34. Rentrée mode dragouille

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Alken

Le réveil sonne alors que j’ai l’impression qu’on vient à peine de se coucher. Il faut dire que Joy n’est pas rentrée tôt hier soir. Elle était épuisée du trajet mais j’étais si heureux de la retrouver que je ne l’ai pas laissée rentrer chez elle et lui ai proposé de rester dormir à la maison. Cela veut dire, par contre, qu’il ne faut pas qu’on tarde ce matin car nous nous sommes organisés pour rencontrer Théo avant le début des cours afin qu’il lui amène des affaires et surtout faire comme si c’est avec lui qu’elle avait passé la nuit et fait la route. Car oui, nous devons encore nous cacher. Ce n’est pas facile de retourner à une vie où nous ne pouvons nous afficher comme le couple que nous sommes, mais j’essaie de rester philosophe et de prendre chaque jour comme il vient, sans trop penser au lendemain.

Je me penche vers la jolie femme qui partage mon lit et l’admire alors qu’elle s’étire, réveillée par la musique qui sort de mon radio-réveil. Elle vient se nicher dans mes bras et me serre contre elle, sa tête dans mon cou et ses seins nus contre ma poitrine. Je ne sais pas comment j’ai fait pour avoir autant de chance, mais cette femme magnifique, c’est moi qu’elle aime. Chaque matin quand je suis comme ça avec elle, je ne peux que m’émerveiller d’une telle grâce et d’une telle beauté dans mes bras.

— Bonjour, jolie Marmotte. Il va falloir se lever si on veut avoir le temps de retrouver ton colocataire avant le début des cours. Je suis trop heureux que tu aies passé la nuit ici en tous cas, ma Chérie. Tu es si belle.

— Hum… On peut recommencer la nuit, là ? Je ne suis pas prête pour la rentrée. Et… Merci pour le compliment au réveil, mais ouvre les yeux, ça doit pas être fameux ce matin, rit-elle.

— Tu m’as tellement manqué que même si tu ressemblais à Godzilla, je crois que je te trouverais superbe, rétorqué-je en l’embrassant comme si je n’avais pas passé la soirée à la dévorer.

Nous nous levons malgré notre envie de profiter encore de cette fin de vacances et nous nous préparons rapidement. Quand j’entends la sonnette, je finis d’enfiler mon tee-shirt et vais ouvrir la porte pour y retrouver Théo et Kenzo, tout sourires.

— Vous venez pour l’échange de marchandises ? La frite est dans le sandwich. Les carottes sont cuites mais mamie a déjà tout mangé, m’amusé-je à imiter tout bas, sur un ton conspirateur, les messages codés de la BBC.

— Eh bien, Papa, tu es en forme ! rit Kenzo. C’est l’amour qui te rend aussi bizarre ?

— Bonjour les jeunes, non, c’est de vous voir qui me met en joie.

— Ce n’est donc pas d’avoir retrouvé Joy ? m’interroge Théo, amusé. Oh Bonjour Princesse, tu sais que tu as passé la nuit avec un fou ?

Il ricane en enlaçant la jolie danseuse et en lui déposant un petit baiser sur le front.

— Je suis entourée de fous, sourit-elle, je crois que j’aime ça, ça m’aide à me sentir normale, que veux-tu !

— Toi, normale ? N’importe quoi, se moque Kenzo. Tu as vu comment tu es coiffée ? Tu appelles ça “normal” ?

Je me tourne vers Joy et constate en effet qu’elle a attaché ses cheveux dans un chignon énorme qu’elle a fixé avec un crayon qui le traverse de part en part pour le maintenir sur sa tête. C’est original, mais c’est vrai que c’est un peu différent de ce qu’elle fait d’habitude.

— Moi, j’aime beaucoup ton style de rentrée, ma Chérie. Tu es prête pour aller à l’ESD avec Théo ?

