115. La métamorphose
Sous nos yeux, il retira son masque de séduction altière pour une horrible face guerrière. Son casque ressemblait à un Spangenhelm orné de trompes éléphantesques dans lesquelles je reconnus des glyphes maudites. Sa protection nasale évoquait la corne d'un rhinocéros. Venait-il de quelque pandémonium démoniaque oriental ou arborait-il ces symboles comme démonstration des contrées qu'il avait soumises ? Ses chaleureux yeux émeraude virèrent au rouge sanguinaire du chaos. Hogarth se moqua :
" Enfin, tu montres ton vrai visage, démon !
- Vous avez décliné ma généreuse récompense, Capitaines. Bientôt, vous ramperez à mes pieds et vous me supplierez d'épargner vos misérables existences. "
Il poussa un long cri aigu en portant sa première attaque. Il était si rapide qu'il esquiva sans peine la flèche d'Hogarth. Nous ne pourrions l'atteindre à distance ; il nous faudrait le piéger au corps à corps. Il se ruait déjà sur moi et je parai l'arc de cercle de son khépesh en le repoussant de mon katana.
" Gare aux coups bas ! " criai-je à Tully.
Du shinogi-ji de mon sabre, je le poussai en direction de l'Ours qui le frappa avec la masse de son marteau de guerre. Le Prince tenta bien de bloquer l'attaque de sa main libre, mais j'entendis clairement l'impact sur son plastron. Il recula. Dans ses yeux brillait une lueur narquoise ; cependant j'y avais lu le doute et la peur l'espace d'une seconde.
" Ainsi donc vous avez décidé de travailler en équipe. Mon sabordage psychique n'a donc servi à rien.
- C'est tout ce que tu as en réserve ? me moquai-je.
- Oh non, Capitaine MacKenzie. Je vous ai gardé quelques surprises. "
Sa voix se défaussa en une parodie grotesque d'Akemi. Puis de Maître Yoshinobu. Il huma l'air de la galerie d'Émeraude à la manière d'un prédateur sur la piste d'une proie. Il sourit, carnassier :
" J'ai le sentiment que certaines plaies ne sont pas totalement refermées, mon cher Capitaine.
- Mack, reste concentré. Ne cède pas à la colère. intervint Hogarth, en dégainant son épée.
- Ne t'inquiète pas, vieux frère. Cette ordure n'est pas le premier à essayer de me corrompre. Ceux qui s'y sont risqués ont tous tâté de ma lame. répondis-je par un rictus tout aussi animal.
- Vole dans les plumes de ce salopard, vieux Hibou ! " gueula Tully.
Pour retrouver tout mon calme, je choisis d'aborder le combat selon la technique du Serpent. Le Prince lâcha une fois de plus son cri strident, se jeta sur moi. Exactement comme je m'y attendais, il évita le marteau de Tully et l'acier d'Hogarth. Je lançai ma main droite vers sa gorge et, dans un réflexe, il esquiva, les yeux rivés sur mon katana en penchant la tête sur le côté. Son khépesh s'élevait déjà à la recherche de mon cœur, mais je plantai le kissaki de mon wakizashi sous son aisselle et poussai fort. Un hoquet de surprise déforma sa bouche en un O grossier.
" L'arrogance mène à la chute. " ricanai-je.
Je retirai ma lame au moment où Tully abattait son marteau sur l'épaule du Prince. Un répugnant bruit d'os brisés envahit un court instant la Salle du Trône. Le temps de me reculer et l'Ours le frappait une nouvelle fois, clouant au sol notre adversaire. Au râle sifflant qui s'échappait de sa poitrine, je savais ses poumons perforés. Un sang goudronneux ruisselait entre ses lèvres qui perdaient le rouge de la vie.
" Vous ne pouvez pas gagner.
- Nous pouvons toujours vaincre quand nous combattons ensemble. répliqua Hogarth qui, de la pointe de son épée, chatouillait le menton du démon.
- L'amitié ne peut être corrompue.
- Viendra un temps où vous regretterez ces paroles, Capitaines.
- Peut-être, mais tu ne seras plus là pour le voir.
- Ma mort est peut-être proche, mais vous ne mettrez pas fin au règne de la Harpie.
- Tu n'es qu'un pantin qui ne mérite ni pardon ni clémence.
- Je... " commença-t-il.
Assez de palabres, pensai-je et je lui enfonçai ma lame dans le cœur. Un remugle marécageux de noirceur, de folie nous assaillit. À Hogarth, je demandai un linge de Jéru. Pendant qu'il cherchait dans mon havresac, je regardais la galerie d'Émeraude. Autrefois, ce lieu devait être magnifique. En s'y installant, le démon l'avait perverti. Pour lui rendre sa superbe d'antan, il nous fallait le purifier. J'ouvris le thorax du démon, sectionnai les artères de son cœur corrompu et y boutai le feu.
" Nul besoin de réduire en cendres toute la maison quand il suffit de brûler les élans noirs qui habitent nos ennemis. " nous avait appris bien des années auparavant Delaney. Ce jour-là, je sus à quel point il avait raison.
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