l’arrière. Padre, Cacahuète vous entrez par là, ordonna le caporal en désignant la petite porte en bois qui donnait sur la petite véranda où le groupe était finalement arrivé.

Le caporal, Padre et Cacahuète longèrent au pas de course la façade puis le pignon sud pour contourner la villa. Le bruit de leurs bottes de combat raisonna sur le plancher en bois, comme les coups portés sur un tambour. S’il y avait à l’intérieur de la villa encore quelqu’un à prévenir de leur arrivée, c’était chose faite. Personne ne remarqua les deux chiens abattus au milieu de la cour.

— Vigie rapport, demanda une nouvelle fois le caporal qui était arrivé devant la porte d’entrée principale. Elle était entrouverte.

— RAS.

— Ok on y va fit le caporal en finissant d’ouvrir la porte. Devant lui, Padre s’était agenouillé et tenait l’entrée en joue avec son HK. Sitôt la porte ouverte Cacahuète s’engouffra dans la pièce arme à l’épaule.

— RAS, déclara Cacahuète.

— RAS, répondit Lulu qui venait aussi de rentrer de l’autre côté.

— Vigie rapport, ordonna le caporal.

— RAS répondit Joufflu de la lisière de la forêt. Avec Bébé rose ils continuaient de scruter les fenêtres de la façade et les abords de la villa à l’aide de leurs jumelles.

Padre, Cacahuète et le caporal se trouvaient dans une grande pièce qui ressemblait à un salon-salle à manger. A gauche de l’entrée, un grand canapé en rotin faisait face à trois fauteuils dépareillés aux allures démodées. Sur le canapé, bien alignées, des valises attendaient sagement un départ imminent. Il y avait des cartons empilés au sol. “Pensaient-ils vraiment emmener tout ça avec eux”, se dit le caporal. C’était une chose étrange, qu’il avait mainte fois constaté lors de ses précédentes missions d’exfiltration. Les gens s’accrochaient bien plus à leurs affaires et à leurs souvenirs qu’à leur propre vie.

A droite, la partie salle à manger était en désordre et sale. La grande table en bois était recouverte d’assiettes, de verres et de boîtes de conserves ouvertes. Quelques mouches matinales profitaient des reliefs restés fermement accrochés sur les assiettes, et s’octroyaient un bon petit déjeuner.

Pénombre et silence empoissaient le rez-de-chaussée. Des millions de grains de poussières flottaient, dans les rares rais de lumière que les volets de la varangue laissaient entrer. Un silence épais, presque palpable comme l’odeur douceâtre qui habitait les lieux. Une odeur d’ammoniac et de viande restée trop longtemps au soleil.

Les deux groupes se retrouvèrent dans un grand couloir terminé par des escaliers. Le caporal fit signe à Padre et Cacahuète de progresser dans leur direction. Ils longèrent le couloir et passèrent devant une buanderie vide et un bureau en désordre. Les escaliers menaient à l’étage. Ici l’odeur s’amplifia.

— Vigie rapport.

— Rien caporal. Depuis que vous êtes dans la maison aucun mouvement à signaler, confirma Joufflu.

— Bien on monte à l’étage. Rejoignez-nous.

Lulu, Roquette et le caporal longèrent à leur tour le corridor et gravirent les escaliers laissant Padre et Cacahuète en couverture. Les marches en bois craquèrent à plusieurs reprises et rompirent le silence assourdissant des lieux. A l’étage, Lulu fut le premier à arriver dans un couloir aussi long et étroit que celui du rez-de-chaussée. Chacun reliait les deux pignons de la maison. Les portes donnant sur les pièces de la façade ouest étaient closes. Lulu inspecta la première pièce ouverte. Une chambre avec un lit simple, une armoire en bois blanc, une bibliothèque et un petit bureau. Deux grosses peluches, un ours rose et un gorille mauve, montaient la garde dans un des coins de la pièce.

Roquette parvint à la deuxième pièce. Un homme gisait au sol près de la fenêtre. Il avait un trou gros comme un poing derrière la tête d’où s’écoulait un magma sanguinolent. Il tenait encore son fusil à lunette. Le sang avait giclé à travers toute la pièce donnant au murs et au plafond les airs d’une œuvre réalisée par un peintre pointilliste dément. Il y avait là un grand lit double et deux petites tables de chevet. Leur faisant face, un grand placard mural dont les portes coulissantes cachaient un dressing.