— Ai-je vraiment le choix ? dit-elle en venant m’embrasser. Bonne rentrée, Prof canon !

— Bonne rentrée à toi aussi, mon Ange. Théo, ça ne te fait pas bizarre de rentrer chez toi après avoir déposé Joy ? Tu commences quand ta vacation à l’ensemble royal de danse de Bruxelles ?

— Dans quinze jours. C’est un peu étrange, mais pas forcément en mal. J’ai l’impression d’être l’adulte du groupe qui ne va pas à l’école, là, rit-il.

— Oui Papa ! me moqué-je en prenant une petite voix sous les yeux étonnés du grand black. Tu verras, j’aurai de bonnes notes, cette année !

Tout le monde éclate de rire et je suis content d’être avec ces jeunes pour cette rentrée qui va être marquée par le signe du secret. En effet, non seulement Joy et moi allons devoir nous cacher, mais Kenzo a décidé de se montrer très discret sur sa relation avec Théo. Aucun des O’Brien ne veut afficher avec qui il couche. C’est peut-être une spécificité génétique, qui sait ?

Lorsque j’arrive en voiture à l’ESD avec Kenzo, j’ai l’impression de faire un flashback vers le même moment l’année dernière. A ce moment-là, je ne m’attendais pas du tout à tomber sur ma petite serveuse qui, sans attendre minuit, s’était transformée en danseuse étoile. Mon fils ne se fait pas prier pour descendre de la voiture à peine le moteur arrêté. Il n’a pas envie de s’afficher avec moi, je le comprends, mais ça me fait quand même un pincement au cœur.

Je salue Marie à l’entrée qui se lève de derrière son bureau pour venir me faire la bise. Son parfum floral et sa petite tenue d’été me poussent à la complimenter.

— Eh bien, on dirait que l’été n’est pas fini à l’accueil de l’ESD ! Tu es magnifique, Marie. Tu vas bien ? Tu as passé de belles vacances ?

Son sourire s’efface aussitôt et je me demande où j’ai gaffé. Sur le compliment ? Il était mal venu ? Ou alors, il lui est arrivé quelque chose cet été et je n’ai pas été mis au courant ? Elle me sourit tristement et va se rasseoir à son bureau avant de daigner répondre à ma question.

— Oui, oui, l’été a été pas mal… Et pour toi ?

— Au soleil du Sud de la France, que demander de plus ? déclaré-je, conscient du manque d’enthousiasme dans sa réponse.

Je ne peux approfondir la question car une jeune femme s’approche de nous. Elle est rousse, le nez un peu retroussé et des taches de rousseur sur le visage lui donnent un air enfantin. Mais vu comment elle m’aborde, elle est tout ce qu’il y a de plus féminin. Ses courbes sont loin d’être innocentes et vu son déhanché, on sent l’entraînement dans la séduction et la prise de contact avec le sexe opposé.

— Professeur O’Brien ? C’est un vrai plaisir de vous rencontrer, minaude-t-elle en posant sa main sur mon bras. J’ai toujours rêvé et même, j’ose le dire, fantasmé de vous rencontrer en vrai ! Et je ne suis pas déçue de ce que je vois.

— Bonjour. Vous êtes ? demandé-je, intrigué de découvrir ce qu’elle veut de moi et pourquoi elle m’aborde ainsi.

— Je suis Charline, j’entre à l’ESD cette année et veux me spécialiser en danse contemporaine, me dit-elle, tout sourire. J’ai hâte d’avoir cours avec vous, je n’ai entendu que du bien de votre formation !

— Ah, enchanté, dis-je, un peu gêné, en dégageant mon bras de sa main. J’espère que vous êtes courageuse et déterminée, alors, parce que réussir en danse contemporaine nécessite non seulement du talent et de la grâce, mais aussi et surtout du travail et du sérieux. Si vous voulez réussir, il va falloir éviter les sorties drague et les soirées entre potes. Vous voilà prévenue, Charline.

