18. Analyse d'une révélation

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Alken

Le TGV arrive dans la banlieue parisienne et je regarde les tours qui commencent à se multiplier dans le paysage. Je commence à avoir l’habitude, maintenant que le spectacle a été prolongé pour de nouvelles séances supplémentaires. Tous les weekends, le programme est le même. Je me rends le matin à Paris pour un entraînement en début d’après-midi avant un spectacle le samedi soir et un autre le dimanche midi. Et à chaque fois, je ressens cette séparation avec Joy comme une vraie déchirure. Enfin, cette fois, c’est un peu différent. J’hésite à me l’avouer, mais ça me fait du bien de prendre un peu de distance. Quand je suis avec elle, je n’arrive pas à réfléchir, je suis dans l’émotion pure, l’absence de contrôle. Et là, j’ai besoin de ce temps pour comprendre comment elle a pu me cacher l’homosexualité de mon fils. Enfin, sa bisexualité, plutôt.

Depuis que j’ai surpris leur conversation, j’essaie de me mettre à leur place à tous les deux, mais j’ai du mal. Est-ce vraiment si dur que ça de dire qu’on couche avec un homme ? J’ai essayé moi aussi, quand j’étais presque aussi jeune que Kenzo. Mais je n’y ai pris aucun plaisir et j’ai vite compris que c’étaient les femmes que je préférais. Faut dire que je ne suis pas tombé sur un joli mec comme Théo, mais quand même. Pourquoi m’avoir caché ça si longtemps ? Parce qu’être homo ou bi, même encore maintenant, c’est toujours un peu honteux ? Sûrement, oui. Ou alors, c’est peut-être parce qu’il se cherche encore vraiment. C’est clair que ça serait bête de faire son coming out pour se rendre compte quelques semaines plus tard que finalement non, ce n’était qu’une passade.

Par contre, j’ai plus de mal avec le silence de Joy. Si elle n’a pas parlé, c’est qu’elle a dû se dire que je réagirais mal en apprenant la relation de mon fils et son colocataire. Sinon, elle devrait savoir que je sais garder un secret quand même. J’essaie de me mettre à sa place mais c’est compliqué. J’ai envie de croire que je lui aurais tout confié si les rôles avaient été inversés, mais l’aurais-je réellement fait ? Rien n’est moins sûr. Elle n’a pas tout à fait tort quand elle dit que ce n’était pas à elle de me révéler ces choses si mon fils ne le souhaitait pas. En y réfléchissant bien, elle s’est juste montrée loyale envers son ami. Elle aurait pu me faire confiance, c’est sûr, mais pourquoi aurait-elle dû tout me raconter ? Ce n’est pas ma vie, cela n’a rien à voir avec notre couple, aucune raison de briser ce secret dans ce cadre-là.

La répétition et le spectacle du soir se passent sans que je ne m’en rende vraiment compte, tellement je suis pris dans ces pensées qui tournent en boucle dans ma tête. Je ne suis pas trop à la danse et maintenant que nous sommes attablés dans ce restaurant, après le spectacle, Olivier m’interpelle.

— Eh, le chti, tu es dans la lune aujourd’hui ! Redescends parmi nous, peuchère, car c’est pas drôle de toujours devoir improviser des pas pour réussir à te suivre. Qu’est-ce qu’il se passe ? Des soucis avec ton ex ?

— Non, non, ça va. Mon ex, j’y pense plus depuis longtemps. J’ai vraiment fait des erreurs comme ça ?

— Non, pas tant, je te charrie, mais quand même. Si tu ne veux pas te faire remonter les bretelles par Mohamed, va falloir te remettre dedans. Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

— Rien, des soucis avec ma copine. Et mon fils. Enfin, ce ne sont pas vraiment des soucis pour mon fils. Tu vois, c’est pas toujours facile d’être un parent. Ni même un amant.

Je me rends compte que je baragouine et que mon discours n’a pas trop de sens et je me reprends.

— Vous n’avez rien compris, je me trompe ?

— Je confirme, rit Jack. C’est pas comme ça qu’on va pouvoir t’aider, l’ami !

