Embuscade

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L’Algorithme nomma les productifs “Prods” et les improductifs “Improds”.

Les Consortium dirent que c’était bon.

Évangile selon l’Algorithme, La GEnèse, 1-8.

Secteur 10

No man’s land

Zone grise

Je regagne le parking extérieur. Seul, je traverse les longs corridors ronronnants et étrangement déserts de cette partie du complexe pharmaceutique. Mes pensées vagabondent et je tente de faire le point. D’un œil distrait je remarque le voyant fixe de mon strappho. Maintenant que nous sommes loin des brouilleurs du Farma, mon servCom est opérationnel.

Le retour de Tom me réconforte, tandis que cette petite déambulation m’apaise et éclaircit mes idées. Elle me permet aussi de prendre un peu de recul. Je connais trop le Conso et toute sa belle bande d’enfoirés pour émettre le moindre doute quant au dernier laïus du pontife en pyjama. Quel gros cinéma !

Même si tous ces affreux se détestent, ils se tiennent par la peau des couilles. Solidarité complice et connivence tordue sont les deux mamelles qui allaitent ce système dégueulasse. Bien sûr cela n’empêche pas les coups bas et les trahisons. Les requins aussi se bouffent entre eux. Mais cela se passe toujours dans une relative intimité, à l’intérieur du cénacle, entre initiés, or je n’en suis pas. Angelo me le renvoie suffisamment à la tronche pour qu’il n’y ait aucun doute à ce propos. J’appartiens à la catégorie du menu fretin, de l’appât pour gros poisson.

Je ne suis donc pas dupe. Malgré leurs apparences sibyllines, ces menaces ne s’adressent pas à mon boss, mais à moi. Le message est on ne peut plus limpide, j’ai intérêt à rentrer dans le rang et en quatrième vitesse. A mieux y regarder, le Turc n’annonce rien de plus qu’Angelo, un remâché de notre visio matinale. Je pourrais m’en offusquer, mais en réalité, leurs injonctions répétées et appuyées, en un si petit laps de temps, me rendent un énorme service. Elles me permettent de tamiser l’énorme tas de données qui s’accumulent depuis ce matin.

J’y vois un peu mieux à vrai dire. Au départ, Angelo et le Farma trempent dans la même affaire tordue et non officielle, une blackop dont j’ignore encore la nature exacte. Je pense même que ce duo est d’abord un trio, avant qu’Abel Monrivaje soit grillé. Ce dernier, sans doute trop gourmand ou se croyant plus malin, leur fait un petit dans le dos. Les deux compères l’apprennent. Ils liquident l’ingénieur quantique devenu trop gourmand. Mais trop tard. Les choses dérapent. Je ne sais pas pourquoi.

Ils diligentent une enquête non officielle et font appel au Renifleur idéal, à savoir bibi. Natacha étant la pupille du Conso, je me soumets facilement. Le Farma me pourvoie en médocs d’une efficacité redoutable. Et pour finir, mes compétences de Renifleur ne dépassent pas la note de cinq sur vingt. Car je dois bien l’admettre, mon QI flirte avec la moyenne, mon zèle avoisine la même ardeur que les rayons du soleil au crépuscule et mes appétences pour la procédure ne sont qu’apparentes. Mon instinct compense un peu l’ensemble, sauf qu’il n’est digne d’intérêt qu’en pleine bagarre, quand la situation dégénère vraiment et que mon reptilien entrevois le risque réel d’une disparition imminente. Instinct de conservation oblige.

Mais là encore les choses dérapent. Bizarrement, je me montre plus perspicace que d’habitude et mon flair redevient aussi efficace que celui d’un Saint-Bernard après une avalanche. Loin de jouer les discrets, je m’enthousiasme un peu trop et mon atavisme de mâle dominant me pousse à bousculer dans ses retranchements la merveilleuse Erika. Sans parler du cyborg slave, Lena Dwarcolovna, qui me scanne avec une telle acuité que je me crois devenu une momie égyptienne. Bonjour la discrétion.

