Chapitre 3 – L'art de la fissure

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L’air dehors avait un goût différent. Plus lourd. Plus chargé. Sélène descendit les marches de la tour Veylès comme si elle en possédait déjà les clés. Chaque pas était un rappel silencieux : elle n’était plus cette enfant ballotée de foyer en foyer, cette adolescente invisible, cette jeune femme obligée de sourire à des gens qui la méprisaient. Non. Elle avançait maintenant dans un monde où tout pouvait lui appartenir.

Elias Kane n’avait pas dit les mots, mais elle les avait entendus. Il voulait la garder près de lui. Il ne savait pas encore pourquoi, mais elle, elle le savait.

Le désir. Le trouble. L’incompréhensible besoin d’en savoir plus. Elle l’avait vu dans ses yeux. Et elle savait l’exploiter.

Elle passa devant les vitrines des boutiques de luxe. Elle s’arrêta un instant devant une robe en soie ivoire. Pas son style. Trop fragile, trop sage. Mais elle observa le reflet qu’elle renvoyait : droite, seule, sûre d’elle. Son téléphone vibra. Elle décrocha sans vérifier l’appel.

— Allô ?

— Alors, tu l’as eu ? demanda une voix douce à l’autre bout du fil.

Annette.

Sélène ferma les yeux une seconde. Sa voix la ramenait à un autre monde. Plus simple. Plus vrai. Peut-être trop.

— C’est en bonne voie, répondit-elle.

— Tu vois, je te l’avais dit. Tu mérites tellement plus que ce que la vie t’a donné.

Sélène ne répondit pas. Il y avait quelque chose dans cette phrase qui la blessait sans qu’elle sache pourquoi. Peut-être parce qu’elle savait qu’Annette, elle, croyait encore en la justice. En l’équilibre des choses. En l’amour sincère.

— Tu travailles ce soir ? demanda-t-elle pour changer de sujet.

— Oui… Elias organise un dîner avec quelques partenaires. Rien de grandiose. Je fais le service traiteur, comme d’habitude. Il ne me remarque même pas, tu sais.

Sélène sentit un frisson lui traverser la nuque. Le nom résonna dans sa tête comme une alerte.

Elias. Annette. Dans la même phrase.

— Tu le vois souvent ?

— De moins en moins. Il est toujours… ailleurs. Distrait. Fatigué. Il ne m’écoute plus.

— Tu l’aimes encore, Annette ?

Silence.

— Je crois que oui. Je crois que je ne sais aimer que lui.

Sélène serra les dents. C’était là. La faille. Elle avait voulu éviter de la regarder trop tôt. Mais maintenant, elle ne pouvait plus l’ignorer.

Annette était amoureuse d’Elias. Et Elias… Elias commençait à la désirer, elle.

— Tu mérites quelqu’un qui te regarde vraiment, dit-elle d’une voix neutre.

— Je sais. Mais le cœur ne comprend rien.

Sélène raccrocha doucement, sans rien dire de plus.

Elle entra dans une brasserie discrète, commandant un café noir sans sucre. Elle s’assit au fond, sortit un carnet. Elle y traça quelques mots à la volée. Des fragments. Des stratégies. Des souvenirs.

Elle écrivait pour s’organiser. Pour canaliser. Pour transformer le chaos intérieur en plan d’attaque.

> Objectif : entrer dans l’intimité d’Elias.
Point d’accès : curiosité, trouble émotionnel.
Faiblesse périphérique : Annette.
Risque : culpabilité.



Elle s’arrêta. Souligna le dernier mot deux fois. Puis l’effaça.

Elle ne pouvait pas se permettre d’être coupable. Elle avait assez perdu.

La serveuse lui apporta l’addition. Elle ne l’avait pas demandée. Elle l’ignora.

Son regard était déjà tourné vers le soir. Vers le dîner qu’Annette avait mentionné. Un dîner où, peut-être, elle pouvait apparaître par hasard. Officiellement invitée par un contact, une connaissance, un mensonge habile.

Le jeu commençait.

Et Sélène comptait bien en maîtriser chaque règle.

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