17. Sous le choc

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Joy

J’éteins la musique en soupirant et me tourne vers Kenzo.

— Tu veux bien te concentrer un peu s’il te plaît ? J’aimerais bien que ton père ne nous colle pas une note de merde parce que tu es trop occupé à mater ta nana.

— C’est vrai, Kenzo, rit Emilie en rougissant. Tu es un peu distrait.

— Un peu ? m’égosillé-je en m’essuyant le front avec ma serviette. Je vais finir avec une cheville en moins si ça continue !

— Mes appuis n’étaient pas bons, désolé. Je vais faire attention, promis.

— J’espère bien. Le passage aux Urgences ne me fait pas du tout envie, marmonné-je en me repositionnant.

— Joy, ça va, c’était pas grand-chose, je ne t’ai pas fait tomber non plus.

Je lève les yeux au ciel et remets la musique pour ne pas l’engueuler davantage. Quelle idée de me mettre avec Emilie et lui, sérieusement ! La chorégraphie qu’Alken nous a concoctée est compliquée et lui se pavane devant sa brunette qui m’agace. Et non, ce n’est pas parce qu’elle est avec lui alors que mon colocataire est malheureux comme tout. Enfin, peut-être que si.

Kenzo semble faire un effort et, cette fois, je ne manque pas de me casser la figure sur le porté que nous faisons tous les deux. Ça vaut mieux pour son matricule, parce que la danse, c’est la danse, et je ne me suis jamais permise d’être déconcentrée en dansant avec Alken, quand bien même c’était chaud, tendu ou je ne sais quoi. Peut-être que c’était moins torride lorsque nous nous sommes entraînés pour le concours, mais je n’ai pas manqué de le blesser ou tout fait de travers pour autant.

Lorsque nous terminons cette répétition, je suis loin d’être satisfaite, et je crois que mes camarades ne le sont pas non plus, mais Emilie doit rentrer pour faire je ne sais quoi et cela met un terme à cette boucherie. Bon, je sais que j’en rajoute, mais outre mon envie d’avoir de bonnes notes, je ne veux pas décevoir notre prof et je sais qu’il est d’autant plus exigeant avec son fils, alors d’ici à ce qu’il le devienne avec moi, il n’y a qu’un pas.

Kenzo et Emilie se roulent des patins pendant je ne sais combien de temps sous mes yeux et j’ai légèrement la gerbe. La partie diabolique en moi se dit qu’elle lui rendrait bien la pareille, au fils d’Alken, en roulant des galoches à son père devant lui pour le mettre mal à l’aise, histoire qu’il comprenne ce que ça fait, mais je vais essayer d’être raisonnable et de me calmer, surtout. J’espère ne pas avoir l’air aussi nunuche quand je dis au revoir à mon danseur, franchement. Ok, pour me calmer, on repassera je crois.

— Tu sais que ce n’est pas en nettoyant les amygdales de ta meuf que tu vas avoir la moyenne ? demandé-je à Kenzo une fois la demoiselle partie.

— Tu es jalouse, ou quoi ? me demande-t-il, moqueur. Tu sais bien que je vais l’avoir, ma moyenne. Je ne suis pas si nul que ça.

— Jalouse ? Non, juste agacée d’avoir l’impression de bosser pour rien ou presque. Et je pense à mon meilleur ami, que tu as lâché du jour au lendemain sans grande explication, ça a le don d’augmenter encore mon taux d’agacement.

J’avais dit que je ne m’en mêlerais pas, mais franchement, il abuse clairement. Il s’affiche fièrement avec Emilie, sous les yeux de Théo, comme s’ils n’avaient rien vécu ensemble. Et moi je ramasse les pots cassés. Encore et encore.

— Ce n’est pas ce que tu crois, Joy. Théo, je l’aime énormément. A Cuba, je peux te dire qu’il m’en a fait voir de toutes les couleurs, et c’était vraiment bien. Mais quand je lui ai demandé de me partager avec Emilie, il n’a pas accepté. Alors que je ne lui ai jamais promis l’exclusivité. Ne me juge donc pas sans savoir, s’il te plaît.

— Je ne te juge pas, mais tout le monde n’est pas fait pour le polyamour, et je trouve que tu lui manques de respect en t’affichant comme ça avec Emilie. Il a été génial avec toi, super patient, hyper respectueux, et toi tu gâches tout...

