22. L'ami blessé

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Alken

La journée de cours s’achève, comme la semaine d’ailleurs. Ce weekend va être tranquille, maintenant que le spectacle à Paris est achevé. Je vais pouvoir profiter un peu de Joy qui a posé quelques jours aussi au bar pour se reposer. L’année scolaire qui touche à sa fin a été longue et nous avons tous besoin d’un peu de calme. Je range mes affaires et salue Marie à l’accueil avant de partir.

— Tout va bien, Marie ? Tu as l’air un peu mélancolique ce soir. Rien de prévu pour ce weekend ?

— Tout va bien, oui, je suis juste un peu fatiguée, sourit-elle. Et toi, ça va ?

— Oui, ça va, même si c’est un peu compliqué avec Kenzo en ce moment. Je pense qu’il s’est un peu disputé avec ses camarades de classe. Tu sais comment sont les jeunes, toujours des histoires de cœur. En parlant de ça, j’ai entendu dire que tu allais déménager chez ton copain ?

— Oui, tout se passe bien, c’est gentil de t’intéresser à moi. Ce sera bien de vivre ensemble, cela change tout dans une relation.

Je la laisse peu après en repensant à ses paroles. Je n’ai pas la chance de Marie de pouvoir vivre avec celle que j’aime mais je vais au moins pouvoir passer le weekend avec elle. L’avantage que notre secret ait été dévoilé à Théo et Kenzo, c’est qu’on ne doit plus se cacher désormais. Mais cela ne s’est toujours pas calmé entre ma jolie brune et son colocataire. Ils se reparlent un peu après ces quelques semaines passées, mais ça reste froid entre eux. Et cela mine beaucoup Joy qui ne retrouve pas toute sa joie de vivre habituelle. J’espère que ma présence à ses côtés ce soir l’aidera un peu à relativiser et à passer une bonne soirée.

Je prends le périphérique et je lance la musique dans la voiture pendant que mes pensées dérivent rapidement vers tout ce qu’il se passe dans la vie de mon fils et de l’impact que ça a sur les existences de tous ceux qui gravitent autour de lui. Il est clairement en froid avec Joy qui ne lui pardonne pas son attitude et le fait qu’il ait dévoilé notre secret à son colocataire. Joy ne m’a pas tout raconté, je pense, mais je crois qu’il n’est vraiment pas cool et je suis un peu déçu par son attitude. J’espère qu’il va réaliser qu’il faut prendre soin de ses amis si on ne veut pas se retrouver seul dans la vie. Peut-être que Kenzo devrait essayer de renouer avec Théo d’ailleurs. Si j’ai bien compris, ils s’aiment mais mon fils veut continuer à vivre sa relation avec Emilie alors que le jeune black a l’air bien accro et ne veut ni partager ni passer à autre chose. Et ma brune se retrouve entre les deux, un peu perdue, sans savoir comment faire pour améliorer la situation, surtout que les contacts semblent rompus entre eux trois. La seule qui a l’air de se contenter de la situation, c’est la jeune Emilie. Et elle aurait tort de se gêner. Elle profite de sa jeunesse, elle, au moins.

Quand j’arrive devant chez Léon, je me gare et sors, mon sac à la main. Je sonne et suis accueilli par le vieil homme toujours souriant.

— Bonsoir Léon, vous allez bien ?

— Bien merci, et toi, jeune homme ? Entre donc. Joy ! Ton beau brun est là !

— Toujours pareille, la situation ici ? Pas de signe de rapprochement entre nos deux jeunes ?

— Rien ne change, malheureusement. Ils sont têtus tous les deux. Enfin, Théo est borné comme pas possible, même ma femme n’était pas aussi têtue, et Dieu sait qu’elle m’en a fait baver !

— A ce point-là ? souris-je. C’est pas gagné, alors.

Je soupire et lève les yeux vers Joy qui dévale les escaliers pour se jeter dans mes bras, comme si on ne s’était pas vu depuis des semaines alors que nous nous sommes quittés juste quelques heures auparavant.

— Eh bien, quel accueil ! ris-je. Je t’ai manqué ?

— Evidemment ! Pourquoi, je ne t’ai pas manqué, moi ? Fais gaffe à ce que tu dis, sourit-elle.

— Si tu avais vu à quelle vitesse j’ai conduit pour te rejoindre, tu ne douterais absolument pas de ça ! Prête pour un weekend entier à deux ? Je suis trop content de pouvoir enfin y arriver.

— Oui, plus que prête ! Ça ne peut que nous faire du bien, dit-elle en se lovant contre moi.

— Ah c’est beau, l’amour, nous interrompt Léon. Mais ne faites pas trop de bruit, cette nuit, j’ai le sommeil léger, hein ?

— Ne vous inquiétez pas Léon. On fera attention, dis-je en lui faisant un clin d'œil.

Nous montons tous les deux dans l’appartement de Joy sans nous lâcher. Dans le salon, nous croisons Théo qui est en train de regarder une série à la télé. Il ne nous adresse pas un regard et je sens tout de suite Joy se crisper à mes côtés alors que nous pénétrons dans sa chambre.

— Il est toujours comme ça ? demandé-je en la câlinant dans mes bras. Il n’arrive pas à te pardonner comme je l’ai fait ?

— Il n’essaie même pas, je crois, soupire-t-elle. Comme ça tous les jours. Un bonheur de vivre avec une porte de prison.

— Il te reproche quoi ? Juste le secret ou il t’en veut aussi de notre relation ?

— Il m’en veut de ne pas lui avoir fait suffisamment confiance pour lui parler de nous.

