Partie X

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Pour la première fois depuis longtemps, Anna-Élisa eut un sommeil sans rêve, ou plutôt sans cauchemar. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, il faisait presque nuit. Elle prit une grande inspiration, et constata que ses bronches semblaient plus libres qu’avant. Elle regarda ses mains, qui avaient cessé de trembler, et ne put réprimer un petit rire. Elle allait peut-être cesser de songer à sa mort prochaine, à la tristesse de ses proches, à la décrépitude de sa maison. Elle commençait enfin à guérir ! Se levant d’un bond, son équilibre laissant néanmoins à désirer après avoir passé autant de temps alitée, elle entreprit quelques pas de danse et tourna sur elle-même.

Sa joie ne fut que de courte durée, car déjà, une absence l’entacha. Son livre. Son précieux livre de mélodies à la couverture bleue manquait à l’appel. Elle s’accroupit pour regarder sous le lit et les meubles, souleva les couvertures pour voir s’il ne se cachait pas en dessous. Impossible de le retrouver. Pourtant, elle était persuadée de l’avoir laissé là après l’avoir terminé. La maladie lui avait embrumé l’esprit, aussi se décida-t-elle à aller chercher Falkwyr, qui l’aurait sans doute aperçu.

En traversant le couloir, elle eut l’impression de le voir pour la première fois depuis longtemps, alors qu’elle était descendue la veille. Un mince filet de poussière recouvrait le sol, seulement balayé par le rare passage de Laëtine et Falkwyr. Les meubles, les tableaux étaient également enveloppés de résidus gris. Les fenêtres avaient bien besoin d’un coup de chiffon. Et, par-dessus tout, il faisait sombre. En temps normal, jusque tard dans la nuit, le manoir était bien éclairé par de nombreux lustres et chandeliers, qui teintaient les murs d’orange et les silhouettes de rouge. Algarias avait visiblement pris ses aises quant à ses tâches quotidiennes depuis le début de la convalescence de la maîtresse de maison.

Soulevant le pan de sa robe de chambre noire, celle-ci s’apprêta à dévaler les marches du grand escalier, lorsqu’elle entendit des voix s’élever devant l’entrée. En passant le coin du mur et entamant sa descente, elle distingua Falkwyr, qui lui tournait le dos, et Laëtine, dans la pénombre de l’encadrement de la porte. Anna-Élisa remit à plus tard la question qui lui brûlait les lèvres, pour venir les rejoindre.

— Anna, vous êtes debout ? Vous m’avez l’air avoir le teint plus rose que ce matin.

Laëtine était seule, et, si elle tentait de ne rien laisser transparaître, les rides de son front plissé montraient clairement qu’elle était inquiète. La dame trouva étrange de la voir sur le seuil de sa porte. Non pas que cela lui déplaisait, mais ce n’était pas dans ses habitudes de se montrer aussi tard, surtout après avoir quitté le manoir dans la matinée.

— Je me sens un peu mieux, en effet, et c’est bien grâce à vos bons soins. Que nous vaut l’honneur de votre visite ?

— Il s’agit de Violys. Je ne l’ai pas revue depuis que je suis rentrée, et cela m’inquiète.

— Ne vous avait-elle pas laissé un mot en quittant le manoir, pour justement vous rassurer ?

— Elle m’avait écrit un message, disant qu’elle rentrait pour s’occuper de nos fleurs et nos clients, en effet. Mais j’ai trouvé porte close en arrivant devant ma maison, et rien n’avait été préparé. C’est comme si elle n’était jamais passée.

Falkwyr fronça les sourcils.

— Ne pourrait-il pas s’agir d’un prétexte qu’elle aurait utilisé pour passer du temps avec quelques amis ?

— Cela lui ressemble peu. Elle ne disparait jamais longtemps avec les jeunes gens du village, et se soustrait encore moins à ses nécessités.

Anna-Élisa posa sa main sur l’épaule de sa comparse.

— Je suis certaine qu’elle va très bien. Nous allons fouiller le manoir pour voir si nous ne trouvons pas un indice sur l’endroit où elle aurait pu se rendre, et nous vous retrouverons dès demain matin, si jamais elle n’a pas reparu.

Laëtine les remercia avec ferveur, et partit d’un pas pressé. Elle avait de la route pour rentrer au village, et sans doute voulait-elle éviter de marcher trop longtemps dans la nuit, et laisser seule sa plus jeune fille Narcisse. Falkwyr referma la porte lorsqu’elle disparut de leur vue. Réfléchissant, la maîtresse de maison enroula une mèche de ses cheveux autour de son index.

— La dernière fois que j’ai vu Violys, nous étions dans le jardin. Peut-être y a-t-elle laissé quelque chose ?

— Cela me paraît peu probable. Si elle a oublié quelque chose ici, cela sera plutôt dans la chambre qu’elle a emprunté.

— Vous avez raison. Allons tout de même inspecter le jardin, avant qu’il n’y fasse trop sombre et trop froid.

L’homme à la sublime moustache haussa légèrement les épaules, avant de tendre la main pour indiquer à son épouse de prendre la tête.

Il faisait en effet déjà sombre et froid dans le jardin. Anna-Élisa frissonna et frictionna ses bras pour se réchauffer un peu, sans grand succès. Elle fit le tour du grand buis, Falkwyr sur les talons. Comme ce dernier s’y attendait, ils ne trouvèrent rien qui sortait de l’ordinaire. À mi-parcours, la dame se souvint qu’elle avait une question à lui poser sur son livre. Mais un nouveau tremblement lui glaça le sang et lui donna la chair de poule, et elle laissa son mari finir l’inspection de l’extérieur pour rentrer avait d’attraper à nouveau une maladie.

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