— Je sais, Joy. Tu crois quoi ? Que je suis content de le voir malheureux ? Mais je ne vais quand même pas le laisser décider pour moi juste parce que j’adore quand il me fait l’amour ? On est jeunes, Joy. Je ne sais pas si je suis prêt à faire toute ma vie avec lui. Je ne suis même pas sûr que je préfère les hommes. Tu sais, Emilie aussi, j’adore lui faire l’amour, même s’il n’y a pas cette petite étincelle que j’ai avec Théo.

— Tu as raison, soupiré-je. Tu es jeune, profite. Mais sois un peu plus respectueux quand même. Théo ne mérite pas que tu lui rappelles chaque jour qu’après avoir fait l’amour avec lui pendant des semaines et vécu des moments géniaux ensemble, tu préfères fourrer ton asticot dans la bouche d’une nana. Quand je vois comment vous étiez à Cuba, j’ai du mal à comprendre que tu aies quitté mon meilleur ami comme ça. Arrête de flipper et assume-toi.

Je me fige en levant les yeux vers la pendule, croisant le regard vert d’Alken qui semble plutôt abasourdi. Il semblerait qu’il ait entendu des choses qu’il n’aurait pas dû, si j’en crois son air. Et Kenzo se décompose en suivant mon regard, constatant que son paternel est à l’entrée de la salle de répétition.

— P’pa, c’est pas ce que tu crois, essaie-t-il de se défendre timidement.

— Et qu’est-ce que tu penses que je crois ? répond sèchement son père en le regardant. Tu baises avec un autre garçon et tu pensais ne jamais m’en parler ?

— Je… Non, enfin… Pas “jamais”, P’pa, juste… C’est ma vie privée en fait, je fais ce que je veux, non ?

— Je pensais que tu me ferais plus confiance que ça, quand même. Tu couches avec qui tu veux, oui, mais c’est quoi ce show que tu fais à te montrer avec Emilie alors que si j’ai bien compris, tu préfères Théo ? Pourquoi tous ces mensonges ? C’est de ma faute si tu es gay ? demande Alken, un peu perdu.

— De ta faute si je suis… Gay ? Pourquoi ça ? Et puis, je ne suis pas gay !

— Ah oui ? Tu couches pas avec Théo peut-être ? Ou alors, il t’a forcé ? Il t’a pris sous son emprise ? Tu peux me parler, tu sais, si tu as des soucis.

— Mais non ! Mais… Putain tu comprends rien en fait, s’agace Kenzo.

— Heu… Je vais vous laisser discuter tous les deux, dis-je en allant récupérer mes affaires.

—Joy, ne pars pas comme ça, m’arrête Alken. Tu étais au courant toi aussi. Et tu ne m’as rien dit ? C’est ça que tu appelles la confiance, toi aussi ? On est en couple ou on ne l’est pas ?

— Ça n’a absolument rien à voir, Alken, m’indigné-je, surprise par sa véhémence. La vie de ton fils et ses choix n’ont rien à faire dans ce qu’il y a entre toi et moi. Je suis désolée si ça te blesse, mais...

— Mais elle n’avait pas à t’en parler, poursuit Kenzo. Et moi, je t’en parle si j’en ai envie. Et je couche avec qui j’ai envie, en fait. Tu ne m’as pas demandé mon avis quand tu as commencé à baiser ma meilleure amie, P’pa. Et tu ne m’en as pas parlé, non plus. T’es plutôt mal placé pour me reprocher quoi que ce soit.

— J’ai peut-être caché des choses, mais je ne t’ai pas menti, moi. A Cuba, vous avez dû bien rigoler en vous retrouvant en cachette alors que je vous croyais fatigués ou endormis. Non mais franchement, c’était si difficile que ça de m’en parler ? Et toi, Joy, tu as d’autres secrets comme ça que tu me caches ?

— Tu veux dire à part ma relation avec toi que je cache à mes amis et ma famille ? Non, je ne te cache rien. Et crois-moi, je n’ai éprouvé aucun plaisir à te mentir à ce sujet.

— Je sais que je peux te parler de tout, P’pa, mais si je n’en ai pas envie ? Tu veux quoi, que je te dise que je suis paumé ? Ou que je te raconte les positions qu’on a faites avec Théo ? C’est ma vie, ça me regarde.

