Il faut sauver Erika

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L’Algorithme dit que les “ProDs” pouvaient produire plus. Il y eut l’augmentation.

Évangile selon l’Algorithme, La Genèse, 1-11.

Du secteur 4 au secteur 6

Je ne me pose pas de questions philosophiques. Je n’en veux pas non plus à Angelo. Pas le temps et de toute manière, il est mort. Pas vraiment le choix. Je le pleurerai plus tard, même si j’en doute. Qui pleure les ordures ?

Avec de la chance, j’arriverai à temps au Fidèle pour exfiltrer Erika Vyltmöss. Ma robocar file à l’allure URGENCE en direction du secteur 4. Il n’y a que deux secteurs à parcourir, mais vaut mieux ne pas traîner. Les autres véhicules me laissent passer. Le message transmis sur leur ordinateur de bord s’affiche aussi clairement que l’Evangile selon l’Algorithme dans une église transhUmaniste. “Cédez le passage. Véhicule prioritaire.”

Je gare la Satel à deux rues de l’entrée de l’hôtel. Au carrefour du boulevard principal et d’une petite rue transversale moins fréquentée. Sécurité et discrétion ne sont pas de trop. Du moins dans un premier temps. Si les choses tournent mal, on improvisera.

Si Angelo ne disait pas de conneries, les analystes du Consortium ne tarderaient pas à se poser des questions quant au silence de mon servCom. Je leur donne deux heures grand maximum. Cinq minutes pour constater le problème, le reste pour obtenir les autorisations en suivant la sacro-sainte voie hiérarchique. Sans parler du Guoanbu qui risque de rentrer dans la danse.

J’ai d’ailleurs du mal à cerner le jeu de Lena Dwarcolovna dans cette histoire. Cela ne fait pas partie des habitudes du Guoanbu de vous foutre, ne serait-ce, qu’une paix relative. Ces enfoirés ne vous lâchent pas. Pourtant, pour le moment, les choses se passent en douceur. La transoP slave semble ronger son frein. Elle me fout même une paix royale. Pourtant n’a-t-elle pas tenter de me faire comprendre à demis-mots que je suis suspect dans le meurtre d’Angelo ? Ses allusions m’ont semblé très claires.

Par réflexe, je vérifie être toujours en possession du cube. Il ne pèse rien et avec tout ça je l’ai un peu oublié. Il ne vibre plus et reste éteint, mais je préfère le conserver bien au chaud dans ma poche. Maintenant que je suis dans ce bain, je n’ai plus intérêt à ce que nous nous quittions. Peut-être me réserve-t-il d’autres surprises ? Si j’en crois les paroles posthumes d’Angelo, le Cube et moi sommes désormais unis pour la vie.

— Tom.

[Oui Monsieur.]

— Lance Doddd. Qu’il monte la garde et repère tout mouvement suspect de Traqueurs ou du Guoanbu. Priorité donnée à l’entrée de Fidèle. Au moindre doute il devra activer le signal d’alerte.

[Bien Monsieur.]

Je chausse mes hologlasses que j’active, et je vérifie la bonne charge de mon AED. Cette fois-ci, je ne suis pas certain que mon badge suffise. Si je veux impressionner les petits minets du Fidèle, j’ai intérêt à disposer de tout l’attirail des membres du SEC. On obtient toujours une meilleure coopération avec tout l’équipement. C’est un phénomène que j’ai remarqué à de nombreuses reprises. Il y a quelque chose de fascinant dans la psyché humaine, de très difficile à comprendre, mais de fascinant.

Je suis accueilli par le même type que lors de la première visite, MonsieurDame “Orientation” aux cheveux violet. Le non genré me reconnaît sans peine et trottine vers moi en remuant des fesses exagérément, comme une geisha montée sur des sandales en bois. Ces dernières étant sacrément plus élégantes, et de loin. J’espère que le gonze ne se fait pas certaines idées. Au vu de son sourire, j’ai quand même quelques doutes. Il s’est rasé la barbe. Un sérieux gain pour sa crédibilité.

