Des semaines que je n'avais plus de nouvelles d'Ellis.

Je ne l'avais pas revu depuis la disparition soudaine de sa femme, au début de l'été. Je me persuadais que je respectais son deuil à ne pas me montrer ni trop présent ni trop inquisiteur, mais je savais au fond de moi que je repoussais ce moment. Car je ne pourrai jamais retenir mes larmes, ni face à lui ni face au fantôme de Shelley.

Quand je me décidai enfin à me rendre chez lui, sur les hauteurs de la ville, je compris à quel point j'avais eu tort d'abandonner mon ami et mon confrère à sa douleur. La forêt, pour une raison qui m'échappait, avait selon toute vraisemblance gagné du terrain sur sa propriété. Une étrange lueur ambrée filtrait depuis les soupirails de sa cave où il entreposait du matériel scientifique. Pour ses devoirs à la maison, aimait-il me répéter au laboratoire que nous partagions.

Il ne remarqua pas tout de suite mon arrivée et lorsqu'il leva enfin les yeux de ses éprouvettes, il se contenta de me dire, d'un ton anormalement calme :

 " Ah, John, te voilà. J'y suis presque, tu sais ?

 - Presque à quoi, Ellis ?

 - Au dosage parfait.

 - De quoi me parles-tu ?

 - De ramener Shelley évidemment. "

Je tressaillis. Le chagrin avait instillé la folie dans le cœur du brillant chercheur que j'admirais.