Mes vagues éclaboussent les deux compères qui s’empressent de me rappeler à l’ordre. Je viens de pénétrer sur un territoire extrêmement dangereux. Mais je n’ai pas la moindre intention de faire demi-tour.

La nuit viens de tomber quand je rejoins ma robocar pour quitter le secteur 10. Je perçois sans effort le bruit lointain des nombreux méca3D qui s’activent. En regardant attentivement, je discerne leurs hautes silhouettes fantomatiques qui se détachent sur le ciel obscur encore dénué d’étoiles. Ils progressent lentement, par saccades, à la manière de robots arthritiques.

Je m’imagine leurs buses crachant les poudres de béton, d’acier et de verre que des faisceaux laser viennent fusionner par couches successives. Les bâtiments s’élèvent avec lenteur, respectant au millimètre les plans des programmes de design. Dommage que ces derniers soient à ce point limités. Une fois de plus, les monstres mécaniques accoucheront d’immondes progénitures.

L’éclairage biolum nimbe les alentours d’une brume verdâtre diffuse, et donne au paysage les allures d’un tableau de William Turner. Un de ceux de sa période tardive. J’aurais pu contempler ce spectacle fantasmagorique des heures durant, mais je me trouve encore dans le secteur 10.

Une fois assis dans la Satel 32, j’éprouve un besoin irrépressible d’avaler un nouveau tranZ. Trois dans la même journée. Les prises se rapprochent dangereusement et après l’épisode du début d’après-midi je prends un énorme risque. Cette came c’est pas de la gnognotte. Pour sûr, je deviens accro. En même temps, cette drogue ou une autre, quelle différence après tout ?

Et puis il me faut un truc costaud, pour amortir le choc. J’ouvre fébrilement la petite boîte en aluminium. Elle contient assez de pilules pour un mois, en étant raisonnable. J’hésite un temps et puis j’y vais. Je la gobe en fermant les yeux. Je me cale sur mon fauteuil et j’attends. Cinq minutes passent. Rien.

Si Elvis a vu juste, quand je prendrai conscience de l’implant, mieux valait être shooté à mort. L’instant se rapproche. Je le sens. Je l’attends, je l’espère, mais je le redoute, car je ne suis pas certain de pouvoir le supporter. Les expériences précédemment menées ne plaident pas en ma faveur. Les rares porteurs ayant survécus à l’implantation du servCom quantique finissent par se fracasser la tête sur les murs, quand ils ne se jettent pas dans le vide. Les chinois n’ont pas tout arrêté pour rien.

Dix ans que le projet Zombie n’avance pas d’un iota. N’en déplaise à Nels Kumo, son rêve d’interfacer un cerveau à un servCom demeure à ce jour inaccessible. Faute de résultats et de volontaires le projet finit par s’éteindre, aussi sûrement que la flamme d’une antique lampe à pétrole à court de carburant. Les chinois donnent le coup de grâce.

D’un autre côté, j’ai beaucoup de mal à admettre que les supputations d’Elvis se révèlent exactes. Cela me semble tellement improbable et irréaliste. Même si un de ses arguments apparaît imparable. Pourquoi m’aurait-on envoyer ce brouilleur ?

Je veux tenter quelque chose, histoire de m’ôter certains doutes.

Je ne démarre pas la robocar et ordonne à Tom de le faire à ma place. J’essaye de le faire mentalement, juste pour voir, en fermant les yeux pour mieux me concentrer, comme un foutu télépathe de pacotille. D’après Elvis, la chose peut se faire, puisque l’implant crânien permet la communication télépathique avec le porteur. Pensée vibratoire. C’est le nom qu’il a utilisé pour résumer le concept.

Mais j’ai beau fermer les yeux, et me focaliser comme un diable sur l’ordre donné à Tom, rien ne se produit. Mon injonction mentale disparaît dans le labyrinthe de mes circonvolutions cérébrales, sans jamais rencontrer le moindre implant quantique. J’éclate de rire.