“Agent Sirce. Nous sommes ravis de vous revoir”, fait-il en se frottant les mains. Il se souvient de mon nom en plus. L’employé du mois. ‘”J’ai besoin de voir Madame Vyltmöss sans tarder”. J’use de mon ton affable de Renifleur. Un ton qui veut dire : “On ne pose pas de questions et on fait très vite” ou en d’autres termes “magne-toi le cul !”. J’ai ponctué mon intention en exhibant mon badge à dix centimètres de son visage. Un vieux truc de Renifleur pour intimider. Comme la première fois, il n’a pas le temps de lire. Il s’incline comme s’il se trouvait en présence du Grand Monarque en personne. “Bien Monsieur”, fait-il en s’inclinant trop bas à mon goût. “Nous allons inviter Madame Vyltmöss à vous rejoindre immédiatement. Je vous prierai d’attendre dans le GRAND SALON”, reprend-il en m’indiquant la direction à suivre. Il a accentué ces deux derniers mots en ouvrant la bouche exagérément, comme un poisson à court d’oxygène. Je préfère conclure nos politesses : “Oui je connais merci”. Il s’éloigne aussitôt en se dandinant et en agitant les bras comme des essuie-glace.

Le kyste lumineux est encore là. Deux serveurs circulent entre les fauteuils et canapés, pour servir les rares clients de l’hôtel qui déjeunent. Je laisse échapper un sourire. Je retrouve ma partie de Pacman là où je l’ai laissée. Je ne prends pas la peine de m’asseoir, me contentant de garder un œil sur le compte à rebours incrusté sur mes hologlasses. Je me fixe cinq minutes, pas une seconde de plus, avant de filer.

Au bout de quatre minutes, Erika arrive accompagnée de l’obséquieux remueur de fesses. Efficace ceci dit. Elle ne semble pas surprise de me voir. Elle porte une combinaison moulante, qui met sa silhouette plus en valeur que lors de notre première rencontre. Entêté par son merveilleux parfum, je n’ai pas pris la peine de vraiment apprécier son physique à ce moment là. Erika Vyltmöss est une très jolie femme. Ses cheveux, coupés courts, au carré, encadrent un visage ovale aux proportions parfaites. Ses yeux verts en amande, sa bouche charnue couleur framboise. Tout me semble parfait. Mais cela ne reste qu’un point de vue.

Elle dit quelque chose à l’oreille du non genré, qui la laisse alors poursuivre son chemin dans ma direction. Elle marche d’un pas décidé. Nous nous serrons la main sans prononcer la moindre parole. Son contact m’est encore plus agréable que la première fois, électrisant. Nous nous fixons dans les yeux comme deux joueurs d’échecs avant un blitz. Je joue les blancs.

— Il faut que vous veniez avec moi tout de suite Madame Vyltmöss.

— Je sais, Monsieur Perada m’a prévenu.

Je cache mon étonnement par une phrase à l’emporte-pièce, sans trop savoir pourquoi. Peut-être en raison de mon extrême tension, ou bien à cause de cette désagréable impression de ne rien maîtriser à cet instant précis.

— Il ne pourra pas être des nôtres.

Elle baisse la tête avant de me regarder à nouveau droit dans les yeux.

— Je m’en doutais. Je suis désolée, rajoute-t-elle.

— Avez-vous des affaires à récupérer, Madame Vyltmöss ?

— Tout est là, fait elle en écartant les bras pour se dévoiler.

Elle porte une ceinture à compartiments autour de la taille et un petit sac à dos. Je ne vois aucun strappho. Comment fait-elle pour se passer de servCom ?

— Pas de valise ?

— Si, mais je ne souhaite pas éveiller les soupçons, alors je l’ai laissée dans la chambre.

Bien vu. J’esquisse un sourire.

— Alors pas de temps à perdre. Nous devons filer.

Je lui fais signe de se diriger vers le hall.

Le signal d’alerte s’active sur l’affichage de mes hologlasses, alors que nous arrivons au seuil du grand salon, juste avant de rentrer dans le hall.

