Neuf mois durant, elle avait attendu le retour de l'été et avec lui, la promesse d'un nouveau voyage à Rum Cay.

Quand elle était revenue à New York à l'automne dernier, elle avait essayé de se replonger dans la vie trépidante de la Grosse Pomme. En vain tant tout ici lui semblait superficiel. Elle ne parvenait pas à oublier la magie de l'îlot, les couleurs folles que prenaient le ciel, la mer et la mangrove à chaque moment de la journée. Au souvenir des crépuscules où l'horizon s'habillait de mauve délicat ou d'une nuance de pêche presque mûre, son cœur battait plus fort.

Il s'embrasait littéralement quand elle repensait au beau jeune homme qui lui avait permis de découvrir cette féerie préservée. Merrill avait les yeux d'un gris légèrement triste, mais une lueur amusée y vivait farouchement.

L'hiver vint, jamais Estelle ne se sentit plus éloignée des Keys qu'à ce moment-là. Le printemps passa avec une lenteur exaspérante. Chaque jour éprouvait sa patience, comme si l'objet de sa convoitise était une rose tout en haut d'un roncier particulièrement épineux.

Puis arriva juin. Elle sauta dans le train que lui avait réservé son père. Sur le trajet, elle fut incapable de se concentrer sur ses lectures. Ses nuits s'écoulaient au rythme de ses soupirs alanguis.

Une brume diaphane dansait en lents rubans quand elle descendit de voiture. Et elle le vit, tout sourire, tenant maladroitement un bouquet d'azalées du Japon. Les yeux d'Estelle se mouillèrent, ses joues se pamèrent du même rose délicat que les fleurs tendues par Merrill. En cet instant, elle sut.