105. La taverne
Dans tous les regards tournés vers Hogarth et moi, je lisais la même inquiétude, la même fatigue qui ne cachait pas complètement une fugitive lueur d'espoir. Des émotions que j'avais lues tant de fois au gré de notre route et qui était le lien qui unissait tous les hommes vivant sous le joug du démon.
Hogarth secoua sa cape pour en chasser la neige, en révélant le céruléen. L'assistance de vieillards poussa à l'unisson un " Oh ! " de gratitude. Quand je l'imitai et dévoilai le groseille de mon manteau, le frisson du doute secoua l'assemblée.
Nous les saluâmes en silence, en inclinant légèrement la tête et nous remontâmes entre les tablées figées jusqu'au bar. Je tapai du plat de la main sur l'épais comptoir en chêne, commandai trois bières et à manger.
Le tavernier posa les trois chopes devant nous et je m'apprêtais à boire ma première gorgée quand on toussota derrière nous :
" Par... donnez m... mon intru... sion, messires. Et ma mau... vaise utili... sation de votre lan... gue. Mais êtes-v... vous des Cap... pitaines de la Gar... de Impériale de Gar... denia ?
- Nous le sommes, mon ami. répondit Hogarth au vieil homme borgne qui se tenait face à nous. N'ayez crainte. Demandez-vous assistance ? "
Un sourire pâle mais d'une spontanéité désarmante naquit sur les lèvres décharnées et les gencives nues du vieillard. Il commença avant de se tourner vers l'un de ces compagnons près de l'âtre de la cheminée :
" Je m'app... elle Červ... Šulc ! Toi qui parles la langue de la capitale mieux que quiconque par ici, viens discuter avec nos invités ! "
Le dénommé Šulc quitta à regret son siège. Il déplia sa longue carcasse décharnée et traîna tant littéralement que métaphoriquement des pieds jusqu'à nous. Aussi vite que lui permettait sa claudication, il marcha dans notre direction, nous jaugeant de son seul œil valide. L'autre disparaissait derrière un entrelacs de tissus cicatriciels blanchâtres. J'eus du mal à réprouver un frisson en devinant la souffrance qu'avait endurée cet homme. Hogarth sourit :
" Soyez rassurés, aucun mal ne vous sera fait ici ce soir. Parlez librement. Demandez-vous assistance ?
- Oui, nous le demandons. répondit Šulc avec timidité.
- Nebylo by nám lépe u ohně ? souffla celui qui s'appelait Červ à l'attention de son camarade.
- Mon ami propose que nous vous racontions notre histoire en vous réchauffant près du feu. Il a raison, je n'ose imaginer à quel point votre route a été pénible dans cette tempête. Pavel, sors-nous ta meilleure jitrnice. Et pioche un peu dans ton tonneau de Becherovka pour une fois.
Je venais de m'asseoir quand la porte de l'auberge s'ouvrit à la volée, presque avec violence. Tully entra en beuglant comme un ours :
" Putain de froid de gueux ! Alors, on commence à ripailler sans moi ? Ben quoi, z'en faites, des têtes ! "
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