— Tom, un problème ?

[Doddd a détecté deux véhicules suspects se dirigeant vers l’hôtel Monsieur. Cela ressemble à des Traqueurs.]

— Nous avons le temps de sortir ?

[Non Monsieur j’en doute. Il seront là dans deux minutes.]

Je rattrape Erika par le bras, en essayant de le faire avec le plus de douceur possible, pour ne pas l’effrayer. Je sens le galbe de son biceps sous mes doigts. Sous sa combinaison moulante, il m’apparaît à la fois ferme et souple. Un muscle de non augmenT.

“Qu’est-ce qui ne va pas ?” me demande t-elle. L’air paniqué dans son regard lui donnait des allures d’enfant perdue. Je murmure, “Pas par là. C’est bouché. Suivez-moi.”

Nous effectuons un demi-tour pour revenir dans le Grand Salon. Nous prenons la direction d’un des gros pilier. Je l’ai repéré tout à l’heure, au centre de la pièce. Un des serveurs grassouillets passe à proximité. Je l’interpelle en levant le doigt et en affichant un air aimable. Il se présente à notre hauteur.

Là où nous sommes, il n’y a pas de vis-à-vis avec la partie fréquentée du grand salon. Je vais devoir jouer serré. Un coup et un seul. Je plaque ma main sur la bouche du serveur et lui colle le canon de mon AED directement sous la gorge. Totalement surpris, il n’oppose aucune résistance, et se contente d’écarquiller les yeux comme s’il rencontrait je ne sais quelle créature monstrueuse. Je peux faire cet effet, surtout quand mon reptilien s’active. Avant de le plaquer, j’ai eu le temps de lire son prénom, sur la petite plaquette en aluminium qu’il arbore, comme une précieuse médaille, sur son pectoral gauche. Nous devenons très intime.

“ Timothée,” fais-je, en lui soufflant mon haleine au visage. “Nous devons partir de cet endroit de manière discrète avec madame. Est-ce possible Timothée ?” Il roule ses yeux en direction d’Erika et me regarde à nouveau. Il hoche doucement la tête. “ Cela veut dire oui ?”. Je préfère vérifier. Nouvel hochement de tête. Je reprends. “Bien Timothée. Si tout le monde est raisonnable il n’y aura pas de bobo. Je n’aurai pas à te tuer et tu pourras reprendre ton service tranquillement.” Ma main étouffe le petit cri qu’il pousse. Un cri animal, semblable à celui d’un petit chiot. Un réflexe normal dû à la peur. L’affichage de mes hologlasses indique : [sujet vraiment coopératif]. Il commence à haleter. Je relâche la pression et retire ma main doucement. Il chuchote, et son haleine est pire que la mienne. “Il y a une porte au fond du grand salon. On rejoint un couloir qui mène aux cuisines et aux réserves. Il y a une sortie de secours là-bas.”

— Tom, est-ce exact ?

[Absolument Monsieur.]

“ C’est bien mon garçon, alors on va te suivre.” Timothée se redresse et prend une profonde inspiration. Il réajuste sa combinaison de Pacman pour se donner du courage. Il marche d’un pas décidé vers la porte située au fond de la salle. Nous le suivons de près. Je le pointe avec l’AED que j’agrippe fermement dans la poche de ma veste, doigt sur la gâchette. Parvenus à la moitié du chemin, un groupe de consommateurs hèle notre serveur. Nous nous arrêtons. Avec beaucoup de sang froid, Timothée leur fait un petit signe de la main pour leur signifier de patienter quelques instants. Nous reprenons notre avancée. Je lui souffle quelques compliments, histoire de l’encourager : “C’est bien Timothée. Jusqu’ici tu t’en tires très bien.” Nous sommes maintenant devant la porte. Notre otage active le code d’accès. Le couloir offre deux directions. Il hésite en me regardant droit dans les yeux.

— Tom?

[Vers la droite Monsieur.]

