Le tour du monde virtuel

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   A la fin de l’été, après avoir été larguée sans ménagement par Peter, j’étais anéantie. Même si je savais qu’il n’y avait pas d’autre issue, j’avais gardé une étincelle d’espoir. Un rêve insensé qu’il voudrait rester avec moi à jamais sur le net. Mais, si ce jeune homme était exceptionnel, il n’était pas fou. Lorsque j’accélérai l’issue fatale en lui présentant un vrai homme, il n’hésita pas. Et il eut bien raison. Même si cela m’avait une fois de plus brisé le coeur.

    Je me jetai alors dans l’écriture. Mon remède à tous mes maux. J’avais trouvé que mon histoire incroyable avec Peter méritait un roman. Je ne savais pas alors que j’aurais toutes les peines pour le produire.  

    Côté découverte du monde des gays, l’épisode de l’australien m’avait laissée sur ma fin. Moi, je rêvais juste de rencontrer un Brian Kinney (le héros de la série Queer as Folk) ou l’un de ces gays flamboyants dont on parle dans les romans. Au lieu de ça, la majorité des homos que je lisais pleurait sur leur solitude ou leurs amours perdus. A la réflexion, cela semblait logique. S’ils avaient une vie aussi remplie, ils ne traîneraient pas jusqu’à point d’heure sur les réseaux sociaux. Quel temps avaient-ils à perdre avec des loosers numériques tels que moi ? Alors, non, je n’ai pas rencontré ces gays fameux des romans et des films. J'ai juste rencontré des hommes ordinaires.

    Dans la phase de grosse déprime qui succéda à ma dernière liaison, je cherchai à me rapprocher de mes semblables. J’en trouvai sans peine. Elles étaient là à tournoyer autour des porn stars. A échanger des petits mots gentils avec eux. J’entrai en contact avec certaines. Pour faire partie de leur club fermé, j'ouvris un compte Twitter. Mais, je n’étais pas la bienvenue. Je faisais trop « catfisher »  pour certaines. Le problème était que je ne pouvais pas m’afficher « en clair » sinon, je grillais ma couverture et c’en était fini de mes « expériences ».

    Alors, je retournai à mes adaptations sur Tumblr et à mes interactions plus ou moins fugaces avec mes  abonnés. Après avoir éconduit un apprenti écrivain mexicain trop jeune, j’entamai une relation épistolaire avec un toubib Flamand. Le médecin était marié (avec une femme) et vivait son homosexualité en parallèle de façon discrète.

    Je ne le jugeai pas, à la différence des gays qu’il rencontrait sur internet. Il écrivait lui même un roman et semblait intéressé par celui que je rédigeais pour raconter mon incroyable histoire avec mon jeune australien. Dans son cas, c’était l’histoire d’un groupe d’hommes d’âges et de nationalités divers qui se rencontraient lors d’une croisière gay et qui échangeaient des propos philosophiques sur la vie. Je me doutais qu’il cherchait l’inspiration en discutant avec des internautes de tous les pays. 

    Cependant, de part sa profession cet homme était assez peu disponible et j'abandonnai rapidement pour passer à autre chose.

    Le dandy, quant à lui, était italien et aimait la beauté des modèles. Surtout les beaux blonds aux yeux bleus qui le faisaient fantasmer. Il en publiait des dizaines de photos chaque jour sur Tumblr. Plutôt discret, notre esthète ne s’épanchait que peu sur ses goûts IRL. Je jouais au chat et à la souris avec lui. Il se méfiait. Il me nomma le maître des illusions. Je pense qu’il était flatté de mon intérêt pour lui, mais il ne se voyait pas entamer une relation virtuelle qui ne voulait rien dire. Je passais donc au suivant.

    Je débarquai alors aux Philippines où je croisai un tailleur haut en couleurs qui collectionnait les t-shirts de ses amants. Il voulait que je lui offre des cadeaux comme tout bon cliché de riche européen profiteur. Mais, j'étais juste une voyageuse de passage.

    D'un clic, j'enchainai illico quelque part sur les rives du Bengladesh. Là, je fis la connaissance d’un étudiant gay qui cherchait un héros. Il voulait s’envoler vers l’Angleterre aux bras d'un prince charmant qui le délivrerait des étreintes furtives et violentes. J'étais triste pour lui. Jouer la comédie de l’hétéro IRL cela n'avait rien à voir avec jouer un homo sur Internet. Comme je ne pouvais le satisfaire, il me demanda de le bloquer pour ne plus être tenté de me recontacter ultérieurement. Ce que je fis.

    Le petit ado mexicain amateur de littérature ne désarmait pas. Il me poursuivait de ses assiduités. J’étais son modèle. En fait, mon héros de roman, celui qu’il croyait être moi, était son héros. J’avais l’air si fort, si sûr de moi. Il voulait me ressembler. Il m’indiqua qu’il couchait avec des hommes plus âgés dans la réalité pour trouver de l’inspiration pour écrire. Je songeais plutôt qu’il devait se prostituer pour se payer des livres. Mais, je me ravisais. C’était une réflexion méprisante d’occidentale. Je décidais de le croire. J’avais envie de le croire. Sa version était tellement plus romantique. Je prenais un malin plaisir à le faire languir en l’obligeant à m’écrire des poèmes en anglais. Je me disais, qu’après tout, ce ne serait pas perdu pour lui. 

    Cependant, j’avais encore suffisamment de lucidité à cette époque pour le repousser de nouveau.

    Après, je me sentis de nouveau mal et malsaine. Mon personnage fictif générait de l’espoir, des projets d'avenir dans l'esprit de ces gens. J’étais juste une briseuse de rêves. 

    J'arrêtai un temps mes délires, me contentant de errer, sans but, de réseaux en réseaux.


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