85. Miss Pratchett

3 minutes de lecture

La rumeur gagnait en intensité et déjà elle venait troubler le sommeil des autres pensionnaires de la clinique. Sebastian se glissa parmi les ombres jusqu'à sa chambre.

Dans la penderie, il trouva ses affaires soigneusement pliées et posa le tout sur le rebord de la fenêtre afin de garder un œil sur les laquais de Mammon. L'aube perlait doucement en reflets rougeoyants, mais pour le musicien, point de rubis ici, mais une marée de sang.

Au milieu d'une veste épaisse, d'une paire de bottines, d'un pantalon beige, de son chapeau, de ses outils comme le carnet que lui avait laissé une éternité plus tôt Marcus, de l'appareil photo d'une époque éteinte, de sa montre qui s'affolait ou semblait ralentir en fonction des strates où il se situait, de son canif, il manquait un objet à son inventaire. Pouvait-il décemment continuer sa progression dans les couches de l'Oignon sans protection ? Oui, s'il ne voulait pas disparaître dans les geôles de la Milizia. Ou pire dans les limbes avec les Maraudeurs. Quelqu'un avait-il pris son Colt .45 ?

Il en était là de ses réflexions quand il reçut la réponse qu'il craignait tant. À travers la porte entrebaillée de la salle de bains plongée dans le noir s'échappa le bruit sec et parfaitement reconnaissable d'un chien qu'on armait.

 " Comptez-vous aller quelque part, Herr Dupree ? Vous auriez mieux fait d'écouter mon conseil et de ne point commettre d'impair.

 - Miss Pratchett ? "

L'infirmière s'avança jusque dans la clarté incertaine qui se levait sur Neu York. Sa beauté n'était qu'un masque qui ne cachait même plus la laideur de son âme, elle l'aryenne fervente.

 " Pauvre folle ! Les Marau...

 - Comment osez-vous venir troubler l'équilibre de cet institut ? " hurla-t-elle. Dans ses mains, le pistolet tremblait légèrement, ce qui ne rassurait pas Sebastian. Un coup pouvait partir si vite. Il s'efforça à poser ses mots :

 " Miss Pratchett, écoutez-moi. Il n'est peut-être pas encore trop tard. Laissez-moi...

 - Tu n'iras nulle part, foutu négro ! La Milizia sera ravie de mettre la main sur un séditieux comme toi ! "

Une silhouette s'invita dans la chambre. Mince et haute, presque aristocratique.

 " Lâchez cette arme, Fraülein Pratchett. Immédiatement ! gronda le Doktor Morgenstern.

 - La place de cet homme est en prison. Et si vous m'en empêchez, vous serez complice.

 - Vous avez perdu l'esprit. Je vous ordonne de poser ce revolver.

 - Nein ! " cracha-t-elle.

Elle pivota sur elle-même pour faire face au médecin. Lui avança le bras pour se saisir du canon du Colt 1911. Ils s'empoignèrent, crièrent, luttèrent. Et l'irrémédiable se produisit en une détonation étouffée entre leurs deux corps. Le visage du médecin vira instantanément au cendreux dans la luminosité de l'aurore tandis qu'une fleur couleur de soleil levant s'épanouissait sur le côté gauche de sa chemise. Pratchett, quant à elle, hoqueta et s'écroula dans un coin de la chambre. Sans toutefois lâcher son arme. Sebastian fit le tour du lit, se pencha vers elle et prit entre les doigts sans force de l'infirmière son pistolet. Elle se remit à répéter, cherchant une explication ou des excuses ? dans le regard de Sebastian. Mais il n'avait rien à lui offrir, ni pitié ni mépris, a contrario du docteur.

 " Vous ne pouvons pas rester là. Vous pouvez vous lever ?

 - Je ne crois pas, Sebastian. Vous devriez fuir. Allez retrouver Drinkwater.

 - Hors de question que je vous abandonne là.

 - Vous n'allez pas traîner derrière vous un cadavre.

 - Ne dites pas de sottises.

 - Mon sort est scellé. "

Le docteur plongea une main dans sa poche et en sortit un pendentif. Une étoile brillante.

 " Que l'éclat de Vénus guide vos pas tout au long de votre route, Herr Dupree. Vous secourir dans votre quête aura été un honneur. Maintenant, filez avant que la Milizia ne vous capture. Adieu, Sebastian.

 - Adieu, Doktor. Et merci pour tout. "

Le bon docteur avait-il entendu les derniers mots du jazzman ? Mais Sebastian n'avait pas le temps de s'en assurer car la rumeur des Maraudeurs avait considérablement augmenté depuis l'intrusion de Miss Pratchett et l'incident qui avait suivi. Dupree se pencha vers elle avant de fourrer ses affaires dans son sac :

 " Contemplez votre œuvre, espèce de garce ! Et n'oubliez pas que tout se paye un jour. "

Au miaulement pressé de Jocko, Sebastian sut qu'il était temps de filer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Shephard69100 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0