J’agrippe Timothée le téméraire par la tignasse pour l’entraîner vers la bonne direction. Il tremble comme la feuille d’un badamier au mois de mai. Une série de portes indique la présence de bureaux, de cuisines et de lieux de stockage. Nous sommes en vue du bout du couloir et de la sortie de secours quand une des portes s’ouvre dans notre dos.

“ Hé vous ! Qu’est-ce que vous faites-là ?

Dans notre dos, un homme en combinaison blanche vient de surgir. Il porte une cagette en plastique débordant de légumes surgelés. Il la tient à bout de bras, avec toute l’attention d’une mère pour son nouveau né. Touchant spectacle.

- C’est moi Richard. Je fais visiter. Ce sont des amis.

- Timothée ? Tu as une autorisation pour ça ?

- Euh! Non ! fait Pacman. Sa voix indique qu’il était en train de craquer.

- Alors je vais devoir en référer à l’administration.Tu sais que c’est réservé uniquement au personnel par ici. Allez vous venez tous avec moi.”

Pas le temps de faire mon numéro de Renifleur. A cette distance, mon badge ne servirait à rien de toute façon. Je ne saurais pas dire qui, de la cagette ou de l’homme, fait le plus de bruit en tombant. A moins que ce soit le cri de Timothée quand je tire sur Monsieur Tatillon. Nous courons vers la porte de secours en laissant Timothée s’enfuir. Nous débouchons dans une servitude déserte.

— Tom, active la localisation de la robocar.

Le plan du quartier s’affiche sur mes hologlasses. Nous sommes tout proche. Erika Vyltmöss ne parle plus depuis mon plaquage de Pacman sur le pilier du Grand Salon. Je la secoue. “Suivez-moi !

- Vous avez tué ce type ? me demande-t-elle.

- Non. Je l’ai juste assommé. Allons il faut filer !

Derrière nous, à l’intérieur de l’hôtel, une alarme retentit.

Erika vient de rentrer dans la robocar, quand j’entends le crissement de pneus qui arrive de la droite, depuis le grand boulevard qui traverse le secteur. Ce n’est pas habituel. On ne fait pas crisser ses pneus à Oumane, sauf si on est en intervention et que l’on roule en mode URGENCE. Je vois que le flot de robocar commence à ralentir, et que les véhicules se rangent sagement, pour laisser passer une voiture gris anthracite qui fonce droit sur nous.

Je bondis dans ma Satel et démarre en trombe. Je tourne à gauche sur le boulevard, profitant du ralentissement de la circulation. Je me positionne au centre de la chaussée, et colle l’accélérateur au plancher.

— Tom, identification du véhicule qui nous suit ?

[C’est une Oyot modèle GiH numéro de sé…]

J’hurle, “Tom, qui nous suit bordel ?” Surprise, Erika crie, en repliant ses jambes pour amortir un choc frontal. Elle me regarde comme si elle voyait un transoP mal recousu. Elle hurle en retour, “Mais à qui parlez-vous comme ça ?”. Je n’ai pas le temps de lui répondre. Je lui expliquerai plus tard. Enfin si un plus tard existe pour nous.

Tom met du temps avant de répondre, 4 secondes à vue de nez. Je trouve ça très long.

[Des traqueurs Monsieur. En mode létal. Ordre a été donné de vous arrêter à tout prix.]

— Qui a donné l’ordre ?

[En haut lieu Monsieur. Sans plus de détails.]

— Qui est la cible Tom ?

[Madame Vyltmöss et vous Monsieur.]

A la bonne heure, le loup sort enfin de bois et tout le monde se réveille. La partie de chasse commence.

— A quelle distance sont-ils ?

[17 mètres Mon…]

Le son de la dernière syllabe est couvert par le nouveau cri qu’Erika pousse, lorsque le pare brise arrière explose. A l’avant, une étoile vient d’apparaître au centre de l’écran de réalité augmentée. C’est foutu pour la virée romantique. Une légère fumée s’échappe de l’ordinateur de bord. L’habitacle de la satel est éclairé par le rougeoiment du signal d’alerte lumineux. Je lis sur le verre de mes hologlasses : [Impact projectile].

