126. Rubans du soir
Petit à petit, la nuit éteignait le monde. Le Soleil avait laissé derrière lui un fin ruban d'or lumineux. Puis une écharpe de roses tendres, de l'incarnat au mauve, se détachait de l'horizon pour ensuite se diluer dans un beau vert menthe. Au-delà, les premières étoiles s'allumaient.
Assis sous son porche, le vieux profitait de la douce soirée. Ses mains et ses oreilles bourdonnaient encore des vibrations et du ronflement de son tracteur d'avoir labouré ses champs toute la journée.
Je lisais la fierté du labeur dans les yeux de mon père, mais face à l'ampleur du travail qui nous attendait, nous nous tenions silencieux, tirant de temps en temps sur notre cigarette. Il buvait une gorgée de son alcool de pomme quand la porte-moustiquaire s'ouvrit en un grincement plaintif. Nellie se planta dans le cône d'ombres de la galerie.
" C'est décidé, P'pa. Je pars demain.
- Et où comptes-tu aller ?
- En Californie. Mark me dit qu'il y a plein d'opportunités là-bas. Plus qu'ici en tout cas. "
Je levai les yeux une seconde trop tard pour lui intimer de se taire. Notre père croyait encore au potentiel de cette terre. Aussi grasse que généreuse, avait-il coutume de dire. Le vieux hocha de la tête ; peut-être réalisait-il que cet endroit était devenu trop étroit pour ma sœur.
" Tu as besoin de quelque chose ? lui demanda-t-il.
- Non.
- Dans ce cas, je te souhaite bonne chance, ma chérie. "
Il ne leva toutefois pas les yeux vers elle.
L'or du couchant était maintenant froid, les nuages épars avaient pris la teinte de l'ardoise mouillée. Je me demandais à quoi ressemblait l'océan en cette fin d'été.
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