240. Le monde penché
Román avait grandi avec l'idée que le monde penchait. Que les herbes hautes dansaient et que les arbres ployaient sous les bourrasques furieuses venues de l'océan. Que les nuages fuyaient la côte déchirée pour s'émouvoir plus loin, dans le creux des vallées cachées. Même sa maison paraissait de guingois sur la colline.
Et le cœur des hommes de la région suivait la même inclination. Très tôt, il apprit qu'en ce lieu, on luttait à la fois pour sa survie et pour avancer. Que l'on y traitait les puissants avec déférence, que l'on courbait l'échine tant pour gagner respect que subsistance. Que l'on vivait là en s'arrimant à la terre avec le poids des traditions.
À l'approche de cet hiver, il aperçut, depuis le toit au-dessus de sa chambre où il aimait admirer son univers de toujours, des oiseaux migrateurs tracer une ligne parfaite dans le ciel sauvage comme s'ils volaient à contre-courant. Derrière lui, le linge étendu par sa mère claquait dans le vent.
Il comprit que les idées rebelles trouvaient leurs racines dans ces affleurements insolents.

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