— Bien, commençons par le commencement, expliqué-je en essayant de raconter les choses dans le bon sens. J’ai appris hier que mon fils était gay. Ou plutôt bi. Ce n’est pas la fin du monde, mais quand même, pourquoi me l’a-t-il caché ? Je prends ça comme un mensonge, c’est n’importe quoi, non ?

— Ben, être bi c’est sans doute pire qu’être homo, me répond Olivier. On passe tout de suite pour le mec volatile, incapable de se décider, queutard ou je ne sais quoi. Et puis, le regard de son père, c’est important pour un fils. Tu devrais pas prendre ça comme un mensonge, c’est juste qu’on ne balance pas ça au beau milieu d’un repas de famille, j’imagine.

— Ouais, tu as raison, c’est un peu ce qu’il disait à Joy quand je les ai surpris en train de discuter. En parlant d’elle, je lui en veux aussi. Vous imaginez qu’on est allé à Cuba tous ensemble et que je suis le seul qui n’était pas dans la confidence ! Le dindon de la farce, c’est moi, clairement.

— Joy, la jolie nenette au cul d’enfer ? continue-t-il en souriant. Pourquoi elle t’aurait dit quelque chose ? C’est la pote de ton fils, elle te doit rien.

Je réalise que j’ai failli gaffer au sujet de ma jolie brune, mais je me reprends rapidement et préfère ne pas prendre en compte le fait qu’il évoque de manière aussi fleurie le joli fessier de ma nana.

— C’est juste qu’on était à Cuba et que tous les jeunes ont dû bien s’amuser à me raconter des bobards. Je me disais que, comme elle était ma partenaire de danse, elle serait pas entrée dans leur jeu, vous voyez ?

— Tu crois que c’était un jeu pour eux de se cacher de toi ? J’en doute, moi.

— Pourquoi tu en doutes, Jack ? Je suis si coincé que ça qu’on ne peut rien me dire ?

— C’est pas ce que j’ai dit, Alken, n’interprète pas mes propos. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas facile d’avouer ce genre de choses à son propre père. Et que s’il s’est caché, c’est qu’il n’était pas prêt à te le dire. Pour les autres, dont ta partenaire de danse, elle est fidèle à son ami, et puis entre nous, c’était pas à elle de t’avouer ça.

— Donc, selon vous, on passe une semaine tous ensemble, je ne vois rien du tout, et c’est normal ? Vous comprenez que j’ai un peu l’impression de m’être fait avoir, non ?

— Ce qui est normal, c’est que ton fils ait un jardin secret, reprend Olivier. Moi, je suis à sa place, et je l’ai avoué y a deux ans seulement à mes parents. Et dis-moi, comment t’as fait pour passer une semaine à Cuba avec ta partenaire sans la sauter ? Parce que déjà en tant que bi, je crois que je serais allé la rejoindre toutes les nuits dans sa piaule, moi !

— Elle dormait dans le salon parce que soi-disant les deux autres ronflaient ! Je pensais que les jeunes risquaient à tout moment de venir nous surprendre si je tentais un truc. Je ne pouvais pas savoir qu’ils étaient occupés à baiser, les cons. Bref, c’est vrai qu’elle est mignonne, la petite. Elle ira loin car elle danse comme une déesse en plus.

— T’as manqué une chance en or, ricane-t-il. Je crois que je vais tenter la mienne si elle repasse dans le coin. Je peux ?

— Je crois que tu peux tenter, mais tu vois, elle a passé une semaine avec mon fils à côté et un jeune black, et ce sont les deux qui ont fini par baiser ensemble. Elle doit être lesbienne, je pense.

S’ils savaient que loin d’être lesbienne, c’est une amante formidable. Une femme avec des courbes dignes de figurer sur la toile d’un grand peintre. Une sensualité que je n’ai jamais connue avant. Et que rien que d’y penser, je bande tellement elle me manque…

— Oh ça j’en doute, intervient Jack en riant. Je l’ai vue te mater. Au bar, quand je l’ai rencontrée, et puis au théâtre. C’était pas le regard d’une lesbienne sur un homme.