Je tourne brusquement à droite, sur une route transversale à sens unique. Direction la zone orange toute proche. Nous aurons davantage de chance de nous en sortir en roulant plus vite. Sur le tableau de bord, les derniers voyants lumineux en état de marche clignotent comme une guirlande de Noël. Erika hurle une nouvelle fois. C’est un cri court et maîtrisé, une simple expression réflexe de la peur qu’elle éprouve à ce moment précis. Un trop plein d’énergie qu’il faut laisser sortir. Je suis ravi de voir son reptilien à l’œuvre. Je tente de la calmer. “ Pas d’inquiétude, les véhicules en mode autonome vont nous éviter”. Visiblement, cela ne suffit pas à la rassurer et elle s’agrippe à sa ceinture de sécurité.” J’espère que nos poursuivants sont en conduite autonome. Ainsi leur véhicule refusera la manœuvre. Je regarde dans mon rétroviseur extérieur. Nos poursuivants s’engagent sans hésitation en négociant le virage à la perfection.

“ Merde, raté !

- Quoi ? répond Erika.

- Nos poursuivants sont en mode manuel comme nous.

- Dois-je être rassurée ?

- Disons que ça risque d’être compliqué.”

Les voitures devant nous, nous évitent, en déviant leur trajectoire vers le trottoir. Il me faut vite un plan, mais je suis à court idée. Un boosT aurait été le bienvenu mais j’ai les mains prises. Tout est chamboulé dans ma tête, et sentir Erika stressée à côté de moi ne m’aide pas. Elle ne cesse de blêmir et fixe la route devant elle avec intensité.

Nous arrivons à un nouveau croisement. Je tourne à gauche. Mon virage est trop serré. La roue arrière cogne contre le trottoir, et je manque de perdre le contrôle de la robocar. Je sens des vibrations inquiétantes dans le volant.

Pour le moment un seul véhicule nous a pris en chasse et je trouve cela étrange. Les moyens déployés me semblent plus que sous dimensionnés. Nous n’avons même pas vu l’ombre d’un drone intercepteur. A ce propos. Quelque chose me revient.

— Tom.

[Oui Monsieur.]

— Où est Doddd ?

[Il au-dessus de nous. Il nous suit Monsieur. Depuis notre départ de l’hôtel Monsieur.]

J’active le visionnage “Point de vue de Doddd” sur mes hologlasses. Je peux voir la course poursuite en cours. Entrés en zone orange, nous sommes en train de rouler sur un axe peu fréquenté. Pour le moment, j’ai réussi à maintenir une bonne distance entre les deux véhicules, mais pour combien de temps.

Une silhouette semble vouloir s’extraire du véhicule qui nous poursuit, côté passager. L’homme tient une arme de poing, il nous met en joue. Un éclair de feu sort de la bouche de l’arme. Au même moment une deuxième étoile vient d’exploser sur l’écran en face de nous. Des centaines de microfissures apparaissent et la surface vitrée explose en milliers de morceaux. L’intérieur de l’habitacle sent l’ozone et les processeurs grillés. L’ordinateur de bord est HS. Je pense, plus fort que d’habitude, en espérant que mon servCom saisisse la nuance : “Tom, lance Doddd sur nos poursuivants. Tout de suite.”

Doddd fond sur la robocar aussi vite qu’une chouette sur un mulot. Sur mes hologlasses je vois le véhicule de nos poursuivants qui se rapproche à une vitesse folle. Deux visages apparaissent les yeux écarquillés. Le chauffeur hurle. Puis plus rien. Écran noir. Depuis mon rétroviseur, j’aperçois l’Oyot modèle GiH faire deux embardées, avant de mordre le trottoir. La robocar part en tonneaux et s’immobilise sur le toit. Le vacarme provoqué par une série d’alarmes s’engouffre dans notre habitacle en ruines. Derrière nous, une fumée épaisse et noire envahit la rue.

