94. Nam' Wolf

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Sous l'infranchissable canopée, le temps s'étirait jusqu'à en perdre le fil, mais je savais la prochaine lunaison imminente aux fourmillements qui me parcouraient l'échine. Depuis un peu plus de trois semaines, nous nous enfoncions toujours plus loin dans la jungle, à la recherche de l'unité ennemie qui avait massacré plusieurs de nos patrouilles ainsi que deux avant-postes.

Et, à chaque jour qui passait, je sentais le regard de mes compagnons de section s'alourdir sur mes épaules. Mon âme, elle, restait inaliénable.

Déjà sur la base, ils riaient de me voir marcher constamment pieds nus. Mais ce qu'ils considéraient au départ comme de l'excentricité est devenu une inquiétude quand notre départ pour la mission de reconnaissance n'avait rien changé dans mes habitudes. J'arpentais le tapis de feuilles, indifférent aux insectes, aux serpents et aux pieux punji dissimulés dans des trous de loup que nous pouvions croiser. Ils accordaient encore foi à mes talents de pisteur en calquant leurs pas dans mes traces et en me laissant toute latitude pour retrouver l'escadron vietcong fantôme.

Leur désarroi a viré à la peur quand je m'isolais d'eux le soir venu, à laisser mon regard se perdre dans les flaques de lumière qu'apposait le crépuscule sur la végétation. Accroupi là, je humais les odeurs riches qui assaillaient mes sens en éveil. Je marmonnais de vieilles prières aux Dieux de mon peuple et écoutait leurs réponses au travers de la frondaison ou du trille des oiseaux. Aux dernières lueurs du jour, je me déshabillais entièrement, me couvrais le corps d'une boue épaisse et partais seul sous le couvert d'arbres. Je ne revenais que tardivement, bien souvent avec la carcasse d'un cerf sika sur le dos. Une sorte d'offrande à mes compagnons d'armes pour atténuer leur crainte.

Cela ne servit pas à grand-chose et leur angoisse sourde se transforma en terreur atavique. Grand-Père m'avait longtemps auparavant enseigné cette leçon en me disant que l'homme ordinaire avait toujours redouté les ténèbres car son esprit étriqué ne pouvait s'empêcher de combler ce vide. L'avais-je compris ? Ou seulement écouté ?

Les hommes évitaient mon regard et ils scrutaient la jungle avec horreur. Mais, pour moi, cette forêt ne différait guère, en dehors de son étouffante moiteur et des plantes tropicales qui nous offraient une telle luxuriance enchanteresse, de celle où j'avais passé ma jeunesse.

Je n'avais rien dévoilé aux gars, mais j'avais enfin flairé pour de bon la piste de l'autre. J'avais même reconnu son fiel. Un aswang. Je me demandais comment il était parvenu jusque dans ces montagnes impénétrables, mais cette notion ne me concernait pas. Je n'avaisi que pour objectif notre rencontre ou notre affrontement.

Mais cette nuit, son appel retentirait. Oh, cette nuit...

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