Le banc

de Image de profil de Chrisdelin Chrisdelin

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C’était une belle fin d’après-midi d’automne. Il faisait un peu frais en ce premier jour des vacances de la Toussaint, mais le soleil ayant brillé toute la journée, les murs et les rues de la ville rendaient la chaleur qu’ils avaient accumulés. Echange de bons procédés. Maintenant qu’il avait fait son office, il amorçait sa descente derrière les toits de Paris.

J’étais plutôt détendu, après une journée de travail qui s’était au final pas trop mal passée, et je m’étais fixé un petit programme pour ce soir : balade, simple dîner en tête à tête avec moi-même et un bouquin que j’avais déjà lu mais dans lequel j’aurai plaisir à me replonger, pour l’ambiance.

La question, c’était lequel ? J’hésitais entre « Terre mouvante » de Roger Zelazny, et « Brebis galeuse » de Kurt Steiner… choix difficile, du moins pour moi en cet instant.

Après avoir posé mon ordinateur portable sur le bureau, mis un pull léger à la place de ma veste, et avoir pris un verre de coca (coca zéro, le sucre c'est dangereux pour la santé), je descendis les deux étages de mon immeuble à pied et me dirigeais vers le parc des buttes Chaumont.

J’adorais ce parc : grandiose, baroque, toujours plein de surprises au détour d’un chemin, d’un lac, d’un pont ou d’un rocher.

Il n’y avait pas beaucoup de monde, peut-être en raison des vacances. Je croisais seulement trois personnes pendant ma balade : une vieille dame avec son teckel, un joggeur avec son lévrier, un gros monsieur avec son bulldog et je m’amusais tout seul du mimétisme entre les maîtres et leurs animaux, ou peut-être était-ce l’inverse.

La lumière du soir, dorée et rasante, accentuait les ombres, rendant l’atmosphère du parc mystérieuse, presque mystique.

Au bout d’une petite heure, j’étais sur le point de rentrer à la maison après que mon estomac m’ait rappelé à l’ordre, quand, au détour d’un chemin, sur la droite, je vis un homme assis sur un banc.

Ce sont ses vêtements, mais aussi sa posture qui m’interpellèrent.

On aurait dit un commissaire Maigret tout droit sortie d’un livre de Simenon. Le visage ombré par un chapeau mou, grisâtre, vissé sur sa tête, un pardessus vert foncé et un peu élimé, bien trop épais pour cette saison. Il portait des chaussures en cuir brun foncé, solides et bien cirées.

Il ne manquait plus que la pipe.

Quant à sa posture, je voyais un homme avachi, les épaules tombantes, la tête baissée, les yeux fixés sur ses chaussures. Une sensation de tristesse intense m’envahit en le voyant.

Malgré son habillement décalé, je ne pensais pas qu’il pouvait s’agir d’un clochard. Ses vêtements bien qu’usés, étaient dans un état impeccable, et je distinguais sa barbe grisonnante, mi longue, taillée parfaitement ;

Je fus pris d’une envie soudaine de connaître son histoire, sa vie, son parcours et pourquoi il se retrouvait à cet instant, assis sur banc, seul.

Je m’approchais donc de lui, et me postais un peu sur sa gauche, debout.

— Bonjour Monsieur ! Dis-je d’un ton que je voulais rendre amicale.

L’homme ne redressa même pas la tête, et me répondit d’une voix profonde et rocailleuse :

— Bonjour.

Je trouvais son bonjour un peu sec, mais je ne désespérais pas d’engager la conversation, ce personnage m’intriguait.

— Je peux m’asseoir à coté de vous ?

L’homme releva la tête : c’était un vieux monsieur, je n’aurai pas pu lui donner d’âge exact, mais certainement plus de soixante dix ans. Un visage magnifique, buriné et tanné par les années comme celui d’un marin, des rides parfaitement symétriques, des yeux bleus d’une profondeur intense qui me pétrifièrent. Cet homme était beau.

