L'aventure rocambolesque de la mère Gauthier
de
Marc Boyer Bressolles

Il est des Automnes, dont chaque feuille morte suffit à faire écho aux larmes nées d’un été trop vite disparu. Un voile mélancolique se dépose sournoisement sur les âmes des travailleurs, écoliers et autres arpenteurs des journées vite avalées, déjà raccourcies par un soleil paresseux.
Ceux qui maudissaient les chaleurs, font volte-face sous les premiers frimas des aubes claires.
Sans que leurs plaintes n’émeuvent Mère Nature, muant au rythme de son cycle, où vie et mort partagent une même place.
Affligée par le vent cruel, bien décidé à fouetter son jeune visage aux joues rondes, Mireille Lafosse accéléra le pas, de peur de manquer l’horaire prévue. Une minute de retard, et les clients aux tignasses nacrés ne manqueraient pas de toquer rageusement à la porte.
Un tour de clé, le panneau qu’on retourne, et la jeune femme appuya sur l’interrupteur de la modeste pièce servant de lieu de vente. La douce odeur des viennoiseries à peine sorties du four lui arracha un sourire gourmand. D’ici quelques instants, l’une de ces merveilles sucrées finirait au fond de son gosier !
Du sous-sol, le patron chantait avec passion, à défaut de talent. Sa candeur acheva de placer ce jour sous de bons auspices.
Consciente de sa chance, Mireille savoura son amour pour ce quotidien épanouissant, et ponctué de tant de plaisirs simples… Sans perdre une seconde, la vendeuse s’empara des trésors préparés par son employeur, et les disposa à la vue de tous, derrière la vitrine transparente. Une dizaine de pains, une myriade de douceurs, et quelques gâteaux classiques, mais indéniablement délicieux. De toute manière, les clients d’un petit village ne goûtaient guère les innovations.
Sitôt la modeste pendule perchée au-dessus de la caisse annonçant six heures, que le premier autochtone repoussa le battant de la porte, accueilli par le tintement d’une cloche virtuelle et le sourire de l’employée. Une poignée de minutes plus tard, trois autres se tenaient dans le modeste local, devisant sur la météo maussade, les dernières inepties gouvernementales, et le scoop du jour : un meurtre local !
— Vous vous rendez compte… Même ici, l’insécurité est omniprésente !
— Mais que fait le Maire ?!
— Quelle horreur… Il portait bien ses quatre-vingt-huit ans…
— J’ai entendu dire qu’il aurait reçu un coup derrière la tête, pendant qu’il promenait son chien…
— Pauvre bête. J’espère qu’elle ne sera pas traumatisée par la mort de son maître…
— Il paraîtrait que sa nouvelle femme serait l’unique héritière…
— les enfants ne laisseront sûrement pas faire !
— Vous saviez que…
Une nouvelle fois le tintement joyeux du carillon résonna, prélude à l’apparition d’un nuage de cendre qui balaya les commérages, accompagné d’une écœurante odeur de tabac.
Comme un seul, chaque client tourna un regard inquiet en direction de l’entrée, grande ouverte. Son sourire amical figé sur son visage livide, Mireille avala bruyamment sa salive lorsqu’une paire d’yeux grisâtres la jaugea, sans aménité.
Un silence lourd voûta les épaules des malheureux affligés d’une présence crainte de tous.
Nulle rationalité ne prévalait face à la menace que représentait la silhouette apparue.
Toute joie s’envolait inéluctablement à son approche. Rire, moquerie, manifestation de liesse se voyaient étouffer dans l’œuf par la seule aura émanant de la vénérable Odette Gauthier.
Le martèlement d’une canne sur le carrelage blanc fit tressaillir les quatre victimes en puissance. Un bruit de succion de lèvres desséchées à l’extrémité d’un porte-cigarette, et la vieille s’avança vers le comptoir, indifférente à l’ordre d’arrivée des clients, immobiles.
Le plus jeune ouvrit la bouche afin de s’en offusquer, mais une main secourable se posa sur son bras, en guise d’avertissement.
Tout Rabastens savait qu’il était folie de s’attirer les foudres de ce monstre à faciès féminin.
Parvenue à hauteur de Mireille, « la mère Gauthier » promena son regard fielleux sur l’étalage et désigna une miche de pain complet de son menton en galoche.
— Pardon madame, mais… Ces personnes étaient là avant vous…
L’espace d’un instant, Mireille se surprit de sa propre témérité. Les mots traîtres venaient de lui échapper, à son insu.
Blanche comme un lys, la vendeuse se recroquevilla sur elle-même, face à l’expression courroucée de la célébrité locale. Sans un mot, cette dernière inspira une généreuse volute de fumée, avant de la recracher à la face de l’impudente gamine.
Ce geste sans filtre suffit à briser le frêle élan de révolte de l’intéressée, dont la promptitude à servir son bourreau du jour sembla rassurer le public impuissant. Sitôt son pain et son journal sous le bras, la mégère s’empara d’un chocolat posé en exposition sur le comptoir, et rebroussa chemin, portée par l’assurance que nul ne chercherait à lui reprocher son larcin.
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