57. Nouvelle chance de voyager

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Joy

— Bon sang, Kenzo, tu peux pas ranger un peu tes affaires ? Ça traîne partout !

Je bougonne en ramassant sa veste et son sac, restés sur le canapé, sans compter ses cours qui sont étalés sur la table basse. Un vrai sagouin, celui-là, c’est fou !

— Fais gaffe, tu te transformes en vraie belle-mère, Joy, ricane mon ami en venant me donner un coup de main.

— Disons que j’aimerais juste pouvoir me poser sur le canapé sans devoir cohabiter avec ton bazar… T’as fini le dossier à rendre en histoire de la danse ?

— Oui, belle-maman, j’ai fini. Tu veux vérifier mes devoirs ?

— Non, je veux savoir si je suis dans la mouise, sale gosse, ris-je en posant mon ordinateur sur le canapé.

Je vais chercher mon chocolat chaud dans la cuisine et m’installe confortablement sous un plaid, prête à bosser un peu. J’espère réussir à me concentrer alors qu’Alken est en pleine répétition avec Charline. Ça commence à faire beaucoup de choses dérangeantes, entre ça et le fait qu’on ait à se cacher. Enfin, on a quand même atteint le paroxysme du truc au restaurant le weekend dernier. Non mais, sérieusement, Alken qui m’emmène dans un restau où il allait avec sa femme ? C’est quoi cette blague ? Et quand est-ce que le Karma ne nous tombera pas dessus ? Pourquoi fallait-il qu’Elizabeth décide d’aller dîner là-bas ce soir-là, forcément ?

Ça a bien fait rire Théo lorsque je lui ai raconté au téléphone, mais ce n’est absolument pas mon cas. C’est épuisant de toujours devoir être sur le qui-vive. J’ai vraiment hâte que cette année se termine pour pouvoir vivre comme je l’entends, surtout concernant notre relation. D’un autre côté, une fois diplômée, il faudra bien que je trouve du boulot, et c’est un peu angoissant aussi, ça.

Je bosse une petite heure sur fond de jazz, l’un des CD préférés d’Alken, et en tentant d’ignorer Kenzo qui se fait à manger en étant aussi bruyant qu’un orchestre de percussions, quand la porte d’entrée s’ouvre. Mon danseur rentre enfin, à l’heure, et ne semble pas trop de mauvaise humeur. Charline a dû bosser convenablement et ne pas être trop entreprenante, aujourd’hui. Espérons que ça dure.

Alken salue son fils et vient m’embrasser avant d’aller se servir une part de gratin de courgettes qu’il vient déguster sur le canapé, à mes côtés. J’ai bien envie de refermer mon ordinateur pour profiter de sa présence, mais je suis à la bourre sur mon devoir et doute d’avoir le temps de le boucler demain soir si je ne m’y attelle pas un minimum ce soir. Je pose ma tête contre son épaule tout en continuant de bosser, ou en essayant, tout du moins.

— Ça a été aujourd’hui ? lui demandé-je.

— Je fais des efforts, tu sais, donc ça s’améliore un peu. Mais on est loin du niveau qu’on pourrait avoir tous les deux. J’ai toujours peur qu’elle me saute à nouveau dessus même si elle se montre plus raisonnable.

— Espérons que ça dure, alors. On se regarde un film une fois que tu as pris ta douche ?

— Tu ne viens pas la prendre avec moi ? Le film peut attendre un peu, non ?

— J’ai déjà pris la mienne, désolée beau gosse, dis-je en soulevant la couverture pour lui montrer mes cuisses nues sous l’un de ses tee-shirts. Le prof de contempo nous a épuisés aujourd’hui, j’en avais bien besoin. Un vrai tyran, tu n’imagines même pas.

— Et il n’a pas donné de devoirs à la maison, ce tyran ? Aucune imagination, rit mon danseur amoureux avant de m’embrasser.

— Essayer de récupérer et de ne pas avoir de courbatures demain, ce sont des devoirs implicites, souris-je alors que son téléphone sonne dans sa poche. Et c’est déjà pas mal. Si seulement tu pouvais avoir une baignoire.

— Il y a le jacuzzi ! me répond-il en répondant à l’appel. Ah, Mohamed ! Tu vas bien ? Non, ça va, tu ne me déranges pas, je t’écoute.

Égoïstement, la première chose à laquelle je pense, c’est que j’espère que le spectacle ne sera pas prolongé après Noël. C’est moche, mais c’est ma réalité. J’en ai marre qu’on se voie presque plus à l’ESD qu’à la maison. Entre le show de Mohamed, les répétitions avec Charline et mon boulot au Nouveau Départ, on ne peut pas dire qu’on profite réellement. Enfin, si, mais pas assez à mon goût. Effectivement, il y a le jacuzzi, qu’on n’a toujours pas pris le temps de tester à deux, d’ailleurs.

Je me désintéresse de sa conversation pour tenter d’avancer un peu sur mon dossier, mais je perçois quelques bribes de l’échange et comprends que Mohamed monte un nouveau spectacle. J’ai du mal à me concentrer sur mon boulot, surtout qu’Alken acquiesce et semble enthousiaste. Lorsqu’il raccroche, je m’attends déjà à l’entendre me dire qu’il repart pour un nouveau show, mais je fais mine de bosser et attends que mon amoureux prenne les devants, ce qu’il ne tarde pas à faire.

— Eh bien, j’ai peut-être une bonne nouvelle pour vous deux, les jeunes. Mohamed va monter un nouveau spectacle !

— Ah oui ? demande Kenzo en débarquant dans le salon pour s’asseoir sur la table basse. Raconte !