— Toutes les femmes fantasment sur moi, que veux-tu que je te dise. Sois pas jaloux, Jack. Elles savent que j’en ai une plus grosse que toi, ris-je en trinquant avec lui.

La soirée s’achève comme ça dans une ambiance bon enfant. Jack, pour me démontrer sa supériorité sûrement, s’est donné comme mission de séduire la serveuse et de finir la nuit avec elle. Je me demande même s’ils ne vont pas finir la nuit à trois avec Olivier, tellement ils ont insinué des pensées toutes plus lubriques les unes que les autres. Je les ai en tous cas laissés avec la petite blonde un peu rondelette qui avait l’air ravie d’être le centre de tant d’attention et rentre à mon hôtel en repensant à tout ce qu’on a dit. Il va vraiment falloir que je discute avec Joy et Kenzo car j’ai pas été très cool avec eux.

A peine je suis entré dans ma chambre d’hôtel que mon téléphone sonne. Je vois qu’il s’agit d’Elizabeth et je me demande ce que mon ex-femme veut à cette heure-ci.

— Oui, dis-je très sèchement. Tu veux quoi ?

— Bonsoir à toi aussi, Alken. Ravie de parler avec toi. Tu as reçu ton fils comme ça aussi quand il t’a dit qu’il était homo ?

— Ah, il t’a parlé ce soir ? C’est pour ça que tu appelles ?

— Oui, soupire-t-elle. Je… J’ai fait bonne figure mais, bon sang, tu te rends compte qu’il ne nous présentera jamais de fille ?

— Ahah, je crois qu’il ne t’a pas tout dit alors. Tu lui demanderas comment va Emilie, Lizi. Tu pourrais être surprise. Mais on dirait que ça te choque qu’il aime les mecs ?

— Je sais pas, Alken, murmure Elizabeth. C’est mon petit bébé, je n’ai jamais réfléchi à ce que je penserais s’il m’avouait ça. Et… Emilie, effectivement, pourquoi elle est dans l’équation, elle ? Il couche vraiment avec les filles aussi ? Je suis perdue…

— Il est bi, Elizabeth. Je l’ai vu avec Emilie et je peux te dire que la fille avait l’air d’aimer son partenaire. On ne peut rien faire, tu sais ? Juste lui faire comprendre que nous sommes là s’il a des questions, l’héberger quand il a besoin… Il a l’air plutôt heureux, tu ne trouves pas ?

—Oui, je sais, soupire-t-elle à nouveau. Ça fait juste bizarre d’imaginer son fils pendant des années et de tomber sur une toute autre image, non ?

— Tu as quoi comme image dans la tête ? la provoqué-je. Moi, je suis content de le voir heureux et épanoui par rapport à sa sexualité.

— Eh bien, marié à une fille, avec des enfants ! Évidemment que j’ai ça comme image en tête. Pas toi ? Je veux dire, c’est logique, non ? Mais tu as raison, s’il est heureux comme ça… Ça fait juste bizarre, c’est tout.

— Peut-être qu’il le sera s’il trouve la bonne. En attendant, qu’il profite de la vie. Tu avais autre chose à me dire ? demandé-je, agacé.

— Bon Dieu, t’es vraiment insupportable, tu le sais, ça ? Kenzo reste notre enfant, excuse-moi de me poser des questions sur son orientation sexuelle et son avis ! On a été mariés, ne l’oublie pas !

— Ouais, eh bien si on ne l’est plus, c’est qu’il y a des raisons. Bonne nuit, Lizi.

Je raccroche sans attendre sa réponse. Je sais que je ne suis pas réglo avec elle, que je devrais pouvoir discuter de Kenzo mais là, ce n’est pas le moment. Bientôt, Joy va sortir du Nouveau Départ, et nous allons pouvoir tchatter en vidéo. Et souvent, cela finit très chaudement. J’espère que ce sera aussi l’occasion de m’excuser auprès d’elle et de lui dire que j’ai été con. Je le suis souvent et heureusement qu’elle m’aime et qu’elle ne prend pas la mouche. En tous cas, pas assez pour ne pas profiter quand on se retrouve en vrai et en vidéo. Cette femme est tellement parfaite, c’est fou.

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