01. Destination Cuba

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Joy

— Tu veux que je conduise ?

— Tu ne touches pas à ma caisse, c’est pas pour rien que la tienne est dans cet état, bougonné-je en prenant des mains de Théo les clés.

— Vu ta tronche, pas dit que tu voies la route, se moque-t-il. Allez, Princesse, laisse-moi conduire.

Je soupire et lui tends les clés avant de récupérer ma valise. Moi qui étais si contente de partir à Cuba, me voilà à appréhender comme pas possible. Une semaine avec Théo ou avec Kenzo, ok, mais une semaine avec Alken après sa petite sortie de merde à la bibliothèque, je ne sais pas si je vais supporter. Je n’arrive pas à croire qu’il ait lâché l’affaire aussi facilement. Et plus que tout, je me déteste d’être aussi faible. Une vraie loque, je me désespère. Me lever tous les matins depuis une semaine est un calvaire, sachant que ma matinée est occupée par le cours de danse contemporaine et… Lui. J’aurais mieux fait de me péter le genou le jour où j’ai décidé de coucher avec Smith.

Le trajet jusque chez les O’Brien se fait en silence. Théo est un amour qui a bien remarqué que j’allais mal, et forcément, j’ai dû lui parler de ma fin de relation avec le comptable. Je déteste lui mentir, même si ce n’est qu’une omission. Techniquement, il sait tout de ma relation avec Alken, sauf que c’est de lui qu’il s’agit. Et le côté interdit.

— Tu comptes faire la gueule comme ça toute la semaine ?

— Tu comptes m’emmerder comme ça toute la semaine ? J’aurais peut-être dû proposer à Enrico finalement, marmonné-je alors qu’il se gare devant l’immeuble d’Alken.

— Joy, on va à Cuba. On va s’amuser toute la semaine ! Au soleil ! Et danser ! Tu verras, tu vas l’oublier rapidement, ton comptable !

— Ça va être difficile…

Sachant qu’il vient avec nous à Cuba. Je sens ma gorge se serrer rien qu’à l’idée d’être face à lui alors qu’il m’a lâchée comme une malpropre, au beau milieu de la bibliothèque, sans aucune possibilité de discuter.

Je sors rapidement pour aller sonner à la porte de l’immeuble et retourne dans la voiture en courant. J’en ai marre de cette foutue pluie, c’est un cauchemar. Vivement Cuba, au pire, j’irai sur une autre plage, sur un transat plus loin, peu importe.

J’ai l’impression de refroidir tout l’habitacle déjà pas bien chaud lorsque Alken ouvre la portière derrière moi pour monter, rapidement rejoint par Kenzo de l’autre côté. Ce dernier est tout joyeux quand son père est beaucoup plus sur la réserve. Je confirme que la semaine va vraiment être compliquée à vivre pour moi. J’ai envie de pleurer rien que de sentir son parfum embaumer l’intérieur de la voiture.

Kenzo et Théo papotent comme si de rien n’était. Et c’est le cas, pour eux, alors que je me terre dans mes pensées, dans mon silence et ma mauvaise humeur. Voilà pourquoi je ne voulais pas me déclarer, pourquoi je ne voulais pas lâcher prise. Ça fait trop mal quand ça se termine, et j’en paie les pots cassés, à coups de chaudes larmes, de sommeil perturbé, de résultats merdiques en cours. Merci Alken Smith O’Brien, comptable mytho.

Je rumine encore et toujours alors que nous nous installons pour boire un café avant l’embarquement. Je ne sais même plus ce que je préfère : l’avoir en face de moi ou à mes côtés ? Peu importe, la douleur est la même, sourde, puissante et dévorante. Il faut vraiment que je me reprenne, mais ce n’est pas faute d’essayer. Je m’installe donc finalement face à lui, aux côtés de Théo.

— Dans un peu plus de dix heures, on est à la Havane, s’enthousiasme Théo. Joy, merci de m’avoir invité. Vraiment. Tu fais de moi un homme heureux. Et puis, c’est super aussi de pouvoir partir avec vous deux.

— Oui, ça va être super. Regardez ça, dit le jeune danseur en montrant son téléphone, il y a des plages de sable fin et des paysages magnifiques.

— Oui, et j’ai vu des vidéos du danseur pro de salsa qu’on va rencontrer, il est juste divin. J’ai hâte de pouvoir profiter de ses talents. Et des plages, bon sang. Du soleil, de la chaleur et le quotidien bien loin. Je suis contente de partir avec vous aussi. Et, je n’aurais jamais pu faire ça sans toi, mon petit coloc d’amour, souris-je en me lovant contre lui.

— C’est aussi grâce à Alken, Princesse ! Vous étiez formidables, tous les deux.

— Merci Théo, c’est gentil. Mais c’est Joy qui a apporté toute la grâce. Ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre, mais danser avec elle est un vrai plaisir. Une semaine de farniente va nous faire du bien. On oublie tout quand on est en vacances.

— On essaie de tout oublier, oui, marmonné-je alors que j’entends Théo soupirer. Oui ça va, j’arrête, je la boucle. Excuse-moi.

— Il va falloir tourner la page, Princesse. Ton comptable est un con, c’est tout. Il ne sait pas ce qu’il rate.

— Ouais, un sacré con, tu as sans doute raison, ris-je. Bon, allez, vivement Cuba. Le Rhum, les plages, les Cubains. Je crois que je vais profiter.

— Regarde, ça c’est une photo de notre guide quand on sera sur place, me dit Kenzo. De quoi oublier n’importe quel autre mec, non ? Tu as vu ses biscotos ? S’il est célibataire, je sens que tu vas en faire ton quatre heures !