— Eh bien, il a lu cette histoire un peu dingue d’un couple qui se forme entre un ancien sans abri et son éducatrice, et il veut la transformer en un spectacle mêlant danse, musique et effets spéciaux. Je crois que ça va être un spectacle du tonnerre !

— Quand ? Où ? Pour combien de temps ? Je signe où ? sourit Kenzo, tout emballé.

— Alors, le casting, c’est en janvier de cette année, ça va vite arriver. Mais il a eu une opportunité avec un producteur américain qui a été emballé par le récit. Et donc, le spectacle se fera à New York avant une tournée sur la côte Est des Etats-Unis. Un rêve, non ? Et il cherche deux jeunes danseurs pour les rôles principaux. Vous pourriez candidater, non ?

— Ah mais moi je postule direct, continue le fils d’Alken alors que je reste silencieuse.

Les Etats-Unis, c’est pas Paris. Pas de surprise possible pour le weekend, pas de voyage éclair pour se retrouver.

— En Janvier ? Et pour l’ESD ? demandé-je, perplexe.

— Ah, il faudrait mettre en pause la scolarité le temps du spectacle, c’est sûr, mais c’est une opportunité en or pour se faire un nom sur la scène internationale. J’ai commencé par un spectacle de ce genre, moi, après mon diplôme.

— Après le diplôme, oui… Les US, c’est pas la porte à côté, quand même.

— Et si je peux avoir un rôle aussi, moi ? Il y a bien un personnage qui pourrait me correspondre. Il faudrait que j’achète le livre et voir s’il est aussi enthousiasmant que le dit Mohamed !

Je lui jette un œil, ne sachant pas si je suis touchée ou agacée qu’il lise en moi aussi facilement. Évidemment que ça me questionne à notre sujet, d’autant plus qu’on ne parle pas d’une petite semaine de voyage, ou des weekends. Non, là on parle de plusieurs mois sur un autre continent, loin l’un de l’autre. Quand je vois comment un petit weekend séparés est long et difficile pour moi, je n’ose même pas imaginer qu’on soit éloignés si longtemps.

— Peut-être, oui. Elise te laisserait faire ça ? Son petit prof chéri absent aussi longuement ?

— Je poserais un congé sans solde, et ça devrait passer. Elle a bien fait sans Enrico l’année dernière quand il était blessé. Je ne suis pas irremplaçable, si ?

— Ça dépend pour qui, murmuré-je en me calant contre lui.

— Ah oui, tu penses à qui ? A Kenzo, c’est ça ? sourit-il. Si je ne suis pas là, qui s’occupera de ses courses et de payer ses factures ?

— Ne me mêlez pas à vos histoires, moi, je vais postuler, s’enthousiasme Kenzo. Et peut-être que Théo pourrait candidater aussi. On pourrait tous se retrouver aux US l’année prochaine ! Ce serait trop cool.

— Eh bien, souris-je en ignorant Kenzo, le sourire aux lèvres, il lui faudrait une nounou et une femme de ménage, parce qu’il faut lui faire son linge, et aussi lui rappeler de ranger ses affaires. Remarque, ils font la paire avec Théo.

— Ah oui ? Si un jour ils emménagent ensemble, ça promet. Pour le spectacle, tu devrais en parler à Théo, mon fils. Cela va sûrement l’intéresser. Quant à toi, ma Chérie, si tu veux candidater, tu sais que je serai derrière toi.

— Ouais, je vais y réfléchir, j’ai un peu de temps pour ça.

— Je comprends pas que ça t’emballe si peu, Joy, continue Kenzo, c’est une sacrée opportunité !

— Je sais, dis-je en fermant mon ordinateur. Mais pour l’instant, la seule opportunité qui me fait envie, c’est celle d’aller au lit. Je suis crevée. Je vous laisse, messieurs.

— Je ne vais pas te laisser saisir cette opportunité sans moi, quand même, s’amuse à me répondre Alken.

— N’oublie pas la douche avant, quand même, souris-je en me levant. Je t’aime, mais je t’aime encore plus quand tu es propre, Chéri.

— Oui, tu n’aimes que ses sales pensées, toi, se moque Kenzo en me faisant une bise amicale sur la joue.

— C’est ça, moque-toi, sale gosse, ris-je. Et n’oublie pas de faire ta vaisselle avant d’aller au lit, sinon tu seras de corvée pour le reste de la semaine, compris ?

— Oui, Belle Maman, ce sera fait ! Sinon, je suis sûr que mon père accepterait la fessée à ma place !

Je lève les yeux au ciel et dépose un baiser sur la joue d’Alken avant de filer à la salle de bain pour me brosser les dents. Tous les deux sont en train de papoter lorsque je repasse par le salon pour filer dans la chambre. Je me glisse sous les draps, la tête pleine de questions sur mon avenir. C’est tellement stressant de n’avoir aucune certitude. J’aimerais vraiment pouvoir savoir à quoi va ressembler ma vie dans quelques années. Parce que, pour le moment, l’idée de partir aux Etats-Unis, possiblement sans Alken, ne me paraît pas envisageable. Et je ne peux m’empêcher de me demander si notre couple tiendrait le coup avec cette distance. Je ne peux m’ôter de la tête qu’avant lui, rien ni personne n’aurait pu me détourner de mon envie de percer, me faire douter de ce genre de choses. Avant Alken, j’aurais foncé les yeux fermés, plutôt deux fois qu’une. Mais maintenant qu’il est là, maintenant que j’ai goûté au plaisir de la vie avec lui, de le sentir m’enlacer alors qu’il se couche à mes côtés comme à cet instant, je ne suis plus sûre que la danse soit le but ultime et la priorité de ma vie. Une raison de plus d’avoir peur, non ?

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