Un autre type assis, portant l’uniforme du consortium SpecieZ, gisait là, contre le mur faisant face à l’unique fenêtre. Il respirait encore, haletant et poussant des murmures plaintifs. Il maintenait, comme il le pouvait, son bras droit en charpie reposant comme une branche morte sur ses jambes. Ses yeux exorbités fixaient la vitre étoilée. On pouvait y lire toute l’incompréhension d’un être ne parvenant pas à saisir ce qui venait de lui arriver. Une même balle pour tuer le sniper et détruire son bras.

“Bébé rose t’es vraiment un champion ! Quel tir splendide !”, pensa Roquette. Prudemment, il s’approcha du blessé à la chevelure flamboyante et au visage rubicond, en le tenant en joue.

— Putain de merde ! s’écria Padre, qui venait de rentrer dans la première pièce, située à gauche de l’escalier.

L’odeur écœurante le frappa dès son entrée, et il éprouva un mal fou à s’empêcher de vomir. Il se signa trois fois de suite, une façon pour lui de se donner du courage et supporter ce qu’il vit.

Il se tenait dans une salle de bain au murs carrelés. Agenouillé près de la baignoire, un homme priait. Mais les bras ligotés dans le dos, sa tête posée sur le bord de la baignoire, et le trou dans la tempe contredirent immédiatement l’avis du soldat. Le visage du mort arborait une peau à l’aspect cireux et aux reflets verdâtres. Ses yeux grands ouverts devenus gris, fixaient le fond de la baignoire. Padre y repéra le corps d’un garçon d’à peine dix ans. Les yeux fermés, il semblait dormir paisiblement. Seules les traces de strangulation facilement repérables, indiquaient que le petit avait connu une mort violente.

— Bon Dieu c’est pas vrai, fit Cacahuète qui avait ouvert la dernière chambre.

Une femme et une jeune fille d’à peine douze ans étaient allongées sur deux lits simples, ligotées et nues. Elles portaient encore autour du cou les ceintures les ayant étranglées. Leurs vêtements déchirés, éparpillés en désordre dans toute la pièce, ressemblaient aux pièces d’un puzzle macabre.

— A tous regroupement et fin de transmission, lâcha Quentin Wayedr qui venait de rejoindre Cacahuète.

— Caporal, y a un truc bizarre ici, tu devrais venir voir.

Cette fois-ci c’est Roquette qui avait parlé mais sans utiliser son micro. Il avait interpellé le caporal depuis la pièce d’en face.

Roquette était agenouillé près du corps qu’il venait de retourner. Le mort avait perdu son oeil droit, là où la balle de Bébé rose avait fait mouche. Quentin s’approcha du cadavre.

— Putain c’est quoi ce bordel ?

— C’était leur sniper caporal, reprit Roquette.

— J’le vois bien. Mais ce n’est pas un Natif. Qu’est ce qu’il a autour de l’oeil ? Des fils électriques ?

— On dirait. Cela devait être relié à un appareil de visée comme une jumelle ou…

— … une caméra, coupa le rouquin qui gisait à l’autre bout de la pièce. Sa voix ressemblait à

— Qui c’est c’’ui-là ? demanda Quentin.

— Un ingénieur de ce foutu Consortium, répliqua Roquette. Venu pour observer apparemment.

— Observer quoi ?

— Il ne me l’a pas encore dit. Je lui ai fait un garrot, mais pas sur qu’il tienne le coup. Son bras est foutu. Mais le type doit être important Caporal. Vise un peu les fringues du gars. On dirait que le mec s’est fait beau pour le carnaval, on se croirait dans un épisode de la Guerre des Étoiles. T’as vu l’écusson, c’est un insigne de cosmonaute ou un truc du genre.

— Non, juste le dernier écusson de SpecieZ, conclut Quentin Wayedr.

Les pas des membres du groupe Delta résonnèrent, ils venaient de le rejoindre au deuxième étage. C’est Achille qui fut le premier à entrer dans l’ancienne chambre parentale. David Peggi avait conservé de ses lointains aïeux italiens des cheveux noirs et aussi bouclés que la toison d’un mouton. De vieilles cicatrices d’acné juvénile constellaient son visage rond. Dans sa vie d’avant, David Peggi avait été professeur de latin et de grec dans un lycée du sud d’Oumane. Il connaissait l’Illiade par coeur et s’exprimait de manière précieuse. Les membres de l’escouade le trouvaient un peu coincé. Ses petites lèvres et sa bouche en cul de poule n’arrangeaient rien.

— Nous avons les mêmes dans le pick-up caporal. C’est ce que j’essayais de vous dire tout à l’heure. Les deux hommes sont vêtus à l’identique. Eodem indutus.