Et si Elvis se trompe. Après tout, il n’est pas l’Algorithme. Un processeur dans mon crâne. Quelle connerie ! Et à mon insu en plus. N’importe quoi ! A quel moment me l’auraient-ils implanté ? Elvis perd les pédales. A moins que la télépathie reste impossible tant que ma prise de conscience de l’implant ne soit pas effective. Elvis m’a parlé de cet inhibiteur, qui joue un rôle fondamental, puisqu’il empêche l’hôte de se savoir parasité. Après tout, il n’est pas rare que les gens se sentent plus souffrants en se sachant malades.

Cela signifie que le cube n’a toujours pas atteint son but. Pour moi, le plus dur est donc encore à venir. J’espère que la désinhibition ne se produise pas durant ma traversée de cette satanée zone grise.

“Tom es-tu là ?” Je parle à mi-voix, avec la même solennité idiote qu’un médium.

- Bien sûr Monsieur.

- Je veux dire, es tu dans ma tête ?

- Pourquoi le serai-je Monsieur ?

- Parce que d’autres t’y auraient mis pauvre andouille !

Par toutes les datas, je débloque. Quand le troisième tranZ finirait-il par me calmer ? Je souffle. Je compte mes pulsations cardiaques. Elles sont rapides mais sans plus. Le jus de came est bien à l’œuvre. Ce troisième tranZ passe nettement mieux que le deuxième. Je ris. Ce sont les nems pas frais de le vieille Marie qui m’ont rendu malade.

- Techniquement je ne peux pas être dans votre crâne Monsieur car je n’existe pas dans l’espace physique. Je ne suis que Datas. Je ne suis qu’un code.

- Ne joue pas sur les mots avec moi. Tu as besoin de composants pour fonctionner. Tu as besoin d’un putain de corps physique.

- Techniquement cela n’est pas nécessaire Monsieur. Je pourrais être aussi bien hébergé dans le Nuage.

- Bon sang Tom arrête de jouer avec moi ! J’ai besoin de savoir si les composants qui te constituent sont dans mon crâne.

- Je ne peux pas vous répondre Monsieur.

- Pourquoi ça abruti ?

L’écho de mes hurlements dans l’habitacle réduit de la robocar vrille mes tympans.

- Parce que je ne suis que Datas Monsieur, je n’ai aucune conscience de moi-même.

- Assez !

- Bien Monsieur.

Je souffle une nouvelle fois pour laisser le temps à mes pulsations cardiaques de retrouver un rythme acceptable.

- Tom ?

- Oui Monsieur.

- Reconduis-nous à la maison.

- Bien Monsieur.

Il me reste une vingtaine de kilomètres à parcourir avant de retrouver mon appartement. Je me sens envahi d’une certaine fébrilité. Le contrecoup de ces rencontres avec le Farma qui m’épuisent. Mais surtout, je sais que sortir du secteur 10 à une heure pareille n’est pas de tout repos.

Tom m’adresse suffisamment de compte-rendus pour savoir ce qu’encourt un proD batifolant en territoire gris. Les incidents sont fréquents, quasi quotidiens. Les autorités font mine de s’y intéresser, mais en réalité ces secteurs sont des zones de non droit. Incontrôlables. Normal, il n’y a aucun profit à y faire pour le moment.

Le Guoanbu n’y vient jamais. Le SEC s’en fout comme de sa première enquête. Seul le Cartel O y exerce un contrôle plus que relatif, et en journée uniquement. La nuit, l’immense territoire à l’abandon devient le terrain de chasse des tribus d’improD qui le peuplent.

Pas plus tard que la semaine dernière, un de nos agents s’était fait cueillir de nuit par une tribu d’Echarneurs sur le boulevard extérieur. On avait retrouvé sa tête au milieu de la route le lendemain, aux aurores. Ses yeux grands ouverts renvoyaient tout l’effroi qui l’avait saisi au moment de sa mort. Pour le reste, on cherchait encore. Léo Henoc était un mec bien entraîné pourtant, mais apparemment cela n’avait pas suffit à lui sauver la vie. Il était sans aucun doute tombé sur une embuscade bien préparée par une bande supérieure en nombre. Méthodes caractéristiques de cette tribu d’affreux.