— Effectivement, souris-je en faisant mon possible pour ne pas jeter un œil à Alken. Goûter, dîner, et peut-être même petit déjeuner ensuite. Il va bien falloir que je m’occupe. Et tu as vu le danseur ? On est bien loin d’Enrico ! Oups, pardon Prof, fais comme si tu n’avais rien entendu.

— Non, ici, je ne vais pas trop jouer au Prof. On est en famille, presque. Ou entre amis, comme vous préférez. L’idée, c’est vraiment de passer du bon temps. Et qui sait ? Tu trouveras peut-être un peu de joie là-bas ?

— Peut-être, mais je ne compte pas me faire avoir encore une fois, dis-je en me levant. Je vais au petit coin, on ne devrait pas tarder à embarquer, messieurs.

Je file aux toilettes et essaie de ne pas trop repenser aux paroles d’Alken. Trouver un peu de joie ? Qu’est-ce qu’il sous-entend ? Passer du bon temps ? S’il pense que je vais me laisser attraper une fois de plus pour finir par me faire jeter, il se met le doigt dans l'œil, je pense.

— Joy, tu veux bien qu’on échange de place ? me demande doucement Kenzo, en constatant qu’il est installé devant Théo et moi, avec son père.

— Oh non, s’il te plaît, tu peux pas faire quelques heures sans être collé à lui ? murmuré-je, le regard sans doute suppliant.

— Je te promets que mon père ne va pas te faire danser dans l’avion. Avec la ceinture de sécurité, tu es tranquille. Allez, s’il te plaît…

Je ne peux décemment pas lui dire non sans que cela paraisse louche, alors je me lève et change de place avec lui, totalement dépitée. C’est fou comme tout s’accumule et ça me fait suer, parce que mon corps est ravi alors que mon esprit veut fuir. Je sens que ce trajet va vraiment être long. Surtout si l’hôtesse lui fait de l'œil comme ça pendant dix heures.

Je déteste prendre l’avion, et j’aurais vraiment préféré que Théo soit à mes côtés pour me tenir la main et me rassurer, mais je tente de ne rien montrer pour éviter qu’Alken la joue père protecteur.

Je dors sur une partie du trajet qui nous emmène inéluctablement vers la semaine qui aurait dû être géniale et qui promet d’être une vraie torture pour moi. Lorsque j’ouvre les yeux, ma tête repose contre l’épaule d’Alken en train de lire. Je ne bouge pas et profite encore quelques secondes.

— Joy, tu sais que tu parles pendant ton sommeil ? me chuchote Alken, tout sourire.

— Ah oui ? dis-je en me redressant rapidement. Je t’ai insulté ou je suis restée polie ?

— Tu as juste répété mon prénom encore et encore. Comme une litanie. Tu sais, Joy, je regrette vraiment ce que je t’ai dit l’autre jour et que je ne pensais pas forcément. Je sais que ça ne changera rien à la situation actuelle, mais je devais te le dire. Et j’espère vraiment que tu vas apprécier ce petit stage à Cuba. Il paraît que c’est une île fantastique où tous les rêves deviennent réalité. Peut-être que le mien se réalisera ?

— Ah oui ? Et c’est quoi, ton rêve, au juste ? Parce que regretter, c’est bien beau, mais ça ne change pas grand-chose. Les mots ont été dits, les blessures faites.

— Eh bien, mon rêve, c’est de revenir de Cuba avec les blessures guéries, les autres, ceux qui jugent, oubliés, et les sentiments libérés.

— C’est beau les rêves. Malheureusement, la réalité est bien loin de la fiction. Dans la réalité, pas de litanie, juste une furieuse envie de t’envoyer bouler. Bref, ne rêve pas trop non plus.

— Il y a des choses qu’on regrette toute sa vie, Joy. Je ne veux pas que nous deux en fasse partie. Mais j’ai merdé, je le sais. J’espère que tu accepteras de me donner une nouvelle chance si l’occasion se présente.

— Tu m’as jetée comme de la merde Alken, tu t’attends à quoi ? C’est pas parce que toutes les nanas de l’ESD rampent devant toi que je vais faire de même.

J’ai un peu haussé le ton de ma voix et Kenzo se retourne vers nous, mais je le rassure d’un sourire. Alken a profité de ce petit interlude pour tourner son visage vers le couloir, semblant observer au loin à travers le hublot de l'autre côté, mettant ainsi un terme à notre conversation.

Évidemment, c’est lui qui décide lorsque nous arrêtons de discuter. Même si j’ai encore des choses à dire, encore besoin de le mettre face à ses erreurs. Moi qui rumine depuis plus d’une semaine sur cette soirée où j’aurais dû réagir différemment et ne pas partir. Là, c’est lui qui fuit, ou qui me fait payer ma fuite.

— Tu fuis la conversation, en plus ? murmuré-je, agacée.

— Je n’ai pas l’impression que ce soit le bon moment pour l’avoir, ni que tu sois prête à m’entendre, me répond-il en me transperçant de son regard vert émeraude qui me fait fondre. La blessure est trop récente, je pense.

— Je confirme, la plaie est encore à vif, soupiré-je en m’enfonçant dans mon siège. Tu as raison, arrêtons de discuter, ça ne sert à rien.

Il ne faut vraiment pas que je retombe dans ses filets pendant ce séjour, parce que c’est bien beau, Cuba, mais ça ne durera qu’une semaine. Après ça, retour à la réalité. Et je ne suis pas sûre de vouloir revivre nos prises de bec parce que Monsieur le Séducteur a peur de son ombre ou des conséquences de ses sentiments. J’ai besoin d’un homme qui s’assume et qui nous assume. Et Alken n’est clairement pas cet homme-là.

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