Chapitre 2 – L’odeur du luxe
Le cuir du fauteuil était si lisse que Sélène hésita à s’y asseoir. Pas par peur de l’abîmer. Par principe. Ce genre d’endroit, ce genre d’homme, ce genre de pièce... Elle ne les connaissait que par les magazines volés dans les salles d’attente. Elle s’assit, lentement, droite, les jambes croisées. Elle ne croiserait pas les bras. Les bras croisés, c’est sur la défensive. Et elle ne voulait pas être vue comme faible.
Elias Kane s’était rassis à son tour, les mains jointes sur le bureau, son regard fixé sur elle. Pas dérangeant. Observateur. Curieux. Et dangereux.
— Vous avez un parcours… atypique, dit-il en consultant une fiche. Très peu de diplômes, beaucoup de missions courtes. Mais chaque employeur note votre efficacité. Et votre... capacité d’adaptation.
Sélène hocha la tête sans sourciller.
— Je suis une travailleuse. Je m’adapte à ce qu’on attend de moi.
Il la détailla un instant, puis reposa la fiche.
— Pourquoi avoir postulé ici ?
Elle répondit sans hésiter, la voix claire :
— Parce que j’ai besoin de grandir. Et parce que je suis prête à faire ce qu’il faut pour mériter une place. Même si elle ne m’est pas donnée.
Le silence s’installa, de nouveau. Il ne souriait pas. Il la jaugeait. Mais ce n’était pas un entretien classique. Elle le sentait. Ce regard, ce silence, ce léger mouvement de son index sur le bord du bureau… Ce n’était pas l’évaluation d’un CV. C’était autre chose.
— Vous savez, dit-il lentement, je n’ai pas l’habitude de m’impliquer personnellement dans les recrutements.
— Je suppose que je dois m’en sentir honorée, répondit-elle.
Il la fixa, et pour la première fois, son expression se modifia. Une esquisse. Quelque chose entre amusement et surprise.
— Vous avez du répondant, Sélène.
Elle sourit, doucement.
— J’ai appris à survivre dans des endroits bien plus hostiles qu’un bureau en hauteur.
Il resta silencieux. Le temps sembla suspendu. Puis il se leva, et fit le tour du bureau pour venir s’asseoir à côté d’elle, sur le petit canapé de cuir noir. Une proximité subtile, maîtrisée. Rien de déplacé. Mais suffisante pour que Sélène sente la chaleur de son parfum boisé.
— Que cherchez-vous vraiment ? demanda-t-il. Le vrai but. Pas la version professionnelle.
Elle tourna la tête vers lui. Un peu trop vite. Elle se reprit.
— Une place.
Il pencha légèrement la tête.
— Dans ce monde ?
— Au sommet, répondit-elle sans détour.
Il la regarda longtemps. Et cette fois, il sourit vraiment.
— Je vais être franc. Vous n’êtes pas qualifiée pour ce poste.
Elle sentit son cœur se serrer une fraction de seconde. Puis il reprit :
— Mais je veux vous garder près de moi.
Elle haussa un sourcil.
— Pour faire quoi ?
— J’en ai aucune idée, encore. Mais quelque chose me dit que vous pourriez être bien plus qu’une simple employée.
Elle se leva, lentement. S’approcha du bureau. Ramassa son sac. Puis elle se retourna vers lui.
— Très bien. On verra jusqu’où je peux aller.
Elle sortit sans attendre. Elle ne lui avait pas dit merci.
Quand la porte se referma derrière elle, Elias resta un instant immobile. Un léger trouble lui nouait la gorge. Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Ce n’était pas seulement son regard, ou sa manière de parler. C’était une impression profonde : cette fille allait changer quelque chose.
Et il ignorait encore si ce serait pour le meilleur… ou pour le pire.
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