Une semaine avant lui, une petite famille avait été plus chanceuse. Leur robocar était tombée en carafe, au crépuscule, à la lisière du secteur 10. Heureusement pour eux, ils eurent affaire à une tribu d’Opportunistes. Moins bien armés que les Echarneurs, et surtout peu agressifs, ils se contentèrent de les dépouiller de leurs effets personnels. La petite famille s’en est sortie, à poil, mais sans trop de bobos.

Comment leur en vouloir ? Après tout, les improD ne cherchent qu’à survivre, et font comme ils peuvent. La grande masse des inutiles ne dispose d’aucun revenu, ni d’aucune prise en charge. Des parias exclus du système. Le Grand Renouveau Communiste tient en un principe très simple : “seul le productif est utile”.

Aussi, ces hordes de rejetés se partagent le territoire sur lequel ils peuvent encore survivre, à défaut de vivre, dans les no man’s land laissés à l’abandon par les autorités. Un grand classique de l’existence, “la nature a horreur du vide”.

Je traverse le no man’s land recouvert d’un voile d’obscurité. Seuls quelques îlots de biolumière entrecoupent les ténèbres angoissantes dans lesquelles la robocar se fraye un chemin. Elle finit de traverser la zone la plus sinistrée du secteur 10. Ici, plus aucun bâtiment ne tient debout, tout n’est qu’un amoncellement de tôles et de poutres rouillées, de blocs de ciment, de carcasses d’antiques automobiles thermiques et d’autres machines devenues non identifiables.

J’ai demandé à Tom de ne pas allumer les phares au laser. A cette heure-là il s’agit de ne plus attirer l’attention. Les tribus d’improD les plus téméraires attendent aux aguets.

La rencontre avec une tribu d’improD est comme une dégustation à l’aveugle ou une roulette russe plutôt. On espère que la chance soit de notre côté pour ne pas devenir un fait divers. Évidemment, pour couper court à toutes ces considérations quelque peu stressantes, je ne m’appesantis plus, me contentant d’appliquer une stratégie simple et expéditive.

Je traite toutes les attaques d’improD de la même manière. Sans prendre de gants. Jusqu’à présent, cela m’a réussi. Rien qu’un conditionnement parmi tant d’autres. Un réflexe que l’on se crée avant échéance, histoire d’être prêt, le moment venu et de ne pas flancher. A la manière du quidam qui se jette dans la rivière en crue pour secourir le malheureux emporté par les flots déchaînés.

Les retombées de mon dialogue stérile avec mon servCom rejoignent les nombreuses inquiétudes qui me submergent depuis mon départ de la Narcosynth corp. Dans le silence pesant de l’habitacle de la robocar, noir comme de l’encre, je rumine encore l’entretien que je viens de vivre avec le Farma, docteur es entourloupes. Mes méninges triturent mes dernières hypothèses et j’essaie de voir les choses à une autre échelle. Pas seulement au simple niveau du Farma et d’Angelo, mais au-delà, dans les arcanes mêmes du Conso.

Il est plus qu’évident que quelque chose cloche méchamment au sein de SpecieZ, et la fébrilité que je perçois depuis ce matin, laisse peu de place au doute. En plus de tout ce que j’envisage, une guerre entre service est-elle à prévoir ? A moins qu’une refonte violente de l’organigramme soit en préparation ? Le dernier coup d’état intra-consortium qui a mis fin à Papel76, le consortium américain, date de il n’y a pas si longtemps.

Au milieu d’un banc de requins les appétits sont féroces, et quand le bocal devient trop exigu, il arrive que le plus gros mange le plus petit. Nul besoin d’être un ingénieur quantique pour savoir qu’Omar Aygin ne manque pas d’appétit. Son réseau d’influence ne cesse de s’étendre, et ses relations avec les autorités chinoises deviennent aussi intimes que celles que ce gros dégueulasse entretient avec ses éphèbes maigrichons défoncés au relaX.

