Doutes

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    Il devait s’écouler encore deux semaines avant la fameuse rencontre. Durant cette période, nous échangions des dizaines de mails et de SMS tous les jours. Nous nous découvrions peu à peu, avec cette lenteur qui m’agaçait. 

    Tout y passait, nos vies, nos familles, nos histoires d’amours, nos échecs, nos amantes… Elle devait aimer cette étape de flirt. Cette période où tous les espoirs sont permis. 

    De mon côté, c’était surtout le temps des doutes. Chaque remarque ou absence de remarque était interprétée comme une critique et me générait de l’angoisse. 

    Pour provoquer une réaction de sa part, je lui avais envoyé un selfie de moi le matin au réveil. Je n’avais plus rien à voir avec la femme sur les photos prises quelques années plus tôt. Le temps, ce chien, avait fait son oeuvre. Et, cette enflure ne m’avait pas ratée. Mais, les nuits trop courtes et l’absence d’amour l’avaient bien aidé. Je sentis, à cet instant, un doute dans sa prose. Elle voulait toujours clairement me voir, mais elle commençait à me prévenir qu’il n’y aurait peut-être pas de déclic. 

    Après avoir lu ses mots, je ressentis de la colère. Elle me rejouait un film que j’avais déjà vu. J’avais une belle âme, une beauté intérieure qui irradiait, mais elles étaient prisonnières d’un corps qui n’était clairement pas à la hauteur.  J’aurais voulu disparaître téléchargée sur le net pour l’éternité. 

    Vexée, je pris un peu de distance. Mais, elle était accro à ma présence. Comme d’autres avant elle. Mes mots mettaient un peu de soleil dans une période sombre de sa vie. Et, je me demandais si ce n’était pas là ma mission sur le net : donner un peu de bonheur aux gens derrière leur écran.  Si ce n’était que ça, ce serait déjà une belle justification de tout ce temps passé sur le réseau. Sainte Julia des pauvres internautes.

    J’avais l’impression qu’elle faisait souffler le chaud et le froid. Comme une sorte de teasing. Parfois, elle m’appelait le soir. Je l’écoutais beaucoup, elle m’écoutait un peu. Si elle me lançait sur mon roman, j’étais intarissable et sans doute chiante. Elle faisait mine d’être fatiguée et m’abandonnait. Et, je restai là, seule, dans le silence et l’obscurité de mon bureau, avec l’estomac qui se serrait d’angoisse. Ne l’avais-je pas saoulée avec mes histoires de romans ? Elle avait dû me trouver complètement allumée. Et cette inquiétude persistait jusqu’au matin où j’avais l’espoir, mais sans trop y croire, de recevoir un autre de ses emails. 

    Cependant, je me demandais si je ne voyais pas uniquement le verre à moitié vide, alors qu’il était peut-être presque plein ? Elle faisait des efforts de toilette, renouvelait sa garde robe et son look. Je songeai que je ne devais pas être étrangère à cette évolution. Elle avait fait une croix sur son ancienne compagne et semblait maintenant résolument tournée vers l’avenir. Et, même si ce n’était pas moi qui en profiterait au final, ce ne serait sans doute pas perdu pour quelqu’un. Sainte Julia des internautes perdus avait sans doute encore produit son office. Soulageant les solitudes par l’imposition des mains sur le clavier.  

    J’évitai ses invitations à me lancer dans des techniques de libération émotionnelle. Cela ressemblait trop à une mode de bobo. Cela sembla l’irriter un peu. Elle devrait trouver que j’étais trop dans la retenue. J’étais juste dans le contrôle. Cela se passait toujours comme ça lorsque j’étais derrière un écran. L’émotion, si elle venait, je ne l’aurais que sortie de ma carapace numérique. Dans la réalité. D’ici là, je devais faire attention à ne pas commettre d’impair.  Mais, cette trop grande maîtrise de moi, ne risquait-elle pas de me faire passer à côté d’une belle histoire ? 


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