— Z’ont des fils autour des yeux comm’ lui, siffla le caporal.

— Non, mais un des hommes a un bras mécanique et puis nous avons retrouvé cela dans une de ses poches, répondit Achille qui venait de s’approcher de son caporal pour lui remettre deux petites boîtes métalliques. A première vue cela ressemble à des pilules aux formes variées, des médicaments sans doute.

— Z’avez pris des photos ?

— Oui tout est là dedans s’exclama l’ancien professeur de latin-grec en agitant son téléphone portable. Hoc est in arca.

— Parfait. Prends c’ui là aussi en photo. Et en gros plan. Ensuite tu mettras sa tête dans un sac avec le bras mécanique de l’aut’ type dehors. On va ramener tout ça au QG. I’ s’ peut qu’ça intéresse !

— Ut quid ?

— P’tain arrête avec ton charabia greco romain. T’as bien entendu. Tu m’coupes la tête de celui-là et p’is le bras de l’autre monstre en bas et tu m’fourres ça dans un sac. T’inquiète ils sentiront rien d’toute façon. Roquette aide-le ! Et p’is pensez à bien fermer le sac, ça va schlinguer sinon. J’prends c’’ui-là avec moi. J’aimerais lui causer un peu, fit-il, en aidant le blessé à se relever.

— Caporal vous…

— Quoi Achille encore ?

— Vous devriez faire quelque chose pour votre blessure à la joue, ça saigne beaucoup.

— T’inquiète pas pour ça, fit le caporal en s’essuyant une nouvelle fois d’un revers de manche.

Joufflu quittait la forêt et avançait déjà dans la plaine herbeuse. Bébé rose rangeait son carnet de tir. De légers craquements derrière lui le mirent en alerte. Il s’accroupit sans un bruit, en scrutant la forêt. Son poignard en main il attendit.

A une dizaine de mètres de lui, une silhouette se déplaçait avec prudence et restait à bonne distance de la lisière. Elle regardait en direction de la ferme.

— Bébé rose qu’est-ce que tu fous ? demanda Joufflu sur leur canal privé. Il s’était retourné.

— Continue d’avancer Joufflu, on a un chewing-gum sur la semelle, reprit Bébé rose. Il avait soufflé ces derniers mots et n’était pas certain que Joufflu les ai entendus.

— Ok. Tu es sûr de toi ?

— Aucun doute je l’ai en visuel. Continue d’avancer il t’observe.

Joufflu reprit sa progression en direction de la ferme.

Toute la section était à l’écoute mais plus personne ne parlait.

La silhouette se rapprocha encore de la lisière en prenant soin de se dissimuler derrière les arbres. Bébé rose était aussi immobile qu’une souche. La silhouette était à trois mètres de lui maintenant. C’était un adolescent qui devait avoir treize ou quatorze ans, à l’allure dégingandée et aux vêtements sales. Il ressemblait à un jeune vagabond apeuré.

Bébé rose bondit comme un félin et saisit le jeune homme aux épaules en lui plaquant une main sur la bouche. Le jeune homme poussa un cri étouffé. Le jeune homme était en panique et s’agitait dans tous les sens mais le sniper n’eut aucun mal à le maîtriser.

— Tais-toi ou je te tue, souffla Bébé rose qui venait de poser le tranchant de son poignard sur la gorge de sa proie.

Le garçon arrêta de gigoter mais ne put empêcher son cœur de battre la chamade.

Bébé rose prit le temps de jauger sa jeune victime. Celle-ci ne semblait pas vouloir opposer de vraie résistance. C’était juste un gosse apeuré, recouvert de crasse et qui sentait la transpiration.

— Je vais enlever ma main mais si tu hurles je te tranches la gorge. Compris ?

L’adolescent ferma les yeux et agita la tête pour signifier qu’il avait compris. Bébé rose retira sa main mais continua d’appuyer sa lame sur le cou délicat du jeune garçon. Sa bouche libérée celui-ci prit une profonde expiration comme s’il remontait d’une plongée en apnée. Ses yeux, écarquillés comme ceux d’un faon en panique, fixaient l’homme avec intensité à la recherche d’une échappatoire.

— Ne me faites pas de mal supplia le jeune garçon.

— Comment tu t’appelles gamin ? demanda Bébé rose

— Elvis Fouinard, bredouilla l’adolescent

— Elvis ? Comme le chanteur ?

— Non comme mon grand-père, reprit le jeune garçon.

— Qu’est-ce que tu fais là Elvis ?

