02. Tous derrière et lui devant

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Alken

Le commandant de bord allume le signal pour attacher nos ceintures et nous annonce notre arrivée prochaine à La Havane. Il nous indique qu’il fait vingt-sept degrés et que le soleil brille avec une légère brise. Après les deux degrés et la pluie du matin à Paris, c’est appréciable. On a quand même de la chance d’avoir remporté ce concours et je pense qu’on va passer une bonne semaine. Enfin, sur le plan de la découverte de l’île et de la danse, car sinon, avec Joy, le froid est glacial et peu en lien avec le climat de Cuba.

Lorsque l’avion entame sa descente et que les hôtesses de l’air vont s’asseoir à leur place pour s’attacher et se préparer à l’atterrissage, je regarde par dessus l’épaule de Joy et vois la grande étendue du Golfe de Mexico qui défile à toute allure en dessous de nous. Elle aussi contemple le paysage, mais lorsqu’une perturbation secoue l’appareil, elle se crispe sur son siège et instinctivement, elle se colle contre moi. Je ne réagis d’abord pas, ravi du contact, avant de poser ma main sur son bras pour la rassurer.

— Ne t’inquiète pas, Joy, ce sont juste quelques nuages que nous traversons.

— Oui, je sais, marmonne-t-elle. Je n’aime pas ça, c’est tout...

Je la regarde, amusé, mais ne rajoute rien, profitant du simple fait que malgré ses propos un peu secs, elle ne me repousse pas et, au contraire, elle dépose sa main sur la mienne, un peu comme si elle s’accrochait à une bouée. Quand enfin l’avion s’arrête devant l’Aeropuerto Internacional José Marti, elle pousse un petit soupir de soulagement qui rappelle à mon esprit pervers quelques gémissements poussés lors de nos étreintes. Pour ne pas qu’elle remarque mon trouble, je m’éloigne d’elle et attends que le signal nous soit donné de descendre. Devant nous, Kenzo et Théo sont en grande discussion. J’ai l’impression que ces deux-là s’entendent vraiment bien et que mon fils fait preuve d’une grande ouverture d’esprit vis-à-vis de son voisin qui se montre très tactile. Qu’est-ce que j’aimerais pouvoir ainsi prendre le bras de Joy pour lui montrer une photo sur mon téléphone ou me coller à elle pour partager un petit moment d’intimité !

Une fois les formalités administratives remplies, nous sortons de l’aéroport et je suis surpris par la chaleur qui nous accueille. J’avais beau le savoir, cela reste étonnant d’être ici, avec cette lumière solaire un peu différente de celle qui nous éblouit en France, et je regrette presque d’être toujours en jean vu la température. Notre guide, Manolo, est là, devant un vieux taxi jaune directement importé des Etats-Unis et pas de toute première jeunesse vu son état général.

— ¡ Hola ! Bonjour ! nous apostrophe-t-il en venant vers nous, les bras grands ouverts.

Notre guide a un sourire magnifique et une musculature assez impressionnante. On dirait un colosse grec importé à Cuba. Sa chemise ouverte en coton laisse apparaître un torse velu sur des pectoraux qu’il doit passer des heures à entretenir. Lui a la chance de porter un bermuda blanc qui laisse voir ses jambes presques aussi poilues que ses bras. Ce n’est pas un colosse, en fait, c’est un ours qui nous accueille et nous étreint comme si nous étions des membres de sa famille qu’il n’avait pas vus depuis des lustres.

— Ié souis content dé vous voir les amigos ! Vous avez fait oune bonne voyage ? demande-t-il dans un français mâtiné d’espagnol que je trouve amusant mais qui semble vraiment plaire à mes jeunes compagnons qui le serrent chaleureusement dans leurs bras.

— Bonjour, lancé-je avec un peu moins d’enthousiasme que lui. Vous êtes Manolo, j’espère ? demandé-je en souriant.

— Si señor, c’est moi, oui. Et vous, vous êtes le Papa ?

— Je suis Alken, oui, mais je ne suis le père que de ce beau gosse-là, dis-je en montrant mon fils. Il s’appelle Kenzo et la jolie jeune femme est ma partenaire de danse, Joy, qui est venue avec son ami, Théo. Nous sommes prêts à découvrir la ville à vos côtés !

— ¡ Bueno ! En voitoure alors, amigos. C’est parti pour el spéctaculo.

— Papa, tu montes devant, comme ça, nous, les jeunes, on pourra se serrer à l’arrière.

— On va prendré la route touristica ! Vous allez adorer !

Je m’installe à l’avant aux côtés de notre guide et admire les jolies voitures que nous croisons. Je pensais que c’était juste un décor qu’on voyait dans les films, mais le temps semble s’être arrêté ici. J’adore les couleurs de ce paysage, entre les rouges vifs des autos, le jaune des taxis et les couleurs riches des bâtiments en pierre, le dépaysement est total. On est loin des briques rouges du Nord et du ciel gris de la chanson de Jacques Brel. On est loin aussi de ma verte Irlande et de ses collines arrosées par la pluie.

Sur le chemin, je regarde les différents endroits que pointe Manolo en conduisant. Il nous fait vraiment voir tous les coins touristiques car il veut nous donner un aperçu général afin que nous puissions décider de ce que nous irons visiter pendant notre court séjour ici. J’aime beaucoup le Castillo de la Real Fuerza qui surplombe la vieille ville, il nous indique El Capitolio, ce bâtiment qui ressemble tellement à son homologue de Washington qu’on a du mal à croire que les deux pays ont été en guerre si longtemps. Derrière, les trois jeunes sont aussi silencieux que moi. Entre la fatigue du voyage et l’émerveillement devant la ville, ce n’est pas étonnant.

