S’installer et profiter 

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Lorsque je me suis présentée au guichet de la réception d'un des hôtels du domaine, la dame à l'accueil m'a tout d'abord regardé avec des yeux ronds. Il est vrai que je suis enceinte de huit mois. Mon ventre pointe vers l'avant comme une madeleine de Proust et ma doudoune est grande ouverte. Je trinqueballe une énorme valise à roulettes, qui fait un joyeux vacarme dans un endroit aussi calme et dépourvu de stress.

Puis, je lui ai expliqué que je voyageais seule car mon fiancé s'était mortellement blessé avec une écharde dans la main ( oui je sais, c'est faux, mais en même temps c'est possible, enfin je crois). Elle a tellement eu pitié de mon histoire qu'elle m'a surclassé. J'ai le droit à la super suite de folie. J'ai même un balcon rien que pour moi et une énorme, une gigantesque baignoire, avec tous les savons et gels douche inimaginables. Ma chambre est aussi grande que l'étage entier de chez mes parents et j'ai même le droit à un tapis au niveau de la cuvette des toilettes. Et lorsqu'il y a un tapis au niveau de la cuvette, cela témoigne de l'aisance du lieu. Il n'y a que chez les aristocrates que l'on voit ça.

La réceptionniste m'a donné accès à toutes les activités prénatales via un badge que j'ai accroché autour de mon cou. Me voilà cliente privilégiée V.I.P. Franchement, je me régale de ce passe-droit même si il n'est pas tout à fait honnête.

En fait, au début, je ne voulais pas baratiner. Mais elle posait trop de questions et je me suis perdue dans mon discours. J'ai dû lui dire que mes hormones me jouaient un vilain tour en me donnant des pertes de mémoire (ce qui est courant chez les femmes enceintes).

Ensuite, j'ai joué à fond la carte émotion. Je l'ai même vu essuyé discrètement le coin de ses yeux.

Puis, le saint-Graal est arrivé.

J'ai rangé mes affaires, inspecté chaque recoins de la suite. J'ai même senti tous les flacons de gel douche qui sont posés sur la baignoire. Les notant de zéro à dix et écartant ceux qui à coût sûr vont me donner une gerbe phénoménale.

J'ai envoyé un message à papa pour le rassurer de mon arrivée et je lui ai même envoyé des photos de ma chambre.

Je passe devant le miroir posé contre mur de la salle de bain et je me regarde. De dos, personne ne saurait dire que je porte un obus de trois kilos dans ma bidoche. Mais de profil .... Ou pire de face, j'ai l'impression que j'ai mangé trop de choses. Nous les femmes, nous stockons immédiatement dans les parties de notre corps qui sont censées rester anatomiquement plates.

La seule chose, qui à la rigueur me plaît dans cette prise de poids, est ma poitrine qui a triplé de volume, me propulsant à un 110D alors que je ne faisais qu'un petit 90c.

Elle est là, posée sur mon ventre pointu. J'ai beau la cacher, elle s'accentue encore plus. Donc autant la mettre en valeur. J'en ferais jalouser plus d'une. Tout ça sans chirurgie plastique.

Je passe un coup de gant de toilette afin d'éponger ma transpiration et je me recoiffe dignement. Je descends à la réception chercher le programme des activités. Je suis ici pendant quinze jours et je veux en profiter pleinement.

Un brouhaha et un gloussement se fait entendre.

J'ai pris l´escalier. Celui-ci trône au milieu du hall de réception. Un grand tapis bordeaux s'étend jusqu'à la porte tourniquet de l'hôtel. Un lustre énorme est accroché au plafond et donne des allures de souveraineté au lieu. Je descends, comme une princesse, les marches du magnifique escalier en bois. J'ai l'impression d'être une personne importante acclamée en bas des marches. Mais personne est là et personne ne me regarde. Tant pis, ça sera pour une prochaine fois. La réception est sur la droite et un groupe formé exclusivement de femmes enceintes glousse et piaille.

