259. Monnaie de singe
À la mort d'Akemi, je partis, au grand désarroi de mes frères d'armes, noyer mon chagrin dans les brumes des montagnes au-delà de la cabane de Maître Yoshinobu. Hogarth tenta de me retenir, mais je le rassurai :
" Je vais bien.
- Physiquement, oui. Ce qui m'inquiète, ce sont les fantômes que je vois dans tes yeux, Graeme.
- Je m'éloigne justement pour les chasser. "
Il opina en silence. Assez égoïstement, je me moquais en cet instant qu'ils acceptent. Face à ma douleur, l'idée même que Tully et Hogarth m'attendent au village ne me touchait pas.
Ironie du soir, les jours qui suivirent furent agréables. Je ne ressentais toutefois pas la douceur des journées, tout mon être subissait les assauts d'un froid profond, comme si une part de moi était morte en même temps que mon aimée.
Je campai un soir dans les ramures d'un camphrier et, à l'aube, je découvris la statue d'un singe qui semblait veiller sur la vallée. Je restais un moment à ces côtés puis je lui dis :
" Pourquoi vous prier si tout ce que nous obtenons n'est que douleur et mort ? Pourquoi nous battons-nous si nos actes vous laissent indifférents ? Nos litanies sont comme des larmes dans la pluie, des cris dans la tempête et vous nous remboursez de nos engagements spirituels en monnaie de singe. "
Bien sûr, le bloc de pierre ne répondit pas. J'ajoutai, le cœur débordant de colère :
" Je ne vous invoquerai plus. Je continuerai à me battre, mais jamais plus en votre nom. Je crois qu'il y a une autre issue à nos supplications sourdes. J'ai perdu l'amour de ma vie, je vivrai désormais l'âme allégée de vos fausses promesses. "
Je me relevai et pris le chemin du retour.

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