107. Les mille portails

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Le chemin se perdait dans les brumes de l'aurore, s'élevait en un fil ténu dans la nuit sans rivages, serpentait entre de vertigineuses falaises que nous devinions.

Le récit de Šulc achevé, nous avions pris un peu de repos pendant que l'aubergiste nous préparait du ravitaillement. Dans le même temps, plusieurs des vieillards présents à l'assemblée s'activaient pour nous apporter des fourrures assez chaudes qui nous permettraient d'affronter les rigueurs hivernales de la montagne.

Une gravité sans âge ceignait leurs traits et me serra étrangement la poitrine quand notre conteur nous accompagna à l'orée des mille portails. Comme si je contemplais impudiquement une douleur qui ne m'appartenait pas. Au gré de nos voyages, nous avions croisé maintes fois cette souffrance dans le regard de ceux qui demandaient assistance, mais rarement avec une telle force. Peut-être la vénérabilité qui émanait de ces doyens me touchait d'une manière inattendue.

La tempête de neige s'était calmée, seuls quelques flocons voletaient encore dans le froid vif. Aux confins du bourg, nous découvrîmes l'étroite passerelle de bois et l'ombre des premiers portails nous cueillit là, dans notre humilité. notre petitesse. Šulc nous expliqua les rites anciens de son peuple :

 " Voyez, Capitaines, à la fin de sa route, chaque homme venait en ce lieu et se confrontait aux mille questions qui avaient occupé sa vie. Elles avaient trait à leur enfance, à la famille, à leur réussite dans le commerce, à l'amour, à la colère, à la guerre. Arrivés au sommet, chacun devait être en mesure de savoir ce qui l'attendait sur le Plateau de Ludywine.

 - Le Plateau de Ludywine ? Qu'est-ce que c'est ?

 - Là où la destinée de tous se termine. L'au-delà, la clairière au bout du chemin, quel que soit le nom que vous lui donnez.

 - La fin de toute chose. " souffla Tully d'une voix rauque qui me rappela le grondement de l'ours dérangé dans sa tanière. Je lui lançai un regard noir pour lui intimer de se taire. D'un geste de la main, j'invitai le vieil homme à poursuivre :

 " Nous ne croyons pas en une fin comme vous l'imaginez, Capitaine. Nous pensons davantage que notre existence tout entière est enseignements et que nous devons en laisser une trace à nos descendants.

 - Mais ces démons ont bafoué votre sanctuaire.

 - Ce sont les bons termes, jeune homme. Et ces leçons de vie s'en trouvent corrompues.

 - Soyez assuré que nous ferons notre possible pour rendre à votre peuple son temple.

 - Que Ludywine vous apporte son Soleil. La route est longue jusqu'au sommet. Certains de mes aïeux ont construit une chapelle-refuge sur le flanc de la montagne. Personne n'y est allé depuis une éternité, mais je prierai pour que vous y trouviez le repos, Capitaines. "

La foi tenait bien souvent en un lien fragile vers l'indicible. Depuis la mort d'Akemi, j'errais et j'œuvrais sans ces repères fondamentaux et les mots du vieux Šulc m'offraient un écho apaisant empreint de sagesse que je n'avais pas ressenti depuis longtemps. Pourquoi alors ai-je à l'esprit l'image d'une cloche lointaine et dissonante ? pensai-je alors qu'Hogarth ouvrait la voie, une torche à la main.

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