J'aperçois deux femmes mannequins avec un ventre qui ressemble à un lendemain de raclette, autrement dis, un ventre ballonné. Il y a aussi une femme d'une quarantaine d'années péroxydée, aux ongles pouvant vous faire grimper aux arbres et à la bouche gonflée comme un ballon de baudruche. Puis, une femme de style hippie avec de longues dread locks, un sarouel et une longue blouse péplum et enfin, une femme d'origine asiatique avec un ventre tellement énorme dans son petit corps menu que j'ai de la peine pour elle.

Je m'approche d'elles silencieusement, la réceptionniste imprime différents documents et les distribue au groupe.

- Un pot d'accueil se déroulera à dix-neuf heures demain, vous aurez l'opportunité de faire connaissance avec Alva, l'animatrice de ces activités pré-natales.

Je lis le programme et je découvre qu'il y aura des séances d'Aqua-douce, bien-être, détente , éveil des sens... cela m'a l'air très épuré. Ma foi, je ne suis pas obligée de tout faire.

- Les papas sont bien évidemment les bienvenus, par cette occasion, il faudra en informer Alva , pour qu'elle s'organise et prépare les salles en fonction du nombre de personnes présentes.

Sur ce point, je suis tranquille, libre. Les deux femmes mannequins jacassent et jubilent, leurs voix surexcitées couvrent celle de la réceptionniste.

Cela promet. Je risque fortement de me retrouver avec une migraine infernale si je reste trop longtemps dans ces pépiements.

- N'oubliez pas, le restaurant ouvre ses portes tous les matins à 7h30 et ferme à 22h. Les soirées à thèmes seront indiquées sur le panneau à l'entrée du hall d'accueil. Et bien évidemment, vous avez accès à toutes les activités que notre établissement propose. Je vous laisse mesdames, bon séjour au domaine des Balsamines.

Je m'écarte de ce groupe de poules pondeuses et je suis décidée à profiter un maximum de ce séjour. Le gargouilli de mon estomac me stoppe net dans ma motivation et je suis contrainte de suivre les autres femmes en cloque jusqu'au restaurant. On dirait un groupe d'oies comme dans les aristochats, avec la démarche de Amélie et Amélia. Elles sont toutes accompagnées de leurs époux, maris, fiancés , fils ?

La dame péroxydée tient fermement le bras d'un jeune homme de vingt ans son cadet. Elle lui colle sa langue au fond de la bouche et je retire instantanément l'image de la mère et du fils. En grimaçant, je croise accidentellement le regard d'un des mannequins ballonnés. Elle me regarde d'un œil interrogateur, rictus aux lèvres.

Un buffet garni est installé et prenant une assiette, j'inspecte toutes les victuailles présentées devant moi. Je réalise un classement alimentaire : donne le brûlant, donne la nausée, donne la diarrhée. Trop acide, trop amer, trop sucré.

Mes vieux réflexes de diététicienne ressurgissent. Mais mon estomac crie famine et il est inutile de faire la fine bouche.

Je me rabats sur un morceau de cake au jambon et olives, ça devrait le faire. Et de quelques noix de pécan et du Brésil. Quel festin !

Mon intolérance au lactose ne se limitant qu'au lait, je prends le risque d'une part de feuilleté au comté. Advienne que pourra, l'état de mon intestin me donnera un compte rendu demain matin.

Kate moss passe près de moi, son assiette emplie de fruits et de compote. Elle me toise l'air dédaigneux et semble écœurée à la vue de mon assiette.

Je l'ignore complètement et je pars m'installer au bout de la salle, à l'une des tables vides près d'une immense fenêtre qui donne vue sur un paysage splendide. Les baies vitrées vont de part et d'autre du restaurant et j'ai l'agréable surprise d'avoir du chauffage au niveau de mes pieds.

Cette place est à réserver de toute urgence, lorsque je viendrais me ravitailler.

À l'écart, je peux déguster mon merveilleux repas.

La pièce est assez grande et très luxueuse.

La plupart des tables sont rondes et de jolies nappes, blanches et brodées à l'écusson du domaine, les couvrent.

