Partie VI

4 minutes de lecture

Les jours qui suivirent furent aussi longs que monotones pour la pauvre dame. Chaque matin, une crise de toux sanglante la réveillait brusquement, et Falkwyr accourait depuis la chambre voisine pour lui porter secours, et éviter qu’elle ne s’étouffe dans son propre fluide vital. Elle avait ensuite droit à un peu de paix, avant qu’une autre crise ne survienne généralement en fin de journée. Sa poitrine la brûlait en permanence, et sa trachée la piquait à chacune de ses respirations. Dans la journée, elle lisait, et à cause de la fatigue, les mots se brouillaient et se mélangeaient, si bien qu’elle devait souvent reprendre plusieurs fois le même passage avant qu’il n’ait un sens. Elle n’avançait que peu dans son récit de poésies, en tout cas pas aussi vite qu’elle l’aurait voulu. Du reste, elle ne quittait pas sa chambre, et quasiment pas son lit.

Le guérisseur de Valebois répondait au nom de Taris, et vint la voir comme promis, sur les coups de midi du deuxième jour de sa convalescence. Il analysa la dame sous toutes les coutures, consulta ses épais et poussiéreux ouvrages et encyclopédies, et lui prescrit plusieurs teintures. Après une semaine, toutefois, force était de constater que les soins de l’homme-médecine étaient inefficaces. Anna-Élisa était plus pâle que la grande lune. Des poches rougeâtres gonflaient ses yeux. Elle était faible, si faible. En s’asseyant devant son miroir pour brosser ses cheveux, elle avisa de son état. Ses lèvres étaient craquelées, desséchées par le manque d’eau. Ses cheveux autrefois pleins de vie, sauvages, étaient raides et cassants. Le blanc de ses yeux n’était plus si blanc, mais constellé de veines rouges, causées par le manque de sommeil. En effet, presque chaque nuit, la maîtresse de maison était assaillie par les cauchemars. Si elle n’avait pas de nouveau rencontré la main noire et griffue de son premier rêve, ni même la créature à laquelle elle appartenait, elle retrouvait chaque fois qu’elle s’endormait une oppressante sensation. Elle ne se sentait pas seule, observée et suivie par quelque chose qui attendait son heure et surgir sur elle. Ne dormant que très peu, et sans sommeil réparateur, la pauvre dame s’enfonçait un peu plus dans la maladie.

La porte de la chambre grinça, un matin, et Anna-Élisa sentit que quelque chose était différent des jours précédents. Falkwyr entra, vêtu de sa tenue de voyage pourpre, pourvue d’une petite cape, de gants fins et de hautes bottes pour le protéger des intempéries. Il lui sourit, mais son regard trahissait ses vrais sentiments. Il y avait un mélange de peur et de pitié lorsqu’il la regardait ainsi alitée. D’habitude, elle lisait énormément d’amour dans ces yeux, et celui-ci lui manquait. L’homme vint s’asseoir sur le fauteuil installé à côté d’elle, recoiffa sa luxuriante moustache du bout des doigts, et lui annonça la nouvelle.

— L’empereur m’a fait mander pour une affaire urgente, ma tendresse.

— Que se passe-t-il ? Markys le Conquérant a-t-il tant besoin de toi ?

L’homme dégagea doucement l’étreinte de sa main autour du livre de mélodies, pour la prendre dans sa paume.

— Il va mener les troupes vers le Conclave des sorcières, et fait appel à tous ses conseillers de guerre pour l’aider à trouver la meilleure façon de franchir les quatre remparts qui l’entourent.

Anna-Élisa sentit un vide au fond d’elle. Elle se savait au plus bas, perdue et trop faible pour faire quoi que ce soit. Il n’y avait que son mari pour s’occuper d’elle. Il venait la voir plusieurs fois par jour pour la regarder, l’occuper, la nourrir. Elle n’était pas dupe, cette situation était extrêmement pesante pour Falkwyr, dont les épaules s’étaient affaissées au fil des jours. Mais, maintenant qu’il lui annonçait son départ, elle se sentait désemparée, abandonnée. Avec la fièvre, les pensées s’échappèrent de ses lèvres.

— Vous m’abandonnez.

Pendant un instant, l’homme serra plus fort sa main, et ses sourcils s’abaissèrent en une expression désolée.

— Bien sûr que non, Anna. Je vais écourter mon séjour à la capitale le plus possible, et en profiter pour chercher remèdes et guérisseurs qui sauront vous soigner.

La maîtresse de maison détourna la tête pour qu’il ne puisse voir la larme qui s’était échappée de son œil droit. Avec les reflets, on aurait pu croire qu’il s’agissait d’un de ces tours dont la lumière avait le secret, et que l’une des myriades de gouttes de pluie qui glissaient sur la fenêtre se réverbérait sur sa joue. Falkwyr lâcha sa main pour lui caresser les cheveux.

— Je promets de revenir très bientôt. Dans une semaine, deux tout au plus et si les intempéries me ralentissent. Et vous ne serez pas seule. Laëtine et ses filles viennent s’installer ici quelques jours pour veiller sur vous.

Anna-Élisa ne lui répondit pas, et attendit qu’il quitte la pièce avec un soupir pour tourner la tête vers la porte. Dans le lointain, elle finit par entendre la porte d’entrée claquer, et son époux lui manqua déjà.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Archelios Leochares ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0