— Ouais, c’est ta vie. Tu baises des mecs, j’apprends ça au hasard comme ça, mais c’est normal. J’espère que tu te protèges, en tous cas, c’est un coup à choper le SIDA ça.

— Super, merci pour ton intervention, Papa. Je suis touché par ton discours homophobe. Oui, je couche avec des mecs, mais je n’en reste pas moins ton fils et celui de Maman, et aux dernières nouvelles, vous m’avez parlé de tout ça bon nombre de fois.

— Ouais, tu as raison, désolé, je ne pense pas ce que je dis. Je suis juste surpris, je ne m’attendais pas à ça. Et je suis dégouté que vous m’ayez menti comme ça. Si vous me l’aviez dit, je… J’aurais compris. Bref, je vous laisse. Vous avez sûrement encore plein de secrets à vous dire, continue-t-il, visiblement meurtri.

— Alken, attends, je t’en prie. Tu prends ça personnellement, l’objectif n’était pas de te mentir, soupiré-je en attrapant sa main.

— Ah oui ? C’est pourtant ce qu’il s’est passé. J’ai juste besoin d’un peu de temps pour digérer tout ça, maugrée-t-il.

— Très bien… Je comprends. Enfin, non, je ne comprends pas vraiment, mais j’entends, dis-je en l’embrassant sur la joue. J’étais pas dans une position facile, pour info…

— Eh P’pa. N’en veux pas à Joy. Elle a juste cherché à me protéger. Parce que je ne sais pas où j’en suis, moi. Et je le répète, c’est ma vie, cela me regarde. Si tu veux te mettre en rogne, fais-le contre moi. Je ne veux pas qu’une autre de mes amies soit malheureuse à cause de moi.

— Et pourquoi elle serait malheureuse ? Parce que je suis fâché qu’elle ne m’ait pas tout dit ? Parce que ça me pose question qu’elle pense qu’elle a mieux fait de ne pas me parler plutôt que de me faire confiance avec ce secret ? Oui, c’est étrange de me dire que tu aimes les mecs, mais c’est la vie. On n’est plus au Moyen-Age. J’accepte le concept, tu vois. Joy, continue-t-il en se tournant vers moi. Dis-moi que tu m’as caché les choses pas parce que tu avais peur de mes réactions mais parce que tu voulais protéger Kenzo. Que je ne suis pour rien dans ton silence…

— Je ne t’ai rien dit parce que ce n’était pas à moi de t’en parler, bon sang, Alken ! m’agacé-je. C’est ton fils, c’est sa vie, je n’avais pas à me mêler de ça, c’est tout.

— Et moi, je ne suis pas ton mec ? On ne se dit pas tout quand on est en couple ? Depuis que nous sommes ensembles, Joy, je n’ai eu aucun secret pour toi. C’est ça, se faire confiance, me dit-il en me regardant de ses beaux yeux verts.

— Mais enfin, Alken, soupiré-je, dépitée qu’il ne m’écoute pas. Je… Je ne sais pas quoi te dire, honnêtement. Tu as raison, je crois que tu as besoin d’un peu de temps pour digérer les choses, et repenser un peu à tout ça. Je comprends que tu sois contrarié, mais mets-toi à ma place un peu.

J’enfile ma veste et récupère mon sac avant d’aller poser mes lèvres contre les siennes.

— Je t’aime, murmuré-je, tout ça c’est juste… Le choc ? La contrariété ? Je ne voulais pas te mentir ou te cacher les choses. Mais c’est comme ça, Kenzo m’a confié quelque chose, je ne pouvais pas t’en parler, c’est tout.

— Moi aussi je t’aime, et je crois que je comprends, me répond-il même s’il ne m’en donne pas vraiment l’impression. T’inquiète, ça va me passer. A ta place, j’aurais sûrement fait pareil, effectivement.

— Sans aucun doute oui, il ne te reste plus qu’à t’en convaincre toi-même, mon Cœur. Je file bosser. Bonne soirée les garçons.

Je sors de la salle sans plus attendre et me dirige vers le parking. Alken est presque plus en colère par le fait que je ne lui ai rien dit que par celui de son propre fils lui cachant son orientation sexuelle. C’est fou, ça ! Je veux bien entendre qu’il soit vexé que je ne lui ai rien dit, mais je considère vraiment que ce n’était pas à moi de lui parler de ça, et j’espère qu’il va finir par le concéder.

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