Il y a de la moquette au sol et un pianiste joue de la musique au fond du restaurant.

Je suis bientôt rejoint par mannequin numéro un. Son assiette débordant de légumes cuisinés, de pommes de terre en salade et d'un bon morceau de volaille.

Mais où va-t-elle mettre tout ça ? Son assiette est sûrement pour son compagnon, mais lorsque je la vois engloutir sa nourriture avec un appétit d'ogre, je me dis que parfois il n'y a pas de justice. Elle ne prendra que vingt grammes sur la balance et moi avec mon assiette minable j'en prendrais quinze.

Elle tourne ses grands yeux bruns sur moi, je la fixe depuis un moment et je m'aperçois que mon attitude est très déplacée.

Elle me sourit et essuie les commissures de sa bouche avec une serviette en tissu.

- Desolée, je meure de faim, me dit-elle d'une voix douce à l'accent chantant.

Je lui rends son sourire. Je n'ai rien touché de mon assiette. J'ai juste coupé en plusieurs morceaux ma tranche de cake et je triture mes noix du bout de ma fourchette.

- Vous ne mangez pas ? Me demande-t-elle après un instant de silence.

- Reflux .... Je mime avec des gestes près de ma gorge.

- Oh ! Elle se tourne vers son micro sac à main et me tend une poignée de sticks anti-acide. Le trésor au bout de sa main, j'hésite à les prendre.

- Prenez les, j'ai encore trois boîtes dans ma valise, entre futures mamans il est normal de s'entraider!

Son regard bienveillant se pose sur mon ventre et son visage se fend d'un large sourire.

Brune, à la peau mate, elle est vraiment magnifique. J'ai presque des remords de l'avoir jugée tout à l'heure, elle et sa copine.

Je prends le paquet qu'elle me tend et la remercie. J'en porte un au bout de mes lèvres et laisse le gel au goût mentholé descendre dans mon œsophage. Certain diront que c'est dégueulasse et bien on s'y habitue ! Pas la peine de faire la fin gourmet.

Mannequin numéro un est vite rejoint par mannequin numéro deux, qui elle au contraire de sa copine, a très peu de chose dans son assiette. Elles discutent vivement à côté de moi et je grignote mes noix tout en faisant semblant de ne rien entendre.

« Demain c'est piscine, essaye de te reposer, le voyage a été long et fatiguant. Bébé n'aimerait pas que sa maman soit malade »

« Cette fichue nausée ne me quitte plus Rosie ! J'ai déjà perdu cinq kilos bientôt il ne me restera plus que la peau sur les os ! ».

Franchement, elle possède déjà la peau sur les os. Je lève les yeux au ciel, il fait drôlement chaud ici. J'avale d'un trait mon verre d'eau et je me lève. J'ai assez entendu d'âneries pour la soirée.

- Vous partez déjà ? Me demande la dénommée Rosie.

- Oui, je suis fatiguée.

Gros mensonge en vue, je pète la forme, j'ai juste chaud et je veux bouger.

- C'est dommage ! Nous aurions pu faire connaissance toutes les trois, nous ne sommes pas de la région et nous ne connaissons rien ici.

- Ah euh oui.

Je me sens soudain mal à l'aise, elles me regardent avec leurs yeux de biche et je me rassois, le ventre protubérant. Bébé s'agite drôlement et mon ventre fait des sortes de vagues sous ma robe.

- Je m'appelle Rosie, me dit mannequin peau mate et voici mon amie Tiana. La dénommée Tania couvre sa bouche à l'aide d'une serviette, elle tente un sourire mais la nausée qui l'assaille rend la démarche difficile.

- Moi c'est Salomé !

Je pince les lèvres, j'ai l'impression d'être de nouveau à l'école lorsqu'il fallait faire un tour de table. Une horreur pour les gens non sociables comme moi.

- Enchantée ! Tu es à combien de mois de grossesse ?