— Vous pouvez, ça ne changera pas grand-chose

Un peu déstabilisé par sa réponse, je m’asseyais quand même à ses côtés, sur le rebord du banc pour éviter une trop grande proximité.

— Belle soirée n’est-ce pas ?

Il releva la tête à nouveau, contempla le ciel, et me répondit :

— Oui, c’est moi qui l’ai faite. Mais ça ne change pas grand-chose.

Quelle réponse étrange me dis-je… pourtant il n’avait pas du tout l’air perturbé cet homme, au contraire, l’assurance de sa voix le rendait plutôt lucide.

— L’air est un peu frais quand même.

— Pas plus que là d’où je viens, mais ça ne change pas grand-chose.

Je fis mine d’occulter ces derniers mots qui revenaient à chaque fois :

— D’où venez-vous ?

Il prit un instant avant de me répondre, leva le bras vers le ciel qui s’obscurcissait sérieusement et, pointant le néant, me répondit :

— De là.

Je pensai maintenant l’homme dérangé et je ne savais plus si je devais partir, rester pour l’aider à rentrer chez lui ou appeler quelqu’un pour le récupérer. C’est lui qui prit alors la parole :

— Vous vous appelez comment ?

— Heu.. moi c’est Jean.

— Bien, Jean, et en dehors de vous promener dans les parcs le soir, c’est quoi votre place dans ce monde ?

Je ne savais pas comment interpréter la question. Ma place dans le monde ? que voulait-t-il dire ? L’intonation, la profondeur qu’il avait mise dans ces deux simples questions avaient fini par me déstabiliser complètement.

— Heu… je suis comptable, et vous ?

— Moi…

— Oui c’est comment votre prénom ?

Après un instant de réflexion, il me répondit le plus simplement du monde :

— L’univers.

J’en étais maintenant persuadé, quelque chose ne tournait pas rond chez lui. Il n’y avait plus personne dans le parc, la nuit était tombée, il fallait que je m’écarte de ce personnage étrange. Je n’étais pas tombé sur un qui se prenait pour dieu, mais pour l’univers…

— Bien ! répondis-je, bon, brrrrr ! j’ai de plus en plus froid, je crois que je vais rentrer. Ravi de vous avoir rencontré !

Je m’apprêtais à me lever, lorsqu’il me dit :

— Vous ne me croyez pas n’est-ce pas ?

— Heu…

— Vous me plaisez.

— Pardon ? retorquais-je, en me raidissant quelque peu.

Sans relever ma remarque, il reprit :

— Vous me plaisez parce que vous êtes simple et sans prétention. Alors je vais vous montrer.

— Me montrer quoi ?

— Ça…

En une fraction de seconde tout avait disparu autour de nous. Le chemin, les rochers, les arbres, Paris… plus rien. Plus rien que le banc dans le vide avec moi et le vieil homme dessus, des lumières qui défilaient à une vitesse vertigineuse devant mes yeux.

Et puis tout stoppa net. Je mis un moment pour comprendre ce que je voyais, jusqu’à ce que mon esprit appréhende l’ampleur de ce qui se mouvait devant moi : des étoiles, des galaxies, des nébuleuses, des trous noirs…

— Où suis-je ?

— Chez moi répondit le vieil homme.

Je contemplai le balai de tout ces objets célestes, malgré la peur j’étais rempli d’admiration.

— Vous êtes dieu ?

— Non, je suis l’univers.

— Ah.. bon.

J’avais du mal à appréhender le fait que l’univers que je voyais s’étendre devant moi soit aussi le vieillard à mes côtés.

— C’est vous qui avez créé tout cela ?

— Oui, c’est moi.

— Pourquoi ? demandais-je.

— Je ne sais pas, me répondit-il.

C’était surprenant. Comment l’univers pouvait-il créer ce prodige sans savoir pourquoi. Au point au j’en étais, autant lui poser des questions sur lesquelles il aurait peut-être la réponse ;

— Est-ce que Dieu existe ?

— Je ne sais pas, me répondit-il, c’est vous qui l’avez créé, pas moi ; peut-être existe-t-il peut être que vous ne l’avez inventé uniquement pour vous rassurer de vos peurs profondes.

