Après cet épisode, je rejoignis Papa dans son bureau. C'était ici qu'il écrivait ses histoires. Ces pierres qui jalonnaient le jardin de son esprit, comme il le répétait.

J'aimais bien l'observer pendant qu'il se penchait sur ses carnets ou qu'il regardait par la fenêtre, à contempler l'océan. Est-ce qu'il cherchait dans les vagues la bonne succession de mots, la bonne tournure de phrase ?

Ce jour-là, plutôt que d'aller l'embrasser, je laissais mes doigts courir sur les reliures des livres de sa bibliothèque. Il posa son crayon, but une gorgée de café et se tourna vers moi :

 " Em ? Ça va ?

 - Oui, Papa.

 - Ça n'en a pas l'air. Qu'est-ce qui te chagrine ?

 - Rien.

 - Approche, ma puce. "

Ses bras m'appelaient, son amour infini aussi.

 " Tu sais que tu peux absolument tout me raconter.

 - OK. "

Et les mots vinrent naturellement. Je lui racontais que Mamie Estelle était tombée dans leur chambre à coucher.

 " Est-ce qu'elle s'est fait mal ?

 - Non, je ne crois pas.

 - Je suis désolé que tu te sois retrouvée dans un tel dilemme, Em. J'en parlerai avec Mamie. Ne le prends pas mal, elle n'a pas voulu nous inquiéter.

 - Je n'ai pas fait de bêtise ?

 - Non, ma puce. Des fois quand on est adulte, on fait le choix de la discrétion.

 - C'est comme un mensonge ?

 - Pas exactement.

 - Pourtant, ça a les mêmes conséquences.

 - C'est vrai. Mais tu ne dois pas être en colère contre Mamie Estelle. Elle a réagi ainsi pour que tu n'aies pas peur.

 - Je ne lui en veux pas, Papa.

 - Tant mieux. J'ai besoin d'une pause. Tu viens partager un cookie avec moi ?

 - J'en ai déjà mangé un avec Mamie.

 - Et, en plus, elle achète ton silence ? " rit Papa.

Je riais aussi. Comme le dit Papy Merrill, rien de tel qu'une tranche de rigolade pour oublier les tracas du jour.