Sa remarque me pique au vif, cela se voit-il tant que ça ? Bon, j'avoue que mon ventre ressemble à une énorme pastèque. Rond et tendu, il n'y a pas de doute, mais cela a des avantages enfin j'essaye de me le faire croire.

-Huit mois et vous ?

Elles vont me répondre trois mois et deux jours. Mon ventre est passé par ce stade de grossesse en seulement vingt-quatre heures, je ne sais pas exactement ce qu'est le premier trimestre.

- Huit mois? Rosie a l'air offusqué, elle caresse son minuscule ventre.

- Nous sommes toutes les deux à six mois de grossesse. Elles pépient avec leurs petits rires de lutin.

- Nous sommes si heureuses d'être enceintes en même temps ! C'est tellement plus drôle de partager tous nous petits maux et tracas de grossesse, nos achats et nos visites chez le gygy.

Oh mon dieu, j'espère qu'elles n'y vont pas ensemble. Déjà que je cache mes vieilles culottes de grands mère sous mes vêtements lorsque je dois y aller. Avec en supplément, décrassage intégral de tout poil existant. Je n'ose imaginer y aller avec une copine.

Mais chacun son point de vue, pour ma part, je n'attends qu'une chose : que bébé sorte de mon ventre en s'exclamant « c'est bon maman, la cohabitation est finie je veux mon indépendance utérine! ».

- Et tu es venue accompagnée ? J'espère car cela doit être compliquée dans ton état, le papa est parmi nous ?

C'est un vrai interrogatoire ! Elle fait partie d'une organisation secrète d'enquêteurs à mon avis. Elle enquête afin de savoir si cela est normal d'avoir des réservations volées à mon ex courageux. Elle veut me faire cracher le morceau. Elle m'embarquera au poste le plus proche, mon enfant viendra au monde en prison, tout ça pour des satanées vacances.

Son regard brun insistant me sort de ma rêverie.

Je caresse mon ventre, il me démange, saleté de vergetures.

- Hum, en fait non , mon mari est décédé prématurément....

Elles s'exclament tellement fort que tout le monde se retourne brièvement sur nous.

-Comme je suis désolée ! Tu dois être tellement triste et perdue.

Non pas vraiment. Cependant, je n'ai toujours rien acheté à bébé, le deuil de ma liberté y est sûrement pour quelque chose.

- Et tu comptes allaiter?

Son regard se pose sur mon énorme poitrine. Elles se regardent discrètement et hochent la tête.

- Nous, nous ne ne savons pas trop. Avec notre métier d'égéries de mode en prêt à porter, nous voyageons énormément, le biberon sera plus facile.

Elles gloussent et Rosie continue de manger.

Je pense qu'elles veulent terminer la conversation, alors je ne réponds plus. Inutile de leur faire part de mon intention d'allaiter, avec ce que je produis en lactation en ce moment, je pourrais effectivement nourrir toute une maternité.

Son regard se pose de nouveau sur moi et elle m'interroge de la tête.

- Oui, allaiter, hum Mesdames, je suis enchantée d'avoir fait votre connaissance mais je suis exténuée.

- Oh j'espère que ce n'est pas notre conversation qui t'a mise mal à l'aise.

Son visage se ferme instinctivement et je sens une pointe de tristesse dans ses paroles.

- Non non, j'ai besoin de m'allonger, peut être à demain, bonne soirée.

Je les salue rapidement et me glisse vers la horde de touristes qui se présente devant moi.

Je pense à mon lit douillet et moelleux qui m'attend. Kate moss me dévisage lorsque je passe près d'elle, elle agrippe le bras de son fiancé, balançant ses longs cheveux blond. Elle rit à gorge déployée à l'une des remarques d'un groupe d'hommes en costard- cravate.

Pathétique, je vais l'ignorer complètement. Le positif, dans cette histoire, est qu'elle ne paraît pas enceinte. Je ne la verrais donc pas aux animations que propose le domaine.

Je longe la réception et emprunte l'ascenseur. Oui, il ne faut pas exagérer. Descendre les escaliers est une chose, les monter avec un ballon de trois kilos dans l'abdomen en est une autre.

