108. La chapelle
Toute la journée, nous progressâmes sur le fil ténu de la solitude.
Les brumes viraient au bleu crépuscule et je commençais à craindre que nous ne passions une nuit sur le flanc nu de la montagne quand sa croix émergea fantomatique du voile blanc qui nous entourait. Puis nous devinâmes la forme incertaine de la chapelle, à la fois fragile promontoire dans la rudesse des hauteurs farouches et îlot au milieu de l'éther aveugle.
Nous nous réunimes dans le cœur de l'édifice, face aux vestiges de l'autel. Pendant que Tully allumait un feu, je restais un moment à contempler les gravats du piédestal et l'imposant crucifix renversé. Une impression d'abandon émanait de la place et je me demandais si ce lieu saint était oublié des hommes de la vallée ou si la horde que nous pourchassions l'avait sciemment profané. Hogarth m'interpella :
" Mack, tu viens manger ?
- J'arrive.
- Tu sembles bien distrait. "
Je leur partageais mes réflexions. Tully croqua dans une saucisse avant de lancer :
" Est-ce que ça change quelque chose à notre mission ?
- Probablement pas.
- Que nous sachions quels ennemis il nous faut combattre.
- Rassure-toi, Tully, tu auras toujours des batailles à mener. Je prends le premier tour de garde. " m'agaçai-je en me levant.
Je ramassai mon daisho, remplis mon gobelet d'un peu de thé en train de frémir près des braises et partis vers le clocher. Dans l'inconfort venteux et humide de la tour, je tentais de méditer, mais je sentais encore les tisons du ressentiment envers mes compagnons. Régnait-il ici une atmosphère corrompue par les démons ou étais-je seulement fatigué par ces années d'errance ?
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