— Je compte bien m’impliquer à deux cents pour cent, Professeur O’Brien, autant qu’il sera nécessaire. J’ai vraiment hâte de pouvoir danser avec vous, j’ai eu l’occasion de vous voir dans le spectacle de Mohamed Benkali, croyez-moi, je suis sûre que nous ferons un couple formidable, dit-elle en se mordillant la lèvre avec insistance et en papillonnant des yeux.

Je m’attends presque à voir apparaître, telle une étudiante dans le film Indiana Jones, les mots “I love you” dessinés sur ses paupières, mais elle se contente de plonger ses yeux verts dans les miens, comme si, par ce contact, elle allait réussir à me faire craquer.

— Mademoiselle Chambly, vous êtes attendue à l’auditorium. La Directrice va bientôt commencer son discours d’introduction de l’année scolaire. Ne soyez pas en retard ! la réprimande Marie, visiblement agacée par le petit jeu de la rouquine.

— Bien sûr, j’y vais de suite. A très vite, Professeur, j’ai hâte de vous voir danser et de pouvoir apprendre à votre contact, continue-t-elle, imperturbable, en me faisant un clin d'œil.

C’est ce qui s’appelle une entrée en matière remarquable et mémorable. Cette jeune femme n’y va pas par quatre chemins et je crois qu’elle n’attend qu’une chose de moi, que je fasse d’elle ma partenaire et lui donne des cours particuliers afin d’approfondir notre connaissance mutuelle. Elle dégage, certes, une forte sensualité et c’est clairement une jolie fille, mais je suis un peu rassuré de mon manque d’attraction vis-à-vis d’elle alors qu’avec Joy, c’est une évidence. C’est que ma relation avec la jolie brune n’est pas l’expression d’une crise de la quarantaine mais bien une vraie rencontre.

J’admire quand même la jeune rousse s’éloigner en dandinant des fesses sous le regard réprobateur de Marie et je me demande comment elle danse. C’est le genre de nana qui est soit excellente, soit très médiocre, et j’ai le sentiment qu’elle est plutôt du genre perfectionniste qui joue sur ses charmes pour attirer le regard mais travaille sur sa technique pour maintenir l'attention sur sa petite personne.

Je rejoins à mon tour la salle et m’installe sur scène derrière Elise, prête à débuter son discours de début d’année. Je cherche des yeux ma jolie Joy et souris quand je croise son regard. Kenzo est à ses côtés et semble en grande discussion… Avec Charline ! Encore elle ! Après le père, elle risque de se prendre un autre vent… Peut-être que ça suffira à ce qu’elle se dise qu’elle n’a aucune chance avec les O’Brien ?

Elise présente l’école et ses différentes spécialités. J’ai le droit à une mention spéciale pour avoir permis à l’ESD de conserver son titre au concours de salsa et elle nous indique qu’elle espère qu’on visera cette année encore l’excellence. Elle termine son petit discours, comme tous les ans, en rappelant les règles à respecter et surtout l’interdiction de fricoter entre prof et élève. Elle pousse même les recommandations jusqu’à les déconseiller fortement entre élèves pour éviter tout désagrément. Je me retiens de lever les yeux au ciel devant tant d’interdictions. On ne dirait pas qu’elle s’adresse à une audience de jeunes gens, tous dans la force de l’âge, et pour qui ces années d’études sont aussi l’occasion de laisser parler leur libido et expérimenter les relations personnelles afin d’en faire des adultes responsables et respectueux. On ne dirait pas non plus qu’elle s’adresse à ses professeurs dont l’un d’eux met en pratique au quotidien cette interdiction qui peut le mener au licenciement. Je connais les risques, on me l’a assez fait comprendre, mais comment arrêter quand on a la chance d’avoir rencontré la femme parfaite pour se compléter ? Impossible de résister à ce dangereux plongeon vers l’inconnu.

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