Je marche rapidement, mes pas sont étouffés par la luxueuse moquette pourpre.

J'entre dans mon appartement, je largue mes vêtements quelque part et je fais couler un grand bain d'eau chaude. Mes yeux croisent mon reflet dans le magnifique miroir psyché posé près de la baignoire. Je ressemble à un homard échoué sur une plage brûlante. Mes cheveux détachés collent à mon visage, mais je me sens comme un poisson dans l'eau. La tête posée sur le rebord, je me détends, je me suis savonnée avec l'un des gels douches « papaye ». Je l'ai noté six sur dix, il est correct, mon estomac a validé et n'a rien rendu. J'allonge mes jambes et mes bras et je me liquéfie de bonheur. J'active la musique à l'aide de la télécommande intégrée. Une musique de Blondie, « call me », démarre.

La musique hurle dans les enceintes et impossible de baisser le volume. Je me redresse brusquement, faisant d'énormes vagues et renversant un bon contenu de la baignoire sur le sol. Je roule sur le côté telle une baleine en plein océan et je me mets à quatre pattes afin de me relever dans une position glamour et sensuelle. Non sans rire, on dirait un veau de mer sur les plages du nord. Sincèrement c'est presque ça.

Debout dans la baignoire, j'appuie comme une folle sur les touches de la manette, je tape dessus pour que cela fonctionne mieux. Nous sommes d'accord que ma démarche est complètement inutile, ça n'a jamais fonctionné alors pourquoi s'obstine-t-on à le faire quand même ? Je n'en sais rien, mais dans la panique c'est la seule chose qui arrive à monter jusqu'à mon cerveau.

La musique braille tellement que je suis prise de panique et je descends lestement de la baignoire , ou tout du moins je le pense. Je manque de faire le grand écart en glissant sur les flaques d'eau au sol.

Quelqu'un frappe à la porte, merde ! Mon vacarme a ameuté tout l'hôtel. Je dégouline sur le sol en teck de la salle de bain. Je roule mes longs cheveux dans une serviette de toilette et mon corps dans un drap de bain. Je suis un peu serrée mais je vérifie que chaque partie de mon corps soient bien enveloppées dans le tissu moelleux. Pas la peine, d'en plus du tapage nocturne, d'être exhibitionniste.

Tenant la serviette au niveau de la poitrine, je marche sur la pointe des pieds jusqu'à la porte et au moment de jeter un œil par le judas, la personne toque plus fort et me fait sursauter. Je pousse un horrible cri de cochon égorgé.

Plaquant ma main libre sur ma bouche je me maudis. Maintenant, la personne de l'autre côté sait que je suis là et même que je suis derrière cette porte.

J'ouvre la porte et tombe nez à nez avec Théo James. Il me regarde avec des grands yeux ronds, visiblement mal à l'aise.

L'eau de mes cheveux coulent sur ma nuque et ma poitrine et vient mouiller le haut de ma serviette. Je ne dois ressembler à rien. L'air frais du couloir me donne un frisson, levant les sourcils je lui demande ce qu'il veut.

- Votre musique empêche ma compagne de se reposer. Sa voix grave et suave est à peine audible avec tout ce vacarme.

- Oui, excusez moi mais j'ai un soucis de télécommande, elle est bloquée.

Le sourire crispé, je gèle sur place. J'aimerais qu'il s'active et qu'il s'en aille rapidement. J'ai envie d'aller aux toilettes et à part rester devant moi comme un piquet, il ne sert à rien.

Il sourit en coin et son visage est d'une beauté. Ses yeux bruns m'observent et il finit par lever les yeux au ciel.

-Je peux ? dit-il en pointant de l'index la suite.

Je m'écarte pour le laisser entrer.

Je suis carrément honteuse du bordel que j'ai laissé dans la salle de bain. Un véritable ras-de-marée.

L'eau dégouline de la baignoire, la mousse s'est complètement volatilisée et l'eau ressemble à une nappe visqueuse. Mes vêtements traînent un peu partout dans la salle de bain. La musique braille dans les hauts-parleurs.