— Je… je me cache des hommes qui sont dans ma maison. En prononçant ces mots, l’adolescent porta son regard en direction de la ferme que la section Fantôme venait d’investir. J’ai pu m’enfuir quand ils sont arrivés. Je les ai entendus tuer mes chiens. J’ai couru pour venir me cacher ici. Je n’ai pas pu prévenir mes parents, j’ai eu trop peur. Ils sont là depuis trois jours, ils attendent quelque chose. Ma famille est encore là-bas.

L’adolescent éclata en sanglots.

Bébé rose retira le poignard qui menaçait encore la gorge du jeune garçon et se contenta de le regarder pleurer.

— Les hommes ne sont plus là maintenant, finit-il par dire en espérant que cela calme le garçon.

— Vous les avez tués ? hoqueta l’adolescent.

— Oui, nous les avons tués.

— Et maman, papa, Elisabeth, Freddy, vous les avez trouvés ? Ils vont bien ?

— Je crains que non mon petit.

Des larmes coulèrent le long des joues du garçon en traçant des chemins compliqués sur son visage crasseux. Bébé Rose retira la lame de son poignard, se redressa et aida Elvis à se remettre debout.

— Bébé rose ça va ?

C’était Joufflu qui venait de rompre le silence. Suivant les consignes de Bébé rose il avait progressé en direction de la ferme et quand il avait entendu les premières menaces proférées par son binôme il s’était tapis dans les hautes herbes pour attendre la suite.

— Ça va. J’ai un survivant de la famille avec moi.

Joufflu se redressa au moment où son camarade émergeait de la forêt. Il était accompagné d’un jeune garçon à la silhouette élancée.

Elvis ne fut pas autorisé à entrer plus avant dans la maison. Il resta dans le salon avec les valises, les cartons, Joufflu et Bébé rose. On lui avait donné à boire et il avait englouti en moins de cinq minutes toute une boîte des barres énergétiques de Bébé rose. Il entendait les consignes données par le caporal à l’étage sur la façon dont les corps devaient être enveloppés et transportés.

— Ils ont eu mal ? finit-il par dire en hoquetant. Il n’était toujours pas parvenu à calmer ses sanglots.

— Non, mentit Joufflu en jetant un regard complice vers Bébé rose.

— C’est allé trop vite rajouta Bébé rose.

— Pourquoi nous tuer ? On ne leur a rien fait.

— Vous étiez toujours là et c’était trop pour eux. Vous êtes des nuisibles, affirma Bébé rose en ignorant de manière délibérée le regard désapprobateur de Joufflu.

— Je ne comprends pas, fit le jeune garçon qui cessa de sangloter.

- Ce que… commença Joufflu avant que Bébé rose le coupe sèchement.

- Elvis tu as déjà tué des cafards ?

- Oui, oui, balbutia l’adolescent qui fixait Bébé rose avec incompréhension. Il ne sanglotait plus.

- Pourquoi tu les tues ?

- Eh bien parce que ce sont des cafards et parce que c’est sale. Tout le monde tue les cafards, c’est comme ça.

- Les cafards sont des nuisibles Elvis. Ils le sont pour toi comme vous l’êtes pour les Natifs.

Le jeune garçon ne sanglotait plus, il regardait Bébé rose comme s’il venait de voir un animal fabuleux.

Joufflu se leva pour s’interposer entre son camarade et l’adolescent. En faisant face à son ami il lui jeta un regard intense et noir. Puis il crispa sa bouche dans une grimace compliquée pour lui faire comprendre qu’il devait maintenant se taire.

Le caporal entra dans la pièce en soutenant par le bras le blessé trouvé à l’étage. L’homme s’affala sur le canapé, à côté d’Elvis. L’adolescent se leva d’un bond et se pressa contre Joufflu.

— Joli tir Bébé rose, se contenta de dire Quentin.

— Qu’est-ce qu’il fout là ? C’est pas un natif, reprit le tireur d’élite, en se tournant vers le blessé.

— Un ingénieur d’cette saloperie d’consortium. Un observateur.

— Venu observer quoi ? demanda Joufflu.

— C’est c’qu’il allait m’dire.

— Allez vous faire foutre ! s’exclama le rouquin.

Bébé rose lui envoya un magistral coup de crosse dans l’épaule. L’homme hurla comme un dément et tomba au sol.

— Waldo ! cria Joufflu.

— Fais sortir l’gamin Joufflu, ordonna Quentin.

Bébé rose redressa l’homme, tordu de douleur, pour le rasseoir sur le canapé.

