C'était une de ces nuits où la robe d'argent de Sélène habillait la nuit de son plein éclat et Morphée se faisait farouche.

J'ouvris un œil dans la pénombre de notre chambre, tendis un bras vers Beatrice, mais je ne trouvais que le froid de son absence. Le silence presque absolu dans la maison m'alarma. Je me redressai, tout à coup parfaitement réveillé, en proie à un sombre pressentiment.

Les orages menaçants de l'après-midi avaient bifurqué vers Key West ; seuls quelques nuages éthérés subsistaient de leur traversée. L'horizon se perdait quelque part entre les brumes et la mer.

Puis je la vis, ombre délicate drapée de tristesse, qui marchait lentement le long de Catfish Bay. J'enfilais en vitesse pantalon en lin et chemise en toile bleue. Pieds nus dans le sable tiède, je courus jusqu'à la rattraper. Dans l'obscurité, ses yeux noisette brillaient de l'éclat profond du café.

 " Je crois que je suis en train de perdre la boule, Richie.

 - Ce n'est pourtant pas le cas.

 - Je me suis engagée dans quelque chose qui me dépasse.

 - Dans une œuvre aussi importante qu'onéreuse, oui. Mais tu as assez de ressources pour surmonter ces difficultés.

 - Tu crois en moi ?

 - Évidemment. Je sais aussi que certains fantômes aiment nous hurler certaines vérités à la gueule. C'est ce qui t'arrive en ce moment. Tu n'es pas du genre à baisser les bras, Bea.

 - C'est vrai.

 - Et qui sait ? Aussi tragique soit le décès de cet homme, peut-être que sa disparition éveillera d'autre consciences. Que d'autre vétérans accepteront de te livrer leurs souvenirs. C'est un magnifique projet que de leur donner une voix et beaucoup comptent sur toi. "

Elle nicha son nez dans le pli de mon épaule, murmura :

 " Je t'aime tellement, Richie.

 - Je t'aime aussi, Beatrice. "

Je sentis la dureté entre ses omoplates se résorber, les vagues douloureuses s'atténuer. Même pleine, j'étais sûr que la Lune nous souriait.