Nuit

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23 heures. Sait-on jamais, tentons : je me mets à l'horizontale sur mon lit tout habillé. Quelques minutes et rien ne se passe. Echec ? Devons-nous déjà abdiquer ? Certes non ! Je n'ai pas dit mon dernier mot. Tentons plus : je ferme les yeux et essaie de penser à une chose agréable – île, sable fin, eau turquoise, colline verte, fraîcheur des montagnes, senteur des campagnes, ciel sans nuages, battre des ailes, matin ensoleillé, matin tout court car réveil veut dire...

1 heure. Echec. Debout, je marche jusqu'à me surprendre immobile comme hypnotisé devant un livre de ma bibliothèque : J'ai tué de Boulgakov. Je me défige, mes poings se desserrent et il est alors 2 heures 34.

3 heures 10. Débardeur torturé, débardeur ajouré, je me débats contre la nuit. Et j'y vois flou. Fou rire sans raison. Et mes tremblements sont tels qu'ils me font dire à voix haute : j'ai froid.

3 heures 16. La neige lumineuse qui remplit la lune et qui par ses rayons blancs détonne dans le noir, empêche les conditions de ne ressentir ne serait-ce que les prémices de ce qui pourrait s'apparenter à un début de rêve. L'insomnie et ce blanc sont la cause de mon froid, et la première l'effet d'une vision à la lisière du rêve et du délire : bien loin d'un soleil de minuit ou d'un phare céleste – père de tous les phares léchés par les mers –, je vois la pâleur d'une madone horrifiée. Je voudrais la rassurer, lui dire que mes rides ne sont pas la marque de ma culpabilité, que mes soliloques adressés tantôt au mur tantôt – quand je m'énerve – au miroir ne font pas de moi pour autant un criminel, de même que mes danses avec les ombres de mes convulsions passées ne font pas de moi pour autant un fou. J'aimerais lui dire, mais je n'ose interrompre ses larmes – elle pleure.

5 heures 10. Le sommeil n'est plus qu'un point asymptotique que mon doigt – tendu à l'extrême – essaie d'atteindre depuis que mon corps, ou peut-être l'image indivise que je m'en fais, ne trouve plus la force de s'oublier lui-même dans mon esprit. Le hululement s'est tu, le vent ne bat plus l'air, lui-même s'étant endormi.

6 heures moins quelque chose. Dehors je marche et me prépare déjà à affronter la nuit de ce soir. Mais soudain, une encre rouge colorant la (re)naissance du ciel et précédant tout d'abord les timides rayons d'un soleil encore dans la Méditerranée, m'impose en m'éblouissant la vision que je craignais : le sang de l'homme que j'ai tué.

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