137. Beatrice
Comme un navire dont on ne distingue plus que les voiles blanches, l'été prenait le large. Mais sa magie persistait dans la lumière argentée qui coulait entre les chênes, dans le vert éclatant du lierre et le rouge tiède des briques du Vieux Carré.
Beatrice nous attendait, vêtue d'un chemisier blanc noué sous le nombril et d'une jupe beige ornée de fleurs multicolores. Quand elle aperçut sa mère, la main d'Emily se serra dans la mienne et la même rose vive explosa dans mon cœur.
" Oh, mes amours, vous êtes là ! " sourit Beatrice.
L'étreinte qui suivit abrasa mes craintes du week-end. Dans l'intimité de notre chambre, Beatrice m'avait confessé alors que je sentais qu'elle attendait le moment opportun pour me parler :
" Bradford m'a proposé d'aller à la Nouvelle-Orléans pour une enquête.
- Oui ?
- Oui, il aimerait que nous écrivions un papier sur la mort de ces deux prospecteurs de la compagnie pétrolière la semaine dernière à Key West.
- Et il a pensé à toi naturellement ?
- Écoute, je n'ai pas oublié ce qui s'est passé la dernière fois, Richie et je ne veux pas de dispute entre nous. Ni même d'ombres.
- OK. Excuse-moi, Bea.
- En fait, vous pourriez même me rejoindre là-bas avec Emily. Histoire de sortir quelques jours de Rum Cay, de lui faire découvrir le jazz. Et promis, je ne nagerai pas en eaux troubles cette fois-ci. " conclut-elle par un clin d'œil.
Il y avait quelque chose de désespéré quand nous fîmes l'amour ce soir-là. Je dormis mal et aux petites heures du jour, je me levai, une peur diffuse verrouilée aux tripes. Craignais-je les pulsions investigatrices de ma compagne, les répercussions de sa curiosité envers les sphères troubles des géants pétrolifères ? Ou ses ambitions de vérité me dépassaient-elles, moi qui n'aspirais qu'à une vie discrète ?
Peut-être que je me mentais et que je refusais d'affronter mes propres démons et notamment celui de l'abandon.
En la retrouvant dans cette allée estivale, mes angoisses s'envolaient.
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