25. Conversation sur écoute

8 minutes de lecture

Joy

C’est avec regret que je monte dans la voiture pour rentrer à Lille. On était tellement bien ici, loin des ennuis, des interdits, des peines ! Retrouver Théo m’a fait un bien fou, même si plane encore Kenzo au-dessus de nos têtes. Pour des raisons différentes, certes, mais il est là, dans un coin de la voiture, comme il a été là durant tout le weekend. Pour Théo, parce qu’il est amoureux et malheureux. J’ai bien vu qu’outre le plaisir de me retrouver et de passer ce weekend tous les trois, outre ses plaisanteries et ses tendres câlins, il était encore bien triste. Théo est incapable de passer à autre chose et ça me fait de la peine. Et puis, pour moi, parce que maintenant que mon meilleur ami m’a pardonnée, je peux envisager de faire de même avec Kenzo. Enfin, s’il finit par s’excuser, et vu qu’il est très auto-centré en ce moment, je ne sais pas s’il est capable de comprendre que sa sortie m’a fait du mal. Si lui est prêt à se séparer de Théo, moi je ne peux pas, et il m’a privée de cet homme merveilleux pendant plusieurs semaines en lui balançant que je couchais avec son père.

— Princesse ! T’es avec nous ? Tu montes un peu le son s’il te plaît ?

Je sens la main d’Alken enserrer ma cuisse et me reconnecte avec le moment présent. Mon danseur a pris la route et je n’ai pas vraiment réalisé que nous étions déjà partis.

— Bouche-toi les oreilles, Alken. Théo et Adele, c’est une grande histoire d’amour, soupiré-je en montant le volume.

— Adele est une grande chanteuse. Dès que je l’entends, j’imagine des chorégraphies toutes plus sensuelles les unes que les autres, me répond mon amant en pressant encore plus ma cuisse.

— Adele est une grande chanteuse, Théo, lui…

Effectivement, les trois minutes qui suivent sont un duo terrible qui nous fait grimacer et rire à la fois. Je suis heureuse de retrouver mon colocataire, mais pas ses chants, c’est clair ! Lorsque ce massacre se termine enfin, je baisse le volume et lui jette un œil alors qu’il sourit de toutes ses dents, clairement moqueur.

— Tu m’inscris à The Voice quand, Princesse ?

— Quand ma mère ne sera plus une mégère invivable, promis, ris-je.

— Oh ça va. Même en chantant fort, je n’atteins pas ton niveau sonore quand vous vous adonnez au coït tous les deux ! T’étais pas aussi bruyante avec moi !

— Tu as couché avec Théo ? s’étrangle mon danseur en jetant un rapide coup d'œil vers moi avant de rediriger son attention vers la route.

Oups… En voilà, une nouvelle révélation. Youpi !

— Je te l’avais dit qu’il n’avait pas mis ses écouteurs, sinon, continue-t-il, remis de sa surprise. Monsieur est un voyeur, on dirait.

— Bien sûr qu’on a couché ensemble, continue Théo sans prendre la mesure de ce qu’il vient de balancer. Oh, Alken, sérieusement, tu m’as vu ? Et… Tu l’as vue ? Même moi, elle me fait bander ! Et pas que quand on danse ensemble !

— C’était qu’un one shot, soupiré-je. Théo était curieux de savoir ce que ça ferait de coucher avec une nana...

— Et tu as été capable de t’en tenir à une seule fois ? demande Alken en le regardant dans le rétroviseur ? Avec les courbes qu’elle a ? Et la sensualité qu’elle dégage ? Tu es vraiment gay, mon petit.

— Je confirme, s’esclaffe mon coloc, gay de chez gay, même si j’ai apprécié le moment, faut pas se leurrer !

— Et toi, Joy, tu en as pensé quoi ? me demande Alken, visiblement amusé que je me retrouve au milieu de toutes ces discussions sur mes capacités sexuelles. A priori, tu as été moins bruyante avec lui qu’avec moi. Je dois me sentir flatté ?