Ma satel arrive à un nouveau carrefour. Je prends à droite. A côté de moi, Erika, affiche un air ahuri. Elle reste très belle. “ Où allons-nous ?” me demande-t-elle d’une voix chevrotante. Elle continue de tenir sa ceinture de sécurité comme une forcenée. Je lui réponds le plus calmement possible.

“ Chez des amis.

- On peut compter sur eux ?

- Oui.

- Alors allons-y.”

Elle dit ça pour se donner de la contenance. Ses lèvres tremblent. Elle est sous le choc ou morte de trouille. Ou les deux. Mais elle commence déjà à reprendre des couleurs.

Je maintiens la robocar à l’allure URGENCE. Nous allons éviter les secteurs bleu plus fréquentés et rester dans les secteurs orange. L’air qui s’engouffre dans l’habitacle nous fouette le visage. Erika recouvre ses yeux de grosses lunettes de soleil qu’elle extirpe d’un des compartiments de sa ceinture. Elle se tourne vers moi.

“Je suis désolée Monsieur Sirce.

- De quoi ?

- Pour tout ça. Pour ces ennuis que je vous cause. Pour la mort de votre ami Monsieur Perada. Je suis désolé pour tout ça.

- Ne le soyez pas, Angelo n’a jamais été mon ami. Et il semblerait que vous n’y soyez pas pour grand chose Madame Vyltmöss. Si j’en crois ce que m’a révélé Angelo, vous êtes plus une victime qu’autre chose.”

Je me souvins de ce qu’Angelo m’a dit dans son message posthume. Elle est ma cible et j’aurais dû la descendre. J’ai tué son collaborateur à sa place. Est-elle au courant ? Serait-elle toujours aussi désolé en le sachant ? Dois-je le lui dire ?

“ Je suis contente de voir que vous allez mieux Monsieur Sirce.” Elle me fixe à travers ses immenses lunettes. Ses cheveux flottent dans le vent comme des herbes sèches. Je l’interromps.

“Je ne suis pas sûr de comprendre. Je vais mieux ! Comment ça ?

- Hier, lorsque vous m’avez interrogé, vous étiez tellement agressif.”

Je souris avant de reprendre. “L’agressivité est une seconde nature chez moi Madame Vyltmöss. C’est grâce à ça que je suis encore en vie.” Elle ne dit rien. Je ne mens qu’à moitié. Je ne veux pas lui parler des tranZ et des autres drogues, de mon reptilien, de mon passé, de mes douleurs, de Natacha, de ma lâcheté passée. Plus tard peut-être.

Vu l’état de ma robocar, je préfère la garer dans le parking souterrain et sécurisé du Narcobar. Quentin me fera une ristourne. En faisant le tour du véhicule j’appréhende l’ampleur des dégâts. Il y a deux autres impacts sur la carrosserie, sur le hayon arrière. Les écrans de réalité augmentée sont des souvenirs. La roue arrière gauche ne me paraît plus aussi verticale que sa voisine de droite. Le sacrifice de Doddd nous a tiré d’un très mauvais pas, mais je n’ai plus de drone de reconnaissance. Autant dire que je suis désormais aveugle.

Le narcobar est moins bondé que lors de ma récente visite. Il fait moins chaud dehors, mais toujours aussi froid à l’intérieur. Les enceintes diffusent une chanson au volume habituel : à fond.

Côté musique il n’y a pas de surprise ici : riffs de guitare lourds et saccadés, ligne de basse échevelée, batterie percutante, voix tonitruante. Un paradis pour les sourds. La femme qui chante, tient à le faire avec une voix aussi rocailleuse qu’un reg.

Sécurité, me laisseras-tu entrer dans ton bar

Je ne cherche pas les ennuis

Je cherche l’amour

Je ne cherche pas le mal

Je cherche l’amour.

Erika me regarde visiblement décontenancée. Elle a retiré ses lunettes de soleil et recoiffé ses cheveux. Elle fait une légère grimace. J’en conclus qu’elle n’apprécie pas trop ce genre de musique. Je m’approche d’elle pour lui susurrer à l’oreille : “Bienvenue au Colonial !”

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