Il s'approche de la baignoire et prend la télécommande, il tapote dessus.

Il n'a visiblement aucune idée de ce qu'il faut faire, son regard jugeant de tout à l'heure peut bien aller se faire voir.

Il appuie fermement sur un bouton, jusqu'à lors inconnu, et la musique cesse.

Je soupire de soulagement.

-Bon rangement !

Ses yeux plissés et moqueurs me fixent puis après m'avoir dis au revoir, s'en va.

Mais pour qui se prend-il avec son visage d'Apollon. Il est aussi anti-pathique que sa « compagne ». Compagne mes fesses ! Je me baisse pour ramasser tout ce chantier. Elle a dû lui faire tout un cinéma, prétextant que si elle n'avait pas ses huit heures de sommeil, son chakra ne s'ouvrirait pas et blablabla. Je connais ce genre de chieuse qui se croit tout permis.

Mes hormones me chatouillent et je sens la colère m'envahir.

Je me laisse tomber sur mon lit après avoir vider la baignoire et ma vessie par la même occasion. J'ai épongé toute l'eau. On ne pourra plus dire que c'était un merdier. Les écouteurs dans les oreilles, je mets mon application détente. Je ferme les yeux, j'écoute la voix soporifique de la narratrice. Un long bâillement, puis un deuxième, deux ou trois coups de pieds de ma fille et je sens l'osmose m'envahir.

Car oui, si je ne sais pas encore le sexe, je suis persuadée que ça soit une fille. Il le faut, je l'espère, j'aimerais que ça soit le cas.

Pour partager plein de trucs de fille avec elle. Cette relation mère célibataire/fille comme on voit parfois dans les téléfilms à l'eau de rose. Elle me piquera mes fringues et mon maquillage. Je lui raconterais ma jeunesse.

Me posera-t-elle des questions sur son père ? Certainement.

Serais-je obligée de lui raconter la vérité ?

Certainement pas.

Je lui dirais qu'il était lâche, c'est ça. Un grand lâche.

Cela aura au moins le mérite d'être en partie vrai.

Je lui dirais que j'ai vécue une grossesse épanouie , une grossesse de rêve. Comme celle de ma mère apparemment.

Je lui dirais que je n'ai pris que dix kilos , de toute façon il n'y aura aucune photo à l'appui.

Je lui dirais que je n'ai eu aucun maux , ni nausées ni vomissements, ni brûlures gastriques. Que mes jambes étaient aussi fines que celles de Kate Moss ( la vraie).

Que ma peau était lisse et soyeuse, sans vergetures.

Que mes cheveux étaient longs et magnifiques, ça c'est vrai aussi.

Que je pouvais manger de tout, sans intolérance. Que je n'ai pris aucune taille de vêtements.

Que je ne me levais pas la nuit pour pisser, ou tout du moins pas une quinzaine de fois.

Que j'étais aussi souple que Mélanie de Jesus Dos Santos lors des Jeux Olympiques.

Que je pétais la forme et que je ne restais pas vautrée dans le canapé à visionner des séries Netflix, (heureusement qu'elle existe cette plateforme).

Que je serais une maman parfaite, une maman que chaque petite fille rêverait d'avoir.

Une maman drôle et gaffeuse parfois, une maman cuisinière, infirmière, psychologue.

Je ferais plein d'activités avec elle. Je l'emmènerais au parc mais aussi à la bibliothèque. Elle sera intelligente comme sa maman. Elle sera belle , la plus belle. Comme sa maman.

Elle aura mon timbre de voix, saura danser et saura se défendre. Elle aura de la répartie et ne se laissera pas marcher sur les pieds.

Elle aura sa propre entreprise et elle sera son propre patron.

Elle aura tous les talents du monde, elle saura aimer et être aimée.

Elle sera optimiste, drôle, aidante, honnête et sincère, humble et charismatique.

Elle n'aura aucun défaut ma fille.

Ça je le sais , c'est une certitude.

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