Je m’en veux d’avoir mis ma jolie brune dans une telle situation. C’est à cause de moi qu’elle est en froid avec son colocataire et si la situation ne s’améliore pas rapidement, ça va être compliqué pour elle de rester ici avec lui. Je me demande si je peux arranger les choses.

— Il faut que ça s’arrête, tout ça, ma Chérie. Je vais essayer d’aller lui parler, ça ne pourra pas faire de mal. Reste-là, ça vaut mieux.

— Je ne sais pas si c’est une bonne idée, Alken… Enfin… Tu peux toujours essayer, bon courage.

Je l’embrasse avant de sortir de sa chambre. Théo ne lève pas les yeux, mais je m’installe sur le canapé à ses côtés et le regarde fixement jusqu’à ce qu’il prenne la peine de mettre son programme en pause et de tourner son attention vers moi.

— Théo, on peut parler ? Entre adultes, ce serait bien.

— De quoi tu veux parler, Prof ? J’ai rien, à dire, moi.

— Tu as toutes les raisons d’être en colère, Théo, mais à un moment, il faut enterrer la hache de guerre, non ? Pourquoi tu te mures dans ce mutisme ?

— Enterrer la hache de guerre ? Pour quoi faire ? Elle m’a trahi, hors de question.

Ouh la, il y a va fort là. Il est vraiment remonté et je ne sais pas par quel bout le prendre.

— Théo, tu es dur avec elle, tu sais ? Tu effaces d’un haussement d’épaule tout ce que vous avez vécu ensemble. J’ai l’impression que tu lui fais payer le comportement de Kenzo alors qu’elle n’y est pour rien. C’est lui qui t’a trahi, pas elle. Tu te rends compte de ce qu’on risque à vivre notre amour ? Même moi, je l’ai caché à mon propre fils. Ce n’est pas de la trahison, juste un instinct de préservation.

— Ça n’a rien à voir avec ton fils, bougonne-t-il en se renfrognant. C’est une autre histoire et c’est à toi que j’en veux de l’avoir mis au monde, ce petit con irrespectueux. Et c’est de moi qu’on parle, moi, son meilleur ami depuis treize ans, bordel ! Moi à qui elle a tout confié jusqu’à ce que son comptable débarque dans sa vie.

— Théo, je t’ai dit que je comprenais ta rancœur. Tu as toutes les raisons de m’en vouloir, mais fais pas ça à Joy. Elle est malheureuse, la pauvre. Sans toi à ses côtés, elle n’est pas complète. Même avec moi.

Je vois que ce que je dis ébranle un peu le jeune homme, mais il a l’air d’être décidé à rester dans son ressentiment.

— Ça me fait de belles jambes… Elle aurait dû y réfléchir avant de me cacher ça.

— Théo, tu veux pas lui laisser une chance ? Si tu tiens un peu à elle, essaie. Écoute-la, discute avec elle. Ne pardonne pas tout de suite si tu ne peux pas, mais s’il te plaît, fais un effort. Elle le mérite. Et toi aussi. Tu as besoin de quelqu’un qui te connaisse et te comprenne pour affronter la bêtise de mon garçon…

— Tu joues le psy, Prof ? ricane-t-il sans joie. Je ne sais même pas ce qui me retient de vous dénoncer à la directrice.

— Tu n’es pas méchant, Théo, je sais que tu ne feras pas ça et je t’en remercie, d’ailleurs. Je ne joue pas au psy, mais je pense que là, plein de gens souffrent et qu’il faut que les choses changent. Je ne peux pas contrôler avec qui mon fils couche ni qui il aime, mais par contre, je peux te partager mon expérience et mes conseils. Si vous êtes faits l’un pour l’autre, vous finirez ensemble. Sinon, tu vas rencontrer quelqu’un d’autre. Et ruminer ses peines tout seul, ce n’est pas une bonne idée. Joy ne demande que ça de t’appuyer et te réconforter. Fais le premier geste, c’est le plus difficile. Ensuite, tout devient plus aisé.

— Si je ne dis rien, c’est que contrairement à elle, j’ai du respect pour elle. Et parce que tu la rends heureuse quand tu ne joues pas au con, le “comptable”, dit-il en mimant des guillemets. Pour le reste, je ne lui fais plus confiance, c’est difficile de pardonner dans ces conditions. Je peux regarder ma série maintenant que je t’ai écouté ?

— Théo, si tu n’étais pas gay, je crois que Joy, ça fait longtemps qu’elle aurait craqué pour toi. Elle t’aime plus que ce que tu ne crois. Et te respecte. Tu lui reproches des choses sur lesquelles elle n’avait aucune emprise. Alors oui, tu peux regarder ta série et éviter de penser à ce qu’il se passe dans la vraie vie. Mais n’attends pas trop, Théo. Sinon, tu risques de regretter longtemps cet acharnement à ne pas lui pardonner son erreur. En tous cas, pour ton information, ce soir, on dort ici, mais on ne t’embêtera pas ce weekend. Demain, on part deux jours sur la côte. Si tu changes d’avis, tu es le bienvenu, il y a deux chambres dans le gîte qu’on nous prête pour la nuit. Réfléchis-y. Agis comme quand ton partenaire fait une erreur dans une danse, adapte-toi et fais tout pour que personne ne s’en rende compte. Tu le fais à merveille dans la danse, transpose-le aussi dans ta vie.

Je me lève et j’ai la satisfaction de voir qu’il a une larme au coin de l'œil. Ce que j’ai dit l’a touché au moins. Je ne sais pas si cela le fera changer d’avis, mais cela le fera réfléchir. J’espère qu’il saura redonner une chance à Joy. Elle le mérite et lui aussi. C’est un gars bien avec une grande sensibilité. Il a besoin d’elle comme elle a besoin de lui, mais à mon niveau, je ne peux pas faire plus.

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