Quand enfin nous arrivons à notre hôtel, Manolo se gare un peu n’importe comment devant et nous descendons. Tout de suite, un jeune homme ramène un chariot pour emporter nos valises.

— Cette semana, vous êtes les invités de la Compañía Internacional de Danza. Vous allez voir commé la vida es bella sour notre île ! Ié vous laisse vous reposer et ié vous rétrouve ici à dix-neuf heures pour aller faire oune tour au bord de la mer.

— Très bien, merci Manolo. A tout à l’heure, dis-je, me retrouvant du fait de mon âge et de mon statut de prof comme le leader de notre petite troupe.

Nous entrons dans le magnifique hall d’entrée où les colonnes de marbre donnent une impression de luxe à laquelle nous ne sommes pas habitués.

— Mazette ! dit Théo. Ils ne se moquent pas de nous !

— Attends de voir la piscine, lui répond mon fils. Avec vue sur la ville depuis la terrasse, elle fait presque la longueur d’une piscine olympique !

— Eh bien, j’ai hâte de t’y voir, mon Chou.

Je surprends alors Théo poser ses mains sur les fesses de mon fils qui ne réagit pas, à ma grande surprise. Peut-être croit-il qu’il s’agit de la main de Joy qui est aussi à ses côtés et dont les yeux grand ouverts démontrent tout son plaisir à être ici avec ses amis. J’ai vraiment l’impression d’être un peu la cinquième roue du carrosse, le vieux con de service qui chaperonne les jeunes car elle m’ignore royalement.

— Et pour les chambres, Kenzo, tu sais comment ça marche ? lui demande Joy en se serrant contre lui sous le regard agacé de Théo.
— Non, mais eux doivent savoir, répond mon fils, insensible à tout ce qui se joue autour de lui.

Je suis la direction qu’il indique et nous nous retrouvons à un grand hall d’accueil plein de néons phosphorescents qui clashent un peu avec la noblesse qui se dégage des murs de cette entrée splendide. Une jeune femme bien brune et très mignonne nous fait signe de la suivre. Nous montons dans un ascenseur avec des parois vitrées qui nous donnent l’impression de flotter dans le vide. Avant de nous montrer notre suite, elle nous indique où se trouve la piscine sur laquelle nous jetons un rapide coup d'œil. Comme l’a dit Kenzo, la vue est exceptionnelle, les transats invitants et je rêve déjà de prendre un petit mojito au bord de cette eau qui doit être délicieusement chaude.

Quand nous arrivons à notre étage, la jeune femme qui nous guide ouvre la porte.

— Vous voilà chez vous pour la semaine, Madame, Monsieur, nous explique-t-elle dans un français parfait. Il est pourvu de deux chambres avec deux lits, et de ce grand salon. Si vous avez besoin d’aide pour faire fonctionner le spa, vous pouvez nous appeler et nous vous aiderons à tout installer. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, tout le personnel de l’hôtel est là pour rendre votre séjour inoubliable.

La façon dont elle conclut sa petite tirade en me regardant laisse peu de doute sur comment elle veut rendre mon séjour inoubliable, mais ça ne me fait rien du tout. Je suis juste content, égoïstement, de voir l’éclair de colère et de jalousie dans le regard de Joy qui me prouve qu’elle n’est pas si indifférente vis-à-vis de moi qu’elle veut bien le dire.

— Alors, comment on se répartit dans les chambres ? demande Kenzo.

— Pourquoi tu poses la question ? Tu ne dors pas avec moi ? le questionné-je, surpris.

— Moi, je veux aller avec les jeunes, Papa. Pour qu’on profite et qu’on s’amuse !

— Parce que je ne suis pas assez fun, moi ? Tu veux que je passe toute la semaine tout seul ?

— Oh Alken, je doute que tu restes seul bien longtemps, me déclare Joy un peu sévèrement. Tu es un tombeur, le lit ne devrait pas rester froid, et pas à cause des températures estivales. Je ne suis pas inquiète, moi.

— Sinon, Joy, pour éviter que notre Prof fasse des bêtises, tu peux le surveiller et nous, on prend la deuxième chambre. Tu en penses quoi ? l’interroge Théo.

Je suis ravi de voir qu’elle hésite un instant avant de se tourner vers moi. Le sourire qu’elle me lance est ravageur et réveille tous mes fantasmes les plus fous. Même la petite convocation d’Elise dans son bureau pour me rappeler une nouvelle fois le règlement avant le départ en vacances est incapable d’anihiler mon envie d’être avec elle.

— Je pense que notre Prof aurait trop peur des rumeurs, si on faisait ça. Et je pense que si je reste avec vous deux, il y a plein de choses que l’on pourrait découvrir à trois !

Tout de suite, les deux jeunes hommes éclatent de rire et moi, je reste comme un con alors qu’ils me laissent seul et sortent tous les trois en riant. J’ai l’impression que cette fois, c’est mon fils qui met la main aux fesses de Théo. J’essaie d’observer s’il fait de même avec Joy, mais je n’arrive pas à voir avant qu’ils ne disparaissent. Me voilà seul dans le salon. Peut-être que je devrais vraiment faire ce que me conseille Joy et réchauffer mon lit avec une jolie femme du coin. C’est fou comme l’idée ne me tente pas du tout. Je crois que la seule que je veux, c’est elle. Elle a pris ses distances, mais sur une île paradisiaque comme ici, c’est quand même le lieu rêvé pour qu’un miracle arrive. J’espère de tout mon cœur que nous trouverons les moyens d’envisager à nouveau un futur où nous serons tout simplement ensemble.

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