Passage à vide

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    On ne meurt jamais vraiment sur Internet. Comme les chats, les internautes ont de multiples vies. Et les loustics dans mon genre ont forcément de multiples comptes. Ces derniers nous servent à compartimenter nos vies à l’heure du tout numérique. Des comptes pour le travail, pour la famille, pour les activités sociales, pour les achats en ligne ou pour les loisirs. Multipliés par autant de réseaux sociaux , cela fait une grande quantité de comptes à gérer. Et lorsque nous en détruisons quelques uns, cela nous permet de souffler un peu. 

    Pour ma part, j’ai adopté cette gestion compartimentée principalement à cause de mon métier. En effet, je travaille pour une société qui se trouve au coeur de l’internet. Et il ne se passerait pas une journée sans que je ne croise, quelque part sur le réseau, mon boss, mon chef ou mon voisin de bureau. 

    D’autre part, j’ai eu, par le passé, une intense activité de cyber-militante. A l’époque, je tenais un blog politique que j’alimentais avec mes réflexions. Même si je ne cachais pas mes idées, je ne souhaitais pas que cela génère des nuisances pour mes proches et pour moi-même. 

    Bref, j’avais pris l’habitude très tôt de séparer mes différentes contributions à la matrice. 

    Ceci étant précisé, après mes aventures virtuelles contées dans les précédents chapitres, j’avais fini lessivée. Je basculai sur un autre compte et repartis quasi de zéro. 

    Là, au milieu d’autres êtres cabossés par la vie ou l’ennui, je publiais quotidiennement des photos noir&blanc - mes préférées - ainsi que des citations et quelques textes originaux tristes. Je vivais dans un état de spleen permanent. Survivant entre deux mondes. Errant comme un spectre dans la froideur du réseau.

    Je suivais les pas d’une dame en noir. Une âme soeur. Nous nous tenions par nos mains désincarnées, comme un dernier fil qui nous raccrochait à la vie, avec comme seuls compagnons nos chers poètes et nos chats adorés. Car, les poètes avaient déjà tout compris de nos maux et nos chats nous réconfortaient sans un mot. Nous nous parlions via citations interposées. Du Cioran et de l’Eluard pour elle. Du Verlaine et de l’Hugo pour moi. Cette femme, cette ombre du réseau, était tout comme moi une éponge à douleurs. Tout comme moi, elle souffrait de trop d’empathie. De ne pas pouvoir répondre à tous ces appels au secours lancés dans l’océan du net. 

       Je passais l’hiver dans cet état végétatif, comme en hibernation. Ma vie virtuelle n’étant réglée que par le défilé ininterrompu des images sur mon dashboard Tumblr. Je visionnais aussi une grande quantité de séries télévisées ou de films en m’abonnant à différentes plateformes de streaming.  Je regardais distraitement les vidéos sur mon écran car, en parallèle,  je me jetais sur les coloriages des plus complexes mandalas. Ma tête était vide. Mon coeur était vide. J’étais VIDE.

    Juste un fantôme derrière l’écran.

     

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