— Être entendue par Léon me dérange plus que par Théo, t’emballe pas, O’Brien, marmonné-je avec un sourire en coin. Théo est très doué, et entre nous… Ce qu’on dit sur les blacks est vrai. Tu sais … La taille ?

— Ah oui ? Dommage pour toi qu’il soit gay alors. Tu dois te contenter de mon petit saucisson, pouffe Alken sous le regard ahuri de mon coloc.

— Oh ça va, ris-je, c’est du bon saucisson, pas de l’industriel. Et puis, l’essentiel, c’est de savoir s’en servir, et ça…

— Vu tes gémissements, j’imagine qu’il en a satisfait pas mal avec son petit saucisson, grimace Théo. Bon sang, vous êtes glauques tous les deux, ça fait bizarre quand même.

— Il a surtout dû essayer de décoincer Elizabeth pendant vingt ans, pouffé-je avant de lancer un regard d’excuse à mon homme. Pardon, oublie ce que je viens de dire.

— Qui te dit qu’elle était coincée au lit ? Et puis, laissez mon saucisson tranquille, sinon je vous fais rentrer en stop jusqu’à Lille ! s’énerve un peu mon beau brun.

— Je ne veux pas le savoir, pitié, dis-je théâtralement en posant mes mains sur mes oreilles avant de siffloter.

— Oh, Prof, allez, entre nous, elle doit l’être, la Elizabeth. Je la pratique depuis presque deux ans en cours, et le truc le plus éclatant que vous avez dû faire avec elle, c’est une position où elle fait le grand écart en tenue de classique, à la limite. Non ?

— Peut-être qu’elle a besoin d’essayer ton gros cervelas, Théo ! C’est clair que ça lui ferait du bien. Tu veux que je lui propose tes services pour la décoincer du cul ?

— C’est sûr que c’est pas la saucisse d’Enrico qui va la décoincer, pouffé-je. Pour avoir dansé avec lui collé-serré, je peux te dire qu’elle y a perdu au change !

— Oh, Joy, arrête ! ricane Théo. Et non, merci Prof, quitte à coucher avec une nana, c’est pas la coincée que je choisirais !

Alken n’a pas le temps de répondre que mon téléphone sonne dans mon sac à main. Je le récupère et bougonne en voyant que Kenzo m’appelle. Il ne cherche pas à avoir de mes nouvelles ou à me parler plus que ça, qu’est-ce qu’il peut bien vouloir, tout à coup ? Je regarde sur le téléphone d’Alken, accroché au tableau de bord, s’il l’a appelé, mais ce n’est pas le cas, alors ça ne doit pas être quelque chose de grave.

— Désolée, c’est Kenzo, soupiré-je en décrochant. Allô ?

— Salut Joy, je ne te dérange pas ? Tu vas bien ?

— Je suis en voiture… Mais tu ne me déranges pas. Ça va, et toi ? Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

— J’ai réfléchi, Joy. J’ai besoin que tu m’arranges le coup avec Théo. Tu as réussi à ce qu’il te pardonne ou pas ?

Je jette un œil à mes comparses de voyage et éteins la musique avant de mettre le haut parleur. C’est peut-être un peu malsain, mais je ne veux plus rien cacher à aucun des deux, et je crois que Théo doit entendre ce que son ex me dit.

— Je t’ai déjà dit que je ne me mêlerai plus de vos histoires, Kenzo. Je vous ai couverts pour protéger ton secret et tu as balancé le mien dès que tu as pu. Je récupère tout juste mon meilleur ami et j’aimerais bien ne plus me retrouver entre vous deux.

— Ouais, je sais, j’avais pas réalisé qu’il n’était pas au courant. Il est têtu quand il veut, Théo. Je suis content que tu aies renoué avec lui, vous êtes comme des frères et sœurs tous les deux. Il me manque tellement, si tu savais.

— Je veux bien te croire, soupiré-je. Une fois qu’on l’a dans notre vie, difficile de s’en passer… Mais tu l’as cherché, Kenzo. Il est fou de toi et tu veux qu’il accepte de te partager.