— Et nous, est-ce vous qui nous avez créé ?

— Oui, ça c’est moi.

— Pourquoi ?

— Il y a un homme qui s’est approché de la vérité mais qui ne l’a jamais atteinte, j’avais beaucoup d’espoir en lui, il a failli apporter la réponse.

— C’est un homme qui aurait pu expliquer pourquoi vous existez ? Qui est-ce ?

— Vous l’appeliez Carl Sagan, lorsqu’il a écrit « nous sommes une manière pour le cosmos de se connaître lui-même ». Il s’est approché de la vérité. Je vous ai créée pour que vous tentiez de me comprendre. Je suis né il y a des milliards d’année, je ne connais ni mon père ni ma mère, je ne sais pas qui m’a créée, je ne sais pas pourquoi moi, je créée, et je ne fais que m’étendre et me refroidir depuis tout ce temps. Je vous ai créée pour que vous m’appreniez qui je suis, d’où je viens et pourquoi j’ai inventé tout cet univers ; pour que vous me disiez ou je vais, et quel est mon propre destin. Je vous regarde, parfois j’ai de l’espoir, souvent je désespère, et encore jamais vous ne m’avez apporté de réponse. Comment voulez-vous que moi, j’en apporte aux votres ?

Je ressenti soudain tout le froid de l’espace, je me sentais gelé, frigorifié. Ainsi donc même l’univers ne savais pas pourquoi il était là ? Ah quoi bon alors ? Je chérissais ma solitude depuis plusieurs années, mais là elle me pesa terriblement. Je n’étais pas seul, entouré d’humain, c’était toute l’humanité qui était seule, livrée à elle-même, dans l’immensité de l’univers ;

— Vous ne pourrez m’apporter aucune réponse alors ?

— Non, répondit l’univers, je comptais sur vous pour le faire ; J’ai suivi des physiciens, des astronomes, des génies, des hommes et des femmes brillants, des religieux sans que je n’aie de réponse. Peut être qu’un homme simple comme vous aurais pu me donner une réponse simple. Apparemment je me suis encore trompé.

— Je suis vraiment désolé de ne pas pouvoir vous aider…

— Ce n’est pas grave. Cela fait treize milliards d’année que j’attends, je peux patienter encore, vous y arriverez peut-être un jour.

Je ne sentais plus le bout de mes doigts tellement j’avais froid. Je pensais à mon diner du soir, et je n’avais toujours pas choisi mon bouquin.

— Vous allez me ramener chez moi ?

— Oui, de toute façon cette rencontre n’a rien changé, comme d’habitude. Vous êtes prêt ?

— Oui, juste une question avant de repartir,

— Que voulez-vous savoir ?

— Vous n’auriez pas les numéros du loto pour le tirage de samedi par hasard ?

L'instant d'après j'etais au parc des Buttes Chaumont, assis sur le même banc, la nuit était profonde, et je voyais quelques étoiles scintiller dans le ciel, j’étais seul.

Je n’avais pas les numéros du loto. Il faudra que je retourne au travail demain.

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En réponse au défi

Qui rencontrez-vous ? "l'Univers"

Lancé par Lady Stephanie

Cette semaine, l'Univers vient à votre rencontre ! Sous quelle forme ?

L'Univers apparaîtra où vous voulez : en rêve, au détour d'un chemin, en ville, sur une plage, chez vous... Libre à vous de vagabonder. Le monde est vaste. Posez un cadre.

Qu'avez-vous à vous dire ? Une discussion s'engagera. Posez-lui toutes les questions qui vous viennent en tête.

Votre rencontre sera furtive. Un arrêt dans le temps. Un tête-à-tête que vous ne vivrez qu'une fois.

A vos stylos, claviers... Et que la force soit avec vous !

Fin du défi : 25 aout 2025

(5 minutes maximum de lecture)

Si vous utilisez l'IA, passez votre chemin...

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Le banc. Chapitre15 messages | 5 jours

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