Le garçon de trop

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    Comme pour toute addiction, il y a toujours un moment où il y a un déclic qui te permet de tout arrêter. Pour moi, ce déclic prit l’apparence d’un petit blondinet français dépressif qui me contacta sur Twitter. 

    Il me trouvait sympa et drôle. Son profil aurait dû me faire fuir. Mais, les barrières de la raison avaient sauté depuis longtemps. Seul le jeu avait de l’intérêt pour moi. 

    A ce stade, j'avais perdu mes objectifs de départ. J'en savais bien assez pour écrire. Seulement, le jeu de rôle était devenu une drogue dure. Il me donna ce que je voulais sans que je le demande. Comme les autres avant lui.

    J’ouvris un ultime fichier titré : « Enzo ». J’y plaçai toutes les photos de lui. Il était plutôt mignon et me rappelait beaucoup mon jeune australien. Il poursuivait des études de littérature et publiait des poèmes désespérés sur la plateforme d’écriture Wattpad. 

    De mon côté, mon « art »  de l’illusion était très au point. Il adorait les histoires que je lui contais. C’était sa respiration dans un contexte personnel plutôt lourd. Et il avait suffisamment d’imagination pour bien jouer le jeu de son côté.

    Je commençais toujours mon récit en décrivant l’espace où nous nous trouvions. Par exemple une boîte de nuit. Ensuite, je nous décrivais. Nos apparences, nos vêtements. Ce que nous faisions. J’étais un beau trentenaire habillé tout en noir qui sirotait une bière près du bar. Lui était un joli blondinet qui venait chercher un verre au comptoir. J’avais déjà tant décrit ces scènes. Elles glissaient fluides dans l’intimité de la messagerie privée. 

    Quand l’ambiance était posée, les regards échangés, nos personnages se rapprochaient. Le trentenaire solitaire posait une main brûlante sur le ventre imberbe du jeune blond et le faisait frissonner. Souvent mes camarades de jeu me disaient qu’ils ressentaient aussi des frissons dans la réalité. Ils étaient à fond dans l’histoire. Nous étions en connexion totale. Nos âmes étaient comme étreintes.     

    Alors que j’étais trop concentrée sur l’écriture pour penser à autre chose, il jouissait de mes mots comme les autres avant lui. Cette éjaculation IRL était le cadeau qu’il me faisait. Cela me satisfaisait. J’étais  plutôt douée pour ça. J’aurais pu me reconvertir dans les messageries roses. Comme me l’avait dit un précédent amant virtuel, j’étais bien plus efficace que les pros qu’il avait contactées.  Même si je m’en amusais sur le coup. J’avais toujours cette culpabilité judéo-chrétienne qui me taraudait l’esprit et me renvoyait le dégoût de moi-même.     

    Mais, alors qu’Enzo se faisait déjà un film de ma relation avec lui et devenait de plus en plus pressant pour me rencontrer, je jugeai qu’il était temps. Je lui contai la vérité comme on conte un roman. Il fit bonne figure mais, peu après, me menaça.

    Ses paroles très dures, ajoutées à celles de mes amis gays du net qui me poussaient à tout arrêter, me firent retomber sur terre. Je décidai brusquement de tuer mon personnage. 

    Je supprimai alors tous mes comptes à son nom partout sur le réseau. Il était mort numériquement. 

    Alors que je n’en pouvais plus de mes faux-semblants, je décidais de quitter les lieux définitivement. Du moins avec ce personnage. 

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