— En fait, je ne suis plus sûr de ça, Joy. C’est pour ça que je t’appelle. J’ai discuté avec Emilie ce matin. Elle m’a dit que j’étais un bon amant mais que je faisais ça sans cœur. Et ça m’a fait réfléchir, cette remarque. Parce qu’avec Théo, je peux te dire que ce n’était pas que du sexe. Purée, rien que de penser à lui, je bande.

— Heu… J’ai pas besoin de savoir ça, merci, ris-je en jetant un œil à Alken. Pourquoi se contenter de sexe pour le sexe ? C’est tellement plus puissant quand les sentiments entrent en compte. Tu te prives de quelque chose de génial parce que tu veux tremper ta saucisse et profiter ? Tu peux profiter avec l’homme que tu aimes, tu sais.

— Oui, mais il faudrait qu’il accepte de me parler pour ça. Et puis, je veux être honnête avec lui. Je crois que je serai toujours bi, tu sais. Comment lui promettre d’être toujours fidèle si je ne sais pas si je pourrai l’être ? Tu penses qu’il faut que je lui mente et lui dise qu’il n’y aura jamais que lui dans ma vie ? On peut aimer quelqu’un et avoir envie d’un ou d’une autre des fois, non ?

— Je ne sais pas, Kenzo… Évidemment qu’on peut avoir des envies pour quelqu’un d’autre, mais tout foutre en l’air pour du cul, c’est moche. Réfléchis bien à tout ça, je n’aimerais pas devoir te tuer parce que tu auras encore fait souffrir mon meilleur ami. Je doute que ton père me pardonnerait ça. Sois honnête avec Théo, et qui sait, peut-être qu’un plan à trois de temps en temps pourrait être envisageable, je crois qu’il n’était pas contre, tant qu’en dehors de ça, c’est vous deux. Tu vois ? Il faut faire des concessions dans un couple. Dans les deux sens.

— Oui, je vois, répond-il avant de rester silencieux un moment.

J’en profite pour regarder mon coloc qui a les yeux embués de larmes alors qu’Alken fait mine de se concentrer sur la route. Je ne sais pas si j’ai bien fait de partager cette discussion, mais elle a le mérite de mettre les choses au clair. Quand Kenzo reprend, je sursaute, surprise d’entendre à nouveau sa voix dans l’habitacle.

— Je sais que je n’ai pas été cool avec toi, Joy, et je m’en excuse. J’étais… Perdu… Mais bon, il faut que je me ressaisisse, là. Tu crois que tu pourrais m’organiser un petit rencard avec Théo pour que l’on puisse discuter ? Ce serait vraiment gentil de ta part.

— Je crois que c’est envisageable, dis-je après avoir reçu l’accord visuel de mon meilleur ami. Je te tiens au courant alors. Mais, s’il te plaît, essaie d’être un peu plus sûr de toi avant de remettre le grappin sur cet homme merveilleux. Il mérite tout sauf de souffrir.

— Oh Joy, merci ! Tu es une fille formidable, s’enthousiasme-t-il. Je te jure que je te revaudrai ça ! Et surtout, dis à Théo que personne n’a autant d’importance que lui dans ma vie. Bisous, Joy ! On se voit demain à l’ESD !

Je le salue et raccroche finalement avant de me tourner vers mes deux acolytes.

— Désolée, Alken, peut-être que… Tu n’aurais pas dû entendre tout ça, mais toi, en revanche, dis-je en plongeant mes yeux dans ceux de mon meilleur ami, au moins tu es au fait…

— T’inquiète, ma Chérie. Ça me rassure de voir que mon fils n’est pas aussi con qu’il en a l’air. Et toi, Théo, j’ai l’impression que tu vas retrouver le sourire prochainement.

Il l’a déjà, le sourire, et la petite pointe d’espoir que ses yeux avaient perdu. J’espère juste que Kenzo la jouera réglo, parce que si Théo m’a toujours dit qu’il cacherait un corps pour moi, je doute qu’il le fasse s’il se retrouve à devoir s’occuper de celui de son futur ancien ex petit ami que j’aurais torturé et à qui j’aurais fait subir les pires sévices pour avoir manqué à sa parole envers mon meilleur ami.

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