— Allons, allons ! On va reprendre doucement mon gars. On commence par les bases. D’accord ?

— D’accord, balbutia l’homme qui suait à grosses gouttes.

— Bien. D’abord les politesses, continua Bébé rose d’une voix douce. Comment tu t’appelles ?

— Angelo Perada.

— Enchanté ! Qu’est-ce que tu fous là Angelo ?

— Je… je… commença le rouquin en jetant un regard inquiet au fusil que son tortionnaire tenait. Je suis ingénieur pour le consortium SpecieZ en mission d’observation.

Bébé rose regarda le caporal d’un air satisfait. Il sourit et s’agenouilla en se servant de son fusil comme une béquille.

— Et qu’est-ce que tu observes Angelo ? susurra Bébé rose.

Angelo Perada hésitait. Le soldat qui lui faisait face ne plaisantait pas. La douleur lui vrillant le bras certifiait son appréciation, et la froideur émanant de l’extrême pâleur de l’albinos sadique la renforçait. Il ne voyait pas ses yeux, cachés par des lunettes de soleil aux verres polarisés aussi épais que des culs de bouteilles, mais il les imagina aussi vides et froids que ceux d’un requin.

L’ingénieur de SpecieZ ne put s’empêcher de penser que l’achromique ferait un excellent prototype. Après la guerre peut-être. Très bientôt. Un réflexe professionnel. Le soldat cruel semblait posséder des prédispositions cérébrales qui aideraient à réduire les risques de rejet de l’implant.

Cependant, pour le moment, la question ne se posait pas encore. L’albinos venait de lui poser une question et il attendait une réponse immédiate. S’il tardait ou s’il donnait l’impression de se moquer de lui, un nouveau coup de crosse viendrait lui rappeler la politesse. Il s’agissait de trouver le parfait dosage, donner juste ce qu’il fallait pour s’en sortir. Après il verrait.

— Je suis là pour observer les effets de l’augmentation.

Le caporal Quentin Wayedr se rapprocha.

— C’est quoi l’augmentation ? demanda le métis.

— Des améliorations cybers qui augmentent les capacités physiques des humains, répondit l’ingénieur.

— Tu veux dire q’c’est toi qui leur a branché tous ces bidules mécaniques.

— Non. Ce sont les chirurgiens de notre consortium qui l’on fait et on appelle ça des implants.

Angelo fixa les deux soldats debout devant lui et leur envoya son plus beau sourire.

— Je lui pète les dents caporal ?

— Non Bébé rose.

— Je le bute alors ?

— Non plus. Essaye de lui bander son bras mieux qu’ça. On l’prend avec nous. ‘l a des choses intéressantes à dire.

Les dépouilles du sergent Terence T. Boyer, de Binoclard et de Joyeux furent inhumées à côté de celles de la famille Fouinard, non loin d’un gros manguier âgé d’au moins un siècle. On enterra aussi les chiens, mais à part. Padre récita deux prières. Le jeune Elvis entouré par Joufflu et Bébé rose tentait de dissimuler ses sanglots. Les soubresauts qui agitaient ses épaules ne trompaient personne. Le tireur d’élite albinos l’attrapa par les épaules pour tenter de le réconforter.

Dans le bâtiment annexe toujours intact Tank et Cacahuète avaient entassé les corps ou ce qu’il en restait des assassins. Ils les aspergèrent ainsi que l’intérieur de la maison du gasoil trouvé dans le hangar.

A la fin de la cérémonie, Elvis et Bébé rose restèrent seuls un moment, à l’écart, pendant que la section récupérait tout son barda.

— Tout à l’heure ton copain t’a appelé Waldo. C’est ton vrai nom ? demanda l’adolescent.

Assis sur un banc en bois, sous l’antique manguier, Bébé rose traçait des cercles dans la terre humide avec la pointe d’une de ses bottes. Penché en avant, il maintenait son équilibre en s’appuyant sur son SCAR-H comme un patriarche sur sa houlette.

— Oui.

— Tu t’appelles juste Waldo ?

Bébé rose se redressa, effaça les cercles en les balayant de ses semelles.

— Oui.

Le groupe redescendit la colline pour traverser la petite plaine où étaient morts trois de leurs camarades. Derrière eux les flammes dévoraient tous les bâtiments de la propriété Fouinard. Une fumée aussi épaisse que lugubre s’élevait dans un ciel qui s’obscurcissait de nuages lourds et menaçants. La nuit approchait et l’orage ne tarderait pas à se déchaîner.

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