De l’autre côté de l’échiquier, Nels Kumo, fondateur et dirigeant suprême du Consortium SpecieZ, manque à l’appel ces derniers temps, jouant le rôle des abonnés absents. Par les temps qui courent, et dans les eaux troubles oumanaises, c’est un jeu très dangereux. Ce n’est certainement pas le moment de déclarer forfait. A ce propos, depuis quatre mois, la même question tourne en boucle à Oumane, “où est passé Nels Kumo ?”

Nels Kumo, le démiurge, créateur de l’Algorithme. Nels Kumo, le génie, initiateur de l’intrication quantique. Nels Kumo, le mégalo, souhaitant améliorer le sort de l’humanité. Nels Kumo, le mystérieux, que personne ne connait vraiment. Nels Kumo, l’absent ou l’inconscient, qui laisse vaquant son trône d’arrogance et de certitudes au pire moment.

Certes l’homme a toujours su cultiver le mystère autour de sa personne. Rares sont ceux qui l’ont approché et qui savent à quoi il ressemble vraiment.

Certains prétendent que Nels est une femme, d’autre un robot. Qu’il serait même l’Algorithme. Rien que ça. Les plus farfelus prétendent qu’il vit déjà sur Mars attendant les premiers colons pour partir à la conquête du système solaire entier.

Le signal d’alerte sonore envoyé par Tom interrompt le flot de mes pensées inquiètes et hallucinées.

— Obstacle en approche droit devant, annonce t-il.

Nous venons de parcourir huit kilomètres, la robocar s’arrête. Dans l’habitacle, un voyant d’alerte clignote désormais devant moi. Son tempo évoque celui d’une marche funèbre.

— Tom ! Analyse de la situation.

— Barricade à cent mètres devant. Un corps au sol. Signatures infrarouges à proximité. Quatre.

— Et derrière nous ? Est-ce qu’un repli est possible ?

— Non Monsieur. Plus maintenant. Signatures infrarouges. Quatre. Obstacle en cours.

Une embuscade à la con. Parfait !

— Bien, lâche Doddd à vingt mètres pour un panorama complet. Roule jusqu’à l’obstacle et stoppe à quinze mètres.

— Nous y sommes Monsieur.

— Analyse ultrason.

— Des fûts et des poutrelles métalliques Monsieur.

Je ne saurais pas dire si c’est en raison du nouveau tranZ que je viens de prendre, mais j’ai l’impression que je connais la réponse avant que Tom me la donne. Comme par transmission de pensées.

— Analyse possibilité de franchissement direct.

— Quarante-sept pour cent, Monsieur.

Je sais que les robocars ne sont pas indestructibles, mais vérifier ne coûte rien. La partie va être serrée.

— Tu détectes des armes.

— Oui.

Des Echarneurs alors. Pas le choix !

Il me faut un plan.

Primo : tirer.

Deuzio : tirer.

Tertio : tirer.

— Tom, avance encore de dix mètres et arrête le véhicule. Je vais sortir. Une fois que je serai dehors tu balanceras toute la sauce. Rend les aveugles comme des taupes. Synchronise l’attaque lumineuse en activant la vision infrarouge sur les holos. On aura droit qu’à une sortie alors te goure pas.

— Bien Monsieur.

Tous en disant cela je récupère mon AED dans la boîte à gants et active le mode létal. La robocar est à quinze mètres de l’obstacle.

Avec mon AED en mode létal je n’aurai droit qu’à trois tirs. Je ne dois pas trembler. Je ne sais pas avec certitude ce qui se trouve devant moi. Mon plan ne fonctionnera que si la barricade est tenue par une bande d’improD abrutis par des drogues mal dosées..

Les Echarneurs se défoncent avec de vieilles drogues de combat, comme la transine. On n’en fabrique plus depuis au moins dix ans, depuis la fin de la Guerre de Partition, mais il en reste des stocks considérables. Le Cartel O s’en donne à cœur joie, vendant à moindre coût, aux improDs les plus cramés, une substance désormais impossible à écouler sur le marché légal. D’après la formule consacrée, “Il n’y a pas de petit profit”.

