75. Le vertige ou la béance
Au quatrième jour, après des heures de honte et de colère intérieure comme autant d'éternités, Sebastian reçut la visite du Doktor Morgenstern, cette fois accompagné de deux infirmières. Le médecin se pencha vers le saxophoniste, pratiqua quelques examens neurologiques avec une lampe-crayon :
" Vous semblez en voie de guérison, Herr Dupree. Est-ce que vous souffrez de migraines ?
- Non. Plus vraiment.
- De troubles visuels ?
- Non plus.
- C'est bon signe. Votre commotion cérébrale semble se résorber. Voyons maintenant votre dos. "
À ce signal, les deux infirmières glissèrent une main sous les épaules de Sebastian et l'aidèrent à se redresser. Il grogna, faillit renoncer mais s'accrocha même quand un gouffre noir s'ouvrit devant ses yeux et entama une danse en lames concentriques. Puis la douleur s'atténua, seul demeura le vertige. Ou était-ce cette béance qu'il avait toute sa vie cherché à remplir d'alcool et d'héroïne ?
" Gut, Herr Dupree. Je pense que nous allons bientôt pouvoir commencer la rééducation. Mais de vous-même, vous pouvez vous mouvoir.
- Je peux marcher ?
- Ja, natürlich. Avec un peu de volonté, vous serez rapidement sur pied. Ces demoiselles vont vous y aider. Je vais vous prescrire quelques médicaments contre...
- Non, pas d'antalgiques. S'il vous plaît. "
Le médecin hésita un instant avant d'adresser à Sebastian un sourire honnête :
" Comme vous voudrez, Herr Dupree. Ich verstehe. Nous allons à présent vous laisser. Vous avez encore besoin de prendre des forces. "
Pendant quelques secondes, Sebastian envisagea de faire part à ce brave docteur de ses addictions, mais en quelle mesure pouvait-il lui faire confiance ? Et le sombre appel du manque continuait de l'atteindre, plus impérieux que jamais pour cacher la peur du vide.
Ce soir-là, Sebastian pleura silencieusement, le visage enfoui dans le creux de son bras.
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