113. Le double

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Une ombre nous attendait à l'orée brumeuse de la maigre forêt.

Son large jingasa, similaire à celui que portait Maître Yoshinobu, l'homme qui m'avait enseigné le bushido et l'art du daisho, dissimulait son visage. Mais je n'avais nul besoin de discerner ses traits pour savoir qui nous faisait face ; je le compris au menuki de son katana. N'aurais-je pas plutôt dû dire mon sabre ?

À côté de moi, Tully râla :

 " Bordel ! Vous voyez comme moi, mes frères ?

 - C'est un archer. Il porte le même longbow que moi. répondit Hogarth.

 - Tu as attrapé une fièvre dans ces montagnes ! Ce gars a un marteau identique au mien.

 - Vous vous trompez tous les deux. C'est un Döppelganger. intervins-je.

 - Nom d'un chien vérolé ! Tu as raison, Mack !

 - Comment le neutraliser ?

 - Je m'en occupe. Quittez sa sphère d'influence.

 - C'est de la folie ! Tu vas te retrouver seul face à un ennemi qui connaît toutes tes passes, Mack. objecta Hogarth.

 - Si nous l'affrontons tous les trois, il va considérablement nous retarder. Et, en parlant de mes bottes secrètes, si Delaney nous a bien enseigné quelque notion, c'est la souplesse et l'improvisation. Croyez-moi, j'ai plus d'un tour dans mon sac.

 - Si tu te lances dans un corps à corps, Mack, je ne pourrai que difficilement te couvrir de là-bas avec mon arc.

 - J'en ai parfaitement conscience. Je vous retrouverai plus haut. "

Résignation et confiance se mêlaient dans les yeux de mes compagnons. Ils savaient que j'avais raison ; aussi rompirent-ils notre formation. Dans l'ombre de son chapeau, mon adversaire sourit. L'arrogance mène à la chute, me répétai-je intérieurement.

Au Ma Bu que j'initiais, il répliqua par un prévisible Gong Bu. J'attaquai aussitôt son flanc droit pour éprouver sa rapidité. Nos lames se rencontrèrent en un tintement d'argent dans le froid des polaire. De son wakizashi, il tenta de me porter un coup à l'abdomen que j'évitai sans peine. Ma première estocade révéla plusieurs points chez lui : sa rapidité, sa fourberie et sa capacité d'adaptation. Et démontrait mes propres limites physiques. Dans ces hauteurs d'éternel hiver et sous ce froid mordant, je me fatiguerai plus vite que lui, le démon. Il me fallait donc abréger le combat au maximum. Pour cela, j'allais devoir me montrer rusé et véloce. Peut-être mêmeroublard et déloyal.

À ma position du Chat, il opposa celle de la Grue. Je feintai la passivité et il se rua sur moi, son katana décrivant une large courbe vers ma gorge. Je fis un pas en avant pour lui laisser croire que j'esquivai en fuyant, mais au dernier instant, je pivotai sur moi-même et de ma lame courte, je lui entaillai le flanc droit. Il chancela sous le choc, mais en parfait imitateur, il avait anticipé mon mouvement. Je le blessai moins profondément que prévu et je sentis la morsure son wakizashi sur mon bras gauche. Je manquai d'échapper mon arme, je parvins toutefois à resserrer ma poigne sur le tsuka.

La neige se teintait de rouge. Mon ennemi possédait donc une tangibilité. Cet enseignement m'avait coûté cher puisque de mon côté aussi, le sang coulait. Delaney nous avait appris au premier jour de notre formation :

 " Si vous pouvez blesser votre adversaire, alors vous pouvez le tuer. Et il existe bien des manières de blesser quelqu'un. D'abord physiquement, par les mots ensuite. Frapper l'orgueil d'un belligérant est un excellent levier pour une victoire finale. "

Je toisai mon double d'un ton moqueur :

 " J'ai encore une pleine besace de surprises pour toi, saloperie ! "

Il ne répondit pas. D'un feulement rauque, il se jeta sur moi. Au même instant, une flèche s'abattit sur la terre gelée à ses pieds. Surpris, il décala son pas et j'en profitai pour frapper. Il se baissa pour éviter mon sabre. À la vitesse de l'éclair, je lui plantai mon wakizashi dans les côtes. Il hoqueta, cracha un sang épais et noir sur mon plastron, mais il avait encore assez de vitalité pour se battre. Il leva sa main armée, visant à me fendre le crâne. Je lui saisis le poignet, l'écrasai dans mon poing pour lui faire lâcher son katana tandis que de l'autre côté, je poussai sur mes jambes pour enfoncer plus profondément ma lame dans ses chairs. Je mis tellement de forces dans mon geste que le kissaki ressortit en un immonde bruit de déchirure de tissus dans son dos. Il s'affala sur le permafrost et il emporta dans la mort son masque de haine démoniaque.

Du bout de ma botte, je le retournai puis je lui transperçai la poitrine. Il me restait un acte à accomplir afin d'offrir à ce lieu la rédemption du Tout-Puissant. Brûler ce cœur impie dans un linge de Jéru pour purifier cette terre, et mon âme par la même occasion.

Nous étions, nous les Trois Capitaines, les tueurs silencieux de la libération des contrées profanées. Je rêvais d'un monde où la vie reprendrait ses droits.

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