J’ai vu les effets de cette merde pendant la guerre. Les soldats dans un état second massacrant tout ce qui bouge, sans distinction et sans remords. Leur mort ou celle des autres devenant un facteur insignifiant dans l’équation. Des soldats sans peur, agissant tels des zombies, le meilleur moyen de gagner la guerre. Le traité de paix signé à Oumane en a interdit la fabrication et l’usage. Les mauvaises habitudes ont la vie dure.

Je porte bien ma protection en biosteel, mais contre un tir d’AED elle serait aussi efficace qu’une feuille d’aluminium tentant de bloquer un éclair.

La voiture fait face à l’obstacle désormais, comme un taureau dans l’arène devant le matador. Sauf que la corrida ne serait pas holographique.

L’ouverture de la portière sert de signal. Tom et Doddd illuminent de tous leurs feux la barricade. Phares au laser et projecteurs au xénon, ils sortent le grand jeu et envoient une rasade colossale de lumens.

Je quitte l’habitacle protecteur de la robocar aussi vite que je peux. L’air chaud et humide contraste avec l’intérieur climatisé du véhicule. Mes hologlasses se couvrent d’une buée aussitôt dissipée par le régulateur thermique intégré dans la monture. La vision infrarouge s’active. Tout devient vert et brillant. Grâce au tranZ, mes rétines tiennent le coup. Drogues, en de pareils moments, je vous adore. Je souris comme un dément. Mon reptilien s’active.

Le bras déjà tendu, je cramponne mon arme dans la main droite, à m’en faire blanchir les articulations. Les phares surpuissants illuminent l’obstacle et ses gardiens qui flamboient sur mes holos comme de gros incendies au milieu de la forêt. Des improDs, deux mâles et deux femelles.

Un des mâles porte une paire de jumelles de vision nocturne, un modèle antédiluvien qui doit peser une tonne. Il tombe à la renverse en hurlant. Ses nerfs optiques viennent d’être sonnés par une série d’uppercuts et de crochets lumineux. Il arrache l’appareil préhistorique l’ayant rendu aveugle en se contorsionnant sur le sol comme le ver sur l’hameçon.

J’ai mal pour lui. Mais l’instant n’est pas à la compassion. Comme d’habitude Tom incruste le chronomètre. Mon reptilien adore ça.

[UN] A sa droite une femelle me vise avec une arme antique à gros calibre.

[DEUX] Elle n’a pas le temps de tirer et grille tandis que mon premier tir l’atteint en pleine poitrine. Des myriades d’étincelles jaillissent de sa carcasse qui s’écroule.

[TROIS] Je vise la deuxième femelle lorsqu’elle presse la détente de son arme.

[QUATRE] La détonation me semble assourdissante et je reçois comme un coup de poing sur mon flanc gauche.

[CINQ] Je tire par réflexe avant de tomber à la renverse.

[SIX] Je me relève presque aussitôt, le souffle coupé, mais le tranZ m’aide à sécréter des litres d’adrénaline. Je ne sens plus rien. Je ne ressens plus rien. Je m’en tiens au plan. Il flotte dans l’air une odeur d’ozone et de chair brûlée, de peur et de haine. Leur peur, ma haine.

[SEPT] La deuxième femelle est au sol.

[HUIT] Le dernier mâle est en fuite.

[NEUF] Mon ultime tir met un terme aux souffrances du porteur de jumelles aveugle.

[DIX]. [ONZE]. [DOUZE]. [TREIZE]. [QUATORZE]. [QUINZE]. Je peux dégager le barrage en moins de temps qu’il faut pour le dire. Au loin j’entends les hurlements du deuxième groupe d’ImproDs qui vient à ma rencontre. Je ne prends pas la peine de les attendre. Je remonte dans ma robocar pour filer, nous récupérons Doddd en route. [SEIZE].

J’ai conservé de la guerre tous mes réflexes.

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