Chapitre 1 : La porte entrebâillée
La pluie cognait contre les vitres comme un rappel. Dehors, le monde courait, s’agitait, s’évitait. Dedans, Sélène se tenait droite, impassible, face au miroir fêlé de la salle de bain de son minuscule studio. Un endroit sans charme, sans histoire, comme elle en avait connu des dizaines depuis l’enfance. Elle tira un trait de khôl sous ses yeux, net, précis. Pas pour séduire. Pour affirmer.
Aujourd’hui, elle avait rendez-vous avec son destin. Ou du moins, avec une version de lui.
Elle enfila un blazer noir, trouvé dans une friperie chic où elle passait parfois pour « emprunter l’élégance des riches ». Elle n’avait pas d’argent. Pas encore. Mais elle avait autre chose : l’instinct. Cette boussole née dans la douleur et les trahisons, qui lui murmurait toujours la même chose : avance. Ne regarde jamais en arrière.
À vingt-sept ans, Sélène avait cessé de rêver. Elle construisait. Brique après brique. Mensonge après silence. Elle n’avait pas de famille, pas d’amants, pas d’ancrages. Juste une soif. Inépuisable.
L’ascenseur de la tour Veylès l’attendait en bas. Une tour immense, toute de verre et d’acier, dressée comme une promesse arrogante au cœur du quartier d’affaires. Elle y avait obtenu un entretien pour un poste d’assistante événementielle. Une formalité. Elle ne comptait pas rester assistante.
Dans le hall, les regards glissèrent sur elle comme sur une étrangère. Trop jeune. Trop maigre. Trop sûre d’elle. Elle ne salua personne, ne baissa pas les yeux. On respectait ceux qui n’avaient pas besoin d’être aimés.
Lorsqu’elle entra dans la salle de réunion du trente-deuxième étage, il était déjà là.
Elias Kane.
Il se leva sans un mot, lui tendit la main. Son costume sur mesure tombait parfaitement, mais ce n’était pas ce qui frappa Sélène. C’était son regard. Froid, calculateur, mais… dérouté. Comme s’il ne s’attendait pas à elle. Comme si, dans cette fraction de seconde, quelque chose se fissurait dans ses certitudes.
— Mademoiselle Vexley, dit-il simplement.
Sa voix était grave, calme, sans chaleur. Et pourtant, elle sentit quelque chose. Une tension imperceptible, une curiosité soudaine, un frisson presque imperceptible qui la traversa.
Elle serra sa main, posément. Et elle sourit. Pas comme une fille qui veut plaire. Comme une femme qui sait exactement ce qu’elle est venue chercher.
— Monsieur Kane, répondit-elle, le regard planté dans le sien.
Il y eut un silence. Léger. Mais dans ce silence, quelque chose bascula.
Il ne le savait pas encore, mais Elias Kane venait de tomber amoureux.
Et Sélène, elle, venait d’entrebâiller une porte. Derrière, il y avait le pouvoir. Le confort. Le monde qu’on lui avait toujours refusé. Et si elle devait mentir, trahir ou séduire pour y entrer, elle n’hésiterait pas